du 9 novembre2006 |
VINS |
LE RESTAURATEUR FACE AUX NOUVEAUTÉS DE L'OENOLOGIE
Capsules à vis, copeaux de chêne… Évolution ou révolution ?
Journellement, nos amis restaurateurs sont confrontés aux polémiques que suscite l'utilisation de nouveaux matériaux, tels que la capsule à vis et les copeaux de chêne, pour l'élaboration ou la présentation des vins. Les clients veulent connaître leurs réactions. Bien évidemment, qu'il s'agisse des clients ou des restaurateurs, il y a ceux qui sont contre (présentement majoritaires) et ceux qui sont pour. Qui a raison ?
Par Paul Brunet, auteur des sujets interactifs Le vin et les vins au restaurant et Le vin et les vins étrangers
L'utilisation croissante de nouveaux matériaux, tels que les capsules à vis et les copeaux de chêne, ne signifie pas la fin du bouchon de liège traditionnel ni la mise à l'écart de l'élevage classique en fûts. |
L'objectif de cet article n'est pas de vous apporter une réponse toute faite, mais de faire le point sur la situation actuelle et prévisible, sachant qu'il faut avant tout raison garder et que ces évolutions répondent à une demande très forte, surtout sur nos marchés extérieurs, mais aussi, même si c'est à un degré moindre, de la clientèle hexagonale dont les goûts évoluent. Il y a quelques décennies, un bon vin rouge ne pouvait être qu'un vin élevé plusieurs années en cave. De nos jours, la majorité des clients recherchent plutôt des vins jeunes, souples, faciles à boire. Les restaurateurs l'ont bien compris : ces vins sont de plus en plus présents sur les cartes ou parmi les suggestions de vins au verre. Cette dernière formule, qui a été longue à mettre en place en France, connaît un succès croissant. Elle permet au restaurateur de faire découvrir ses coups de coups de coeur, souvent des appellations peu médiatisées, et à l'automobiliste de reprendre le volant sans problème. C'est également un excellent moyen pour faire découvrir au client que les évolutions technologiques n'ont pas que des aspects négatifs. Encore faut-il être en mesure de justifier ces évolutions, et d'expliquer que l'utilisation croissante de nouveaux matériaux, tels que les capsules à vis et les copeaux de chêne, ne signifie pas la fin du bouchon de liège traditionnel ni la mise à l'écart de l'élevage classique en fûts. En règle générale, la plupart des restaurateurs sont en mesure d'expliquer à leurs clients l'influence de l'élevage des vins en fûts, voire l'influence non négligeable de l'origine du bois (Limousin, Tronçais, Hongrie…). En revanche, ils ne sont pas toujours informés de ce que peut apporter l'utilisation des nouveaux matériaux surtout en ce qui concerne les copeaux ; il faut savoir que le choix de ces copeaux et leur traitement tendent à répondre aux mêmes critères que pour les fûts : origine du chêne, différents types de chauffe, granulométrie, etc.
L'utilisation des copeaux
de bois constitue-t-elle un sacrilège ?
Depuis la fin de l'année
2005, l'Union européenne autorise l'utilisation de copeaux de bois lors de
la vinification et de l'élevage des vins. En attendant la transposition de
cette directive dans la réglementation française, les médias prennent
partie, interrogent les spécialistes, s'offusquent ou se réjouissent de
cette 'intrusion'. Le débat devient souvent passionnel. Prenons un peu de recul.
Pourquoi l'utilisation de copeaux, d'abord limitée aux vins de début de
gamme, est-elle en train de gagner du terrain ?
L'objectif principal est d'apporter
un goût 'boisé' au vin, y compris lorsque celui-ci est élevé
en cuves inox. Cette pratique est de plus en plus utilisée. Pourquoi ? Pour
répondre au goût de certains consommateurs, dont ceux du Nouveau Monde
où cette technique est utilisée depuis presque 20 ans ; et pour réduire
l'achat des fûts de chêne dont les prix ne cessent de monter, ce qui
a des répercussions très sensibles sur les coûts de revient. D'autre
part, les copeaux présentent un avantage que beaucoup de metteurs en marché
apprécient : il est plus facile de
maîtriser
le côté 'boisé' en jouant sur la quantité et le moment où
ils sont incorporés au vin.
Mais attention ! Après l'engouement pour
les vins 'boisés', la plupart des consommateurs recherchent maintenant des
vins plus fruités, moins marqués par le bois (fûts neufs ou copeaux
en excès). Faut-il pour autant condamner ces techniques ? Que nenni ! L'utilisation
de fûts neufs pour les vins qui le méritent ou le fait d'ajouter avec
discernement des copeaux de qualité pour certains vins ne sont pas condamnables.
D'ailleurs, comme le fait remarquer, à juste titre, la Fédération
française de la tonnellerie, "la production de copeaux et la fabrication
de barriques ne s'opposent pas mais se complètent". Au demeurant, plusieurs
tonneliers sont également producteurs de copeaux.
