du 9 juin 2005 |
L'ÉVÉNEMENT |
TROIS ÉTOILES AU MICHELIN
LE QUARANTE ET UNIÈME RUGISSANT DE BOCUSE
1965-2005 : le compte est bon. 41 millésimes au plus haut niveau pour Paul Bocuse qui va les fêter "avec les copains" et qui, à l'instar de Michelin, ne craint pas d'affirmer que "les meilleures performances sont celles qui durent". Retour sur un parcours exceptionnel
Propos recueillis par Jean-François Mesplède
L'Hôtellerie Restauration : Si vous nous parliez de la Saône ?
Paul Bocuse : Je suis l'homme de la rivière, totalement attiré par
elle et je lui dois beaucoup. J'ai braconné, ce qui me permettait d'être bien vu par
l'instituteur de Collonges à qui je pouvais apporter du poisson. J'ai toujours dormi la
tête au nord et la Saône à gauche
et où que je sois dans le monde, ces repères
me sont indispensables.
C'est
justement en bord de Saône que s'élève l'auberge. Et sur celle-ci, comme une
provocation, votre nom en très grosses lettres
Provocation ? Je ne crois pas. Vous savez, mon père n'a jamais pu donner son nom à son
restaurant parce que le grand-père l'avait vendu. J'ai vécu cela, un peu douloureusement
et lorsque j'ai pu racheter le nom Bocuse, je l'ai mis en bonne place sur le toit.
C'était une sorte de clin d'oeil au paternel.
C'est lui qui
vous avait rappelé pour travailler à ses côtés à la fin des années 1950. Auparavant
vous aviez pas mal voyagé. Qu'en retenez-vous ?
Au col de la Luère, j'ai beaucoup appris chez la Mère Brazier, femme énergique et forte
en g
chez qui il fallait tout faire. C'était la Légion avec un summum de
discipline. Je pense pourtant que l'étape décisive se situe à Vienne avec Fernand
Point. La Pyramide est la maison à laquelle je dois le plus. Point était un homme
exceptionnel qui professait qu'en cuisine il fallait toujours repartir de zéro et qui a
apporté dans les restaurants le luxe des maisons bourgeoises. Je me suis aperçu avec le
temps, et j'ai appliqué cette règle, qu'il déléguait beaucoup. Il n'était plus en
cuisine, mais chez lui il y avait des Troisgros, des Outhier, des Bocuse
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Vous évoquez
la rigueur, toujours d'actualité. Comment expliquez-vous votre réussite ?
[Songeur] Quand on pense avoir réussi, c'est que l'on a loupé ! J'ai su m'entourer, mon épouse a joué un rôle
primordial et nous avons su conserver le personnel, preuve que ce n'est sans doute pas une
mauvaise maison. Et j'ai toujours fait le constat que bien faire un travail ne prenait pas
plus de temps que le faire mal. Ce sont les détails, la rigueur et la discipline. Il
n'est parfois pas besoin de dire les choses : il suffit de donner l'exemple. Nous n'avons
jamais dérogé à certaines règles et toujours privilégié la qualité des produits
avec une cuisine simple, identifiable avec des os et des arêtes. Ce n'est pas un hasard
si tous les jours à Lyon, 2 200 clients fréquentent nos brasseries. Il existe
aujourd'hui beaucoup de cuisines. Nous, à tort ou à raison, nous n'avons pas bougé et
la broche au feu de bois est toujours dans la salle à manger.
Vous avez
quand même vécu des mutations. Quelles sont les plus importantes ?
Sur le matériel, qui a considérablement évolué. Nous avions un fourneau à charbon,
aujourd'hui le four est électrique et les brûleurs sont au gaz. Il y a aussi les
contraintes techniques avec la fameuse marche en avant qui a nécessité des
investissements. Sinon, je me souviens que ma mère qui voulait être institutrice faisait
de belles additions calligraphiées au porte-plume alors que nous avons désormais
l'informatique et les ordinateurs.
Quel regard
posez-vous aujourd'hui sur ces '3 étoiles'?
J'ai de bons rapports avec tous ces cuisiniers que je me suis fait un plaisir d'inviter
pour une 'fête de copains' le 13 juin à Collonges. Nous sommes tous différents et il
n'y a pas de concurrence entre nous.
Le summum c'est sans doute Nadia Santini et, dans un autre genre, mon ami Alain Ducasse
qui a prouvé que l'on peut diriger un restaurant sans forcément y être tous les jours.
Avez-vous le
sentiment que vos 3 étoiles sont éternelles ?
Difficile de répondre à une telle question ! On ne sait jamais si l'on est dans le bon
mouvement. Si je devais les perdre, je serais sans doute moins affligé après quarante
ans, mais je ne vois pas pourquoi ils me la retireraient [rires]. J'ai suivi le
choix d'Alain Senderens. Peut-être a-t-il raison, c'est l'avenir qui le dira. Mais il est
à Paris et nous, à la campagne [sic] on peut se permettre des choses
différentes.
Aujourd'hui
encore Bocuse semble incontournable. Comment vivez-vous ce phénomène ?
Je ne me grise pas et je reste les pieds sur terre.
Quand je vais quelque part, c'est vrai qu'il y a toujours un peu plus de médias. Sans
doute aussi parce que des noms marquent plus que d'autres, Karajan n'était peut-être pas
le meilleur chef d'orchestre mais on se souvient de lui. Aujourd'hui, je fais davantage de
photos que de cuisine, mais bon ! Le Bon Dieu est connu, mais il fait quand même tirer
les cloches tous les dimanches. Je ne suis pas malheureux et je fais tout ce que j'ai
envie de faire. Je ne me plains pas : je suis bien entouré et je délègue. zzz22v
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L'Hôtellerie Restauration n° 2928 Hebdo 9 juin 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE