du 5 janvier 2006 |
EXPATRIATION |
En Irlande, véritable "eldorado" de l'emploi dans la restauration
La 'french touch', un concept vendeur à Dublin
Dans la capitale irlandaise où les offres d'emploi pullulent, le 'french staff' est devenu une denrée recherchée.
Dans ce pays qui ne forme pas encore ses jeunes aux carrières des CHR, les opportunités sont nombreuses.
Trinity College, l'une des plus prestigieuses universités d'Europe, ne forme pas aux
métiers des CHR.
La Cave affiche complet midi et soir sur 3 rotations de table. Idem chez Patrick Guilbaut, Les Frères Jacques et à La Mère Zou. Salles combles, personnel au taquet, copieuses additions : chaque année en décembre, les restaurants de Dublin sont pris d'assaut pour les Christmas Parties, ces fêtes d'entreprise qu'on organise dans les meilleurs restaurants de la ville. Noël est une période faste en Irlande, n'en déplaise aux Français expatriés dans cette capitale récemment intronisée aux plaisirs de la table. Naguère démunie, l'Irlande du nouveau millénaire exhibe son opulence, rattrape son retard en gastronomie et idéalise la France des grands crus. Elle fréquente les restaurants, achète son foie gras au prix fort, prend des cours de dégustation de vins. Une aubaine pour nos restaurateurs expatriés qui n'ont pas toujours vécu cette facilité. Au sein de leur communauté, 3 d'entre eux perpétuent une certaine idée de la cuisine en recrutant leur personnel en France. Un cachet, réclamé par leur clientèle, et un gage de réussite.
Patrick Guilbaut est arrivé à Dublin en
1981 : "À l'époque, l'Irlande rimait avec IRA et grande famine, alors monter un
gastronomique, vous pensez !", se souvient-il. Pourtant l'étoile est arrivée en
1988, suivie d'une seconde, et désormais l'établissement affiche sa vocation de 'centre
de formation pour jeunes Français de passage à Dublin'. Le secret du lieu ? "On
laisse les gens croire que gérer un établissement de cette envergure est facile, explique
Stéphane Robin, maître d'hôtel et associé. On table sur un service personnalisé
où le client se sent unique." Pour Guillaume Le Brun, 3e associé et
chef depuis le début, l'embauche de Français est une nécessité, vu la pénurie de
main-d'oeuvre locale. Avec une préférence pour ceux "passés par
l'apprentissage, car ils ont 2 ans d'avance sur les autres". Et quand on sort du
moule Guilbaut, on trouve toujours une place ailleurs. Certains ont même troqué la toque
contre la casquette de patron. Comme Olivier Quenet qui dirige 70 personnes au sein de sa
boulangerie artisanale, et qui fournit
en pains ou viennoiseries pratiquement tous les hôtels étoilés de la ville. Du piano au
pétrin, le chemin n'est pas long. Pour Jean-Jacques Caillabet, l'aventure des Frères
Jacques remonte à 1986, la suite logique de 15 ans de restauration française en terres
anglo-saxonnes. "On a été des pionniers en privilégiant un nombre restreint de
couverts. Après 5 ans difficiles, la stabilisation a suivi. Nous avons toujours cultivé
notre identité. C'est pourquoi notre personnel de salle est français : créer une
atmosphère n'est pas s'inventer un label 'french restaurant'." La clientèle des
Frères Jacques est constituée d'habitués nantis dont certains passent chaque semaine
l'après-midi à table et dépensent en moyenne 85 E. Au même titre qu'à La Mère Zou
où, depuis 1994, dînent des clients devenus amis, conquis sur le long terme. Pour Éric
Tygaert, le patron, la clientèle reste une matière volatile : elle teste les endroits à
la mode, mais ne transforme pas forcément une nouvelle adresse en habitude. "En
11 ans d'existence, on a acquis une certitude : savoir rester humble. La clé pour moi
réside dans la formule faire simple mais bon." En 1997, l'argent afflue à
Dublin, et la réputation de La Mère Zou monte en flèche : le patron belge vend alors sa
maison pour racheter une ferme à Bergerac, où il vit depuis avec sa famille la moitié
du temps. "Au rythme de 10 jours en France/10 jours en Irlande, j'ai appris à
déléguer." Selon lui, l'expérience de l'étranger est cruciale : "Ne
partez pas par dépit, seulement par envie de voir autre chose. Apprendre l'anglais est une motivation
insuffisante." Parmi les nouveaux établissements qui montent, on compte
beaucoup d'outsiders français. Il y a Chez Max, qui mise sur une cuisine de brasserie
abordable, ou Chez Christophe, qui s'est installé dans un Food Hall et sert des en-cas
méditerranéens ; quant au bar à vins Dax, il attire de riches actives aimant grands
crus et ambiance feutrée. 3 concepts montés il y a peu et employant des Français. D'une
même voix, les patrons déplorent le turn-over et l'instabilité d'une frange importante
de leurs employés. Tous sans exception goûtent le plaisir d'habiter une capitale à
taille humaine et la cordialité d'un pays accueillant leurs savoir-faire. Pour
entrepreneurs et salariés français des CHR, de meilleures conditions de vie et de
travail attendent ceux qui s'expatrient à Dublin. À condition de s'y investir.