Du bouchon de liège à
la capsule à vis
Même si plusieurs
sondages mettent en évidence que les Français restent très attachés
au bouchon de liège, force est de constater que ce dernier laisse de plus en
plus la place aux bouchons synthétiques, aux bouchons en verre et à
la capsule à vis. Utilisée depuis une vingtaine d'années en Suisse
et dans certains pays du Nouveau Monde, cette capsule, gage de progrès pour
les uns, aberration pour les autres, gagne chaque jour du terrain. Il y a quelques
années, à l'initiative des producteurs néo-zélandais, des
recherches très pertinentes ont été effectuées sur le sujet.
Dernièrement, a été créé l'International Screw Initiative,
qui donne une dimension mondiale à ces recherches. Une fois de plus la France
va-t-elle rester sur le bord du chemin ? Ça ne semble pas être le cas.
En effet, après des essais timides, d'abord limités aux vins de début
de gamme à boire rapidement, on retrouve maintenant la capsule à vis
sur certains crus de pessac-léognan et de chablis, et non des moindres…
Citons également un producteur alsacien qui utilise ladite capsule depuis 2001,
et vend déjà près des 2/3 de sa production sous cette présentation.
Il va franchir un nouveau pas en proposant son Grand Cru Schlossberg 2005 de cette
façon "pour éviter les goûts de bouchon et autres déviances
aromatiques provoquées par le liège", dit-il. En effet, à tort
ou à raison, souvent à tort, le liège est accusé de tous
les maux. Quel restaurateur n'a jamais été confronté au fameux 'goût
de bouchon' vrai ou supposé… ? Supposé, car en effet, des études récentes
ont démontré que le liège n'est pas le seul responsable de cette
déviance aromatique généralement due à la présence de
2,4,6-trichloroanisol (TCA)*. Malgré le risque, important de 'goût de
bouchon' (d'aucuns n'hésitent à avancer la proportion de 1 bouchon sur
10), le liège est et restera le bouchage préféré de nombreux
oenophiles. Mais il faut savoir qu'il est, et qu'il sera, de plus en plus difficile
de trouver des bouchons de première qualité. À cela plusieurs explications
: une demande mondiale en progression constante et le temps nécessaire entre
la décision de planter un chêne-liège et la première récolte
(une quarantaine d'années !).
La question n'est pas de savoir
s'il faut être pour ou contre ces évolutions, mais
de savoir quelle attitude adopter vis-à-vis de la clientèle
Si les clients acceptent
assez facilement les bouchons synthétiques dont la présentation rappelle
celle du bouchon de liège, il en va différemment pour les capsules à
vis, surtout pour la clientèle française. Pour quelles raisons ? L'expérience
prouve que les Français dans leur ensemble sont toujours très méfiants
face aux innovations. Cette constatation semble exacerbée pour tout ce qui
touche à notre patrimoine gastronomique. Pour s'en convaincre, inutile de
remonter à Parmentier : il suffit de se rappeler la méfiance des consommateurs
au début des produits surgelés. De nos jours, ces produits répondent
à un besoin et n'empêchent pas nos concitoyens de consommer de plus
en plus de produits frais, traditionnels et labellisés.
Une fois de plus, les restaurateurs,
qui restent les meilleurs prescripteurs de notre production et de notre patrimoine
vitivinicole, ont un rôle à jouer. Pour ce faire, et avant de prononcer
un jugement définitif, il serait souhaitable d'initier les clients à
des dégustations comparatives (éventuellement à l'aveugle) avec
des vins vinifiés et élevés de façon classique et des vins
que d'aucuns n'hésitent à traiter "d'hérétiques" avant
même de les avoir goûtés. C'est peut-être le meilleur moyen
de mettre en évidence que ces différentes approches de la vinification
et de l'élevage des vins sont plus complémentaires que concurrentes. Les
élevages industriels de volailles n'ont pas sonné le glas des élevages
traditionnels. Bien au contraire ! À méditer…
* Il existe maintenant des technologies de pointe pour l'extraction du TCA (Revtech, Diamant…)
Petite histoire du liège
Le liège était déjà utilisé par les Égyptiens pour obturer les amphores. En France, Dom Pérignon (1638-1715) considérait le liège comme le meilleur bouchage existant pour conserver son champagne. C'est d'ailleurs à partir des observations du célèbre moine bénédictin que le bouchon de liège s'est imposé sans partage. Mais depuis quelques décennies, la suprématie du liège est contestée. Pour quelles raisons ? Comme chacun sait, le liège est produit à partir de l'écorce du chêne-liège (quercus suber). Surtout cultivé dans la péninsule ibérique (3/4 de la production mondiale), le chêne-liège pousse de façon très lente. Il faut une quarantaine d'années après la plantation pour obtenir la première récolte, la suivante n'intervenant qu'une dizaine d'années plus tard (lire sur le site interactif Le vin et les vins au restaurant le chapitre consacré à la conservation des vins). |
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L'Hôtellerie Restauration n° 3002 Hebdo 9 novembre 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE