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du 9 juin 2005
L'ÉVÉNEMENT

LYON, PAGE 11, GUIDE MICHELIN 1965...

"SEREZ-VOUS PRêT ?"

Un jour d'automne 1964, Paul Bocuse, en visite chez Michelin, se voit poser cette question par le directeur
du guide. Quelques mois plus tard, une troisième étoile arrive à Collonges au Mont-d'Or. Elle brille depuis 41 millésimes, un record du genre !


Paul Bocuse et sa brigade en 1965.


Paul Bocuse et Christian Bouvarel.

Depuis 1958 et sa première étoile au guide Michelin, Paul Bocuse avait pris ses habitudes au 97 boulevard Pereire, siège des éditions du Tourisme du manufacturier clermontois. En ce jour d'automne et selon un rituel désormais bien rodé, il est accueilli par MM. Pauchet et Lasburgues dans un bureau sans luxe ostentatoire.
La discussion roule, naturellement. On évoque la cuisine française, la situation à Lyon, et soudain, la question fuse. "Serez-vous prêt au printemps ?", s'inquiète René Pauchet qui dirige le service. Un brin décontenancé, Bocuse affirme qu'il n'y aura aucun problème. Il indique les travaux en cours, s'amuse à remarquer que jusqu'en 1962 et l'obtention de la deuxième étoile, les clients devaient se satisfaire de nappes en papier et de couverts en inox et se faire à l'idée que les toilettes étaient au fond de la cour. "Irma ma maman était à la caisse, Raymonde mon épouse au service et j'étais en cuisine", se souvient-il aujourd'hui.
À l'époque, les clients de l'Auberge Paul Bocuse se régalaient de Terrine de grives aux baies de genièvre, de Mousse de truite à la Constant Guillot et de Quartier d'agneau à la broche aux herbes de Provence arrosés de pouilly-fuissé et morgon.
À la fin du mois de février 1965, le 47 00 14 sonne. Au bout du fil, Paul Bocuse se voit gentiment convoqué boulevard Pereire. Lorsqu'il entre dans le bureau, René Pauchet l'invite à s'asseoir et lui tend le guide Michelin 1965. Il l'ouvre et, à la page 11 de Lyon, découvre que 3 étoiles sont accolées à l'Auberge Paul Bocuse où les spécialités sont identiques à celles de l'année précédente avec des menus à 34 et 38 francs (N.D.L.R. : le guide est alors vendu 12 francs).
"Cette année-là, aucun 3 étoiles n'avait été sanctionné. J'étais le douzième, et à 39 ans, le plus jeune de l'après-guerre. J'étais en belle compagnie puisqu'on retrouvait Mado Point, la Mère Brazier, Alexandre Dumaine, Claude Terrail, le Père Bise, Laperouse… Je ne réalisais pas du tout la portée des 3 étoiles et ce que cela pouvait représenter. Je ne l'ai compris que plus tard…"
Si son titre de Meilleur ouvrier de France en 1961 l'avait propulsé à la une des médias, les 3 étoiles firent davantage encore. Avec un nom facile à retenir et une personnalité attachante, Paul Bocuse ne va pas tarder à devenir la star de la "nouvelle" cuisine française.
"Bien sûr, lorsque j'ai eu la deuxième étoile, j'ai pensé pourquoi pas 3 puisque j'étais passé dans des maisons qui les avaient. Mais la conquête de la troisième étoile n'a jamais été une obsession. Finalement, je m'aperçois qu'à bientôt 80ans, j'ai passé la moitié de ma vie avec Michelin et ces 3 étoiles ! C'était difficile à imaginer. D'abord parce qu'on ne sait pas si on sera toujours là. Vous savez, je pense toujours à cette réflexion de Marcel Pagnol qui disait 'quand je conduis l'autobus de la vie et que je me retourne, je m'aperçois que beaucoup d'amis sont descendus'. Ce sont Jean Troisgros, Alain Chapel, Jacques Pic, Bernard Loiseau. D'autres encore…"
Le secret alors ? S'entourer, à n'en pas douter. Avec la présence permanente de Raymonde, fidèle et discrète épouse rencontrée en 1942 et épousée en 1946. "J'ai partagé ma vie entre elle et Michelin", s'amuse Bocuse. Et un parfait équipage que l'on ne songe pas à quitter. "Je ne suis pas un bon client des petites annonces de
L'Hôtellerie Restauration pour chercher du personnel", blague Bocuse qui se plaît à remarquer que peu de chefs ont été aux commandes (1) et qu'en salle, par exemple, Alfred Hocdé peut revendiquer 40 ans de maison.
"On ne sait jamais si l'on est dans le bon mouvement mais je pense que la maison plaît. L'autre jour, trois Américains qui étaient en visite à Lyon sont venus trois fois chez nous. C'est qu'ils ont trouvé quelque chose."
Trois étoiles à vie alors ? Les yeux se plissent de malice et il élude la question. "Michelin et un guide intègre et j'accepte ses choix. Si demain ça change, je pourrais toujours dire que j'ai attendu 41 ans pour retrouver mes 2 étoiles", rit-il.
J.-F. M. zzz22v zzz18p

(1) Robert Dubuis était chef en 1965. Vinrent ensuite Roger Jaloux puis Christian Bouvarel parfaitement épaulé par Christophe Muller et Gilles Reinhardt, MOF comme lui.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2928 Hebdo 9 juin 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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