Gaëlle Marchandise zzz99 zzz54r
Jean-Jacques Caillabet, patron des Frères Jacques.
Éric Tygaert, patron de La Mère Zou.
Dublin en bref
Population Plus
d'1,5 millions d'habitants (1/3 de la population totale)
Nbre de Français 20 000
Langues parlées Anglais, gaélique (peu pratiqué)
Monnaie L'euro
Nbre de restaurants français Une quinzaine
Coût moyen d'une sortie au restaurant 100
E/personne
2 questions à Audrey Michel et Marc Debels de la mission économique de Dublin |
L'Hôtellerie Restauration : Encouragez-vous nos compatriotes à la création d'entreprises en
Irlande ? Il n'est plus besoin de les inciter, mais plutôt de les informer sur le prétendu 'miracle irlandais'. La croissance continue de flirter avec les 5 %, le pays est en situation de plein-emploi mais le Celtic Tiger est fini. Notre conseil : rencontrer un avocat qui se chargera de monter les statuts d'une future société. Certaines banques irlandaises proposent des business plans à télécharger sur leur site. La mission économique peut fournir aux entrepreneurs certaines informations sectorielles : localisation, concurrence et marché. Mais nous recommandons surtout aux patrons de venir sur place et d'avoir une mise de fonds de départ conséquente en cash-flow. |
Quelle est la tendance actuelle au niveau de l'emploi
? On peut parler d'eldorado, car il est toujours possible de trouver un emploi, que l'on soit surqualifié ou sans diplôme. Mais si les salaires sont plus élevés qu'en France, le coût de la vie l'est également, en moyenne supérieur de 30 %. |
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Au prestigieux Hotel Clarence
Laetitia Tricard, 27 ans, manager du restaurant Tearoom
"Pour évoluer, je devais quitter la France, apprendre l'anglais et acquérir l'ouverture d'esprit qui me manquait. Je suis d'abord passée par Patrick Guilbaut en 2001. Mais ce restaurant est un îlot de Français : on vit et on travaille avec ses collègues, on finit par s'enfermer dans ce microcosme. J'ai décidé de couper le cordon : contactée par le F & B du Clarence, j'ai commencé comme chef de rang et vécu une progression rapide : breakfast manager, assistante manager, puis manager, en 3 ans. Je gère désormais une équipe de 17 personnes en salle avec le défi de faire du Tearoom une vraie brasserie de luxe, soit un gastronomique pas prétentieux et dont on tient les prix. C'est difficile de planifier la durée d'un séjour à l'étranger car beaucoup d'opportunités peuvent se présenter une fois sur place. L'expatriation est essentielle, même s'il faut 6 mois d'adaptation pour combler le fossé culturel qui nous sépare de l'Irlande. Pour m'imposer en tant que femme et non diplômée de l'école hôtelière, j'ai dû prouver mes compétences en travaillant beaucoup et en étant prête à faire toujours plus. En restant en France, je n'aurais pas évolué aussi vite."
Laetitia Tricard, 27 ans, manager du Tearoom, restaurant du prestigieux Hotel Clarence.
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Les adresses des restaurants cités
Au bar à vin Paradox Véronique Lagrange, 24 ans, sommelière "Après un BTS spécialisation sommellerie à Bordeaux,
jai posé mon CV en agence et vite reçu des offres de létranger. Cest
ainsi que je suis arrivée chez Thorntons, (restaurant irlandais 2 macarons à
Dublin) où jai travaillé avec Julien Joucan en tant quassistante
sommelière. Je sortais de lécole, il ma prise sous son aile et ma mise
en confiance. Jai pu vite progresser. Quand Julien est parti, les choses ont
changé, je napprenais plus rien alors jai préféré rejoindre le French
Paradox qui me proposait un meilleur salaire et un emploi plus diversifié : gérer
une boutique et son point de vente, faire létiquetage, réapprovisionner les
stocks, réorganiser la carte tous les mois, conseiller un client, mettre certains crus en
valeur. Je donne aussi des cours au personnel et janime des séances de dégustation
pour la clientèle. Un poste touche-à-tout qui me convient bien." |
Eric Tygaert, patron de La mère Zou "Je suis entré en cuisine à 27 ans. En 1989, jai rejoint Les frères Jacques où jai obtenu la place de chef au bout de 6 semaines : un défi pour le jeune commis que jétais ! Pour être à la hauteur, je me suis investi à fond et jai oublié le mot vacances ! Jai pris ce challenge sérieusement sans essayer den faire de trop. Jai donc appris la technique dans les bouquins et je suis allé manger tout seul chez Patrick Guilbaut pour comprendre ce que les livres ne me disaient pas. Jai pris ce quil y a de bon ailleurs car je ne suis pas un génie. En regardant Jean-Jacques Caillabet faire, jai acquis une méthode et le sens de lorganisation : les notions de food cost, la gestion des comptes, ainsi que la relation à la clientèle. Après 3 ans dexpérience, je me suis senti prêt à monter ma propre affaire, une idée fixe ! Grâce à ma bonne connaissance du marché et aux facilités dinvestissement que présentait lIrlande, jai pu me lancer. Jai cherché dans les pages jaunes jusquà trouver un cabinet qui ne refuse pas mon projet : je me suis mis en relation avec un comptable irlandais qui débutait et voilà comment est née la Mère Zou en 1994. Jai emprunté 25 000 E et cest la maison que je venais dacheter avec mon épouse à Dublin qui a servi de caution. Si javais su, je ne laurais jamais fait, cétait inconscient. Mais sans cette prise de risque, on ne se lance jamais. La période dincertitude a duré 2 ans pendant lesquels jai dû remplacer au pied levé une équipe fluctuante, en salle comme en cuisine. Je nai pas pris un seul jour de vacances pendant 3 ans. On na jamais perdu dargent mais je ne pensais pas que ce serait aussi dur. Mes principes : faire ce que jaime, cest à dire un restaurant dans lequel je voudrais aller manger. La réussite tient dans le fait de se faire plaisir à soi. Connaître sa concurrence et sa clientèle, donner une identité à son établissement. Considérer ses employés comme un investissement et non une charge." |
A La Cave Akim et Margaret Beskri en sont le couple-patron depuis 17 ans Akim et Margaret se sont rencontrés à Oujda, à la frontière
Maroc-Algérie en 1974. Ils sinstallent en France plusieurs années : elle se
lance dans le vin et lui dans la cuisine. En 88, retour à Dublin doù vient
Margaret. Lidée est alors de monter un bar a tapas, mais le projet est trop en
avance sur son temps. Pourquoi ne pas monter un bistrot ? Doù un 1er bar à
vin avec assiettes de charcuterie et fromage, puis des plats plus consistants sont
ajoutés à la carte. Depuis, la cave sest grandement étoffée (plus de 300 crus y
vieillissent). Quant à la cuisine, Akim lapprovisionne lui-même en allant à
Rungis chercher ses produits "sinon tout le monde servirait la même chose. Il ne
suffit pas douvrir un établissement, il faut être présent sur le terrain"
Le couple compte 90 % dhabitués et samusent dêtre devenu un peu
agence matrimoniale. Leurs fidèles tablées de noël sont renommées dans toute la ville. |
Olivier Quenet, patron de la Maison des gourmets "Après un apprentissage en cuisine, jai travaillé chez Le Doyen et Bruno (2 et 3 macarons). En 1996, je suis parti apprendre langlais chez les Frères Jacques, puis chez Commons (1 macaron) et enfin chez Patrick Guilbaut où je suis devenu second pendant un an. En 99, je me suis associé avec un autre français pour ouvrir une boulangerie-pâtisserie et traiteur en ville qui a connu un succès fulgurant. On a agrandi lunité de production, puis on sest recentré sur lactivité boulangerie-viennoiserie, qui connaît un meilleur potentiel et que lon peut maîtriser sur tout le processus de fabrication. En novembre 2002, un incendie a détruit lune des 2 boutiques : une catastrophe qui ma permis de rebondir. En 6 mois, est lancé et monté le projet d une boulangerie de 70 employés fournissant tout Dublin. On a gardé tous les personnels qui avaient perdu leur emploi avec lincendie. En 8 mois, on est revenu au CA davant lincendie. Pour convaincre les banques de financer ce projet a hauteur de 2,2 millions d, jai parlé de ma passion, le pain. Le produit est facile à vendre : il est unique sur le marché et sort de lordinaire irlandais. Le pain a sa vie, cest une science à part entière". |
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L'Hôtellerie n° 2958 Hebdo 5 janvier 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE