du 2 mars 2006 |
PIONNIER |
Dans les années 1960, une véritable révolution a secoué l'univers de l'hôtellerie-restauration. Toute une génération d'entrepreneurs- véritables pionniers dans la profession, au parcours souvent aventureux, parfois hors normes - a de fait chamboulé l'histoire des CHR au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Portrait du parcours de l'un d'entre eux.
Michel Kosossey
Jo Olivereau, fondateur de la chaîne Relais & Châteaux
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Le
14 février 1932, naît sur les bords du Loir entre Maine et Touraine,
Joseph Olivereau. Après des études au collège Saint-Louis du Mans,
Jo Olivereau est reçu à l'ESCP dont il sortira en 1953 avec une spécialisation
commerce extérieur. Après son service militaire en Algérie où
il sert en tant qu'aspirant, Jo entre chez Simca au service export où il voyage
beaucoup, en Amérique et en Europe. Il découvre alors l'hôtellerie
en tant que client, et remarque déjà les mauvais côtés des
prestations. Avec sa formation et son expérience, il sait qu'il faut aller
au-devant des attentes des clients. Cette approche consumériste est, à
l'époque, plus que virtuelle dans l'hôtellerie-restauration, secteur
où la fonction marketing est apparue plus tard que dans les autres grands secteurs
économiques.
C'est pendant ces 7 années passées chez
Simca que Jo devient un expert ès hôtellerie sans le savoir ! Ce qu'il
ne savait pas non plus, c'était que la vie lui préparait une des surprises
dont elle a le secret : il allait devenir hôtelier par la grâce du mariage
!
Des Relais de Campagne aux
Relais & Châteaux
En 1963, Jo Olivereau épouse
Liz, la fille des propriétaires du Domaine de la Tortinière à proximité
de Tours (37), maison
traditionnelle jusqu'alors tenue par la famille de sa femme. Jo peut mettre progressivement
en oeuvre ce qu'il a appris et vu, et l'appliquer, grandeur nature, à la grande
satisfaction des clients de la Tortinière. Ses idées neuves, sa réelle
passion pour l'hôtellerie trouvent alors un véritable terrain d'expression
et un tremplin qui vont l'amener à présider plus tard la chaîne
la plus prestigieuse du monde. Les Relais de Campagne ont été créés
quelques années plus tôt par Marcel Tilloy, ancien chansonnier reconverti
dans l'hôtellerie à La Cardinale - dont s'occupe principalement Mme
Tilloy - à Baix (07). Marcel Tilloy a également ouvert une usine de
confitures qui porte son nom. C'est un personnage dont Jo se rappelle la fantaisie
et l'esprit, et qu'il allait bientôt seconder en tant que vice-président
de la chaîne Relais de Campagne. Mais ces derniers n'ont pas encore intégré
les vertus de la concurrence, et il n'est pas possible de recruter un nouveau Relais
s'il est situé à moins de 50 km d'un autre… Relais. Difficile
à concevoir du côté des châteaux de la Loire où la
densité des candidats et la clientèle justifient la forte présence
d'un hébergement haut de gamme.
À l'origine, les Relais étaient au
nombre de 8, puis 19 la seconde année pour atteindre les 29 unités la
3e année. 10 d'entre eux étaient à l'étranger et
'La route du bonheur' passait
les frontières. Une personne à Paris servait de correspondant, et à
Baix, Marcel Tilloy employait une demi-personne à mi-temps pour les Relais.
M. Traversac était l'un des principaux animateurs
des Châteaux Hôtels et Vielles Demeures - avec M. Thuilier, L'Oustau
de Beaumanière aux Baux-de-Provence. Jo Olivereau s'est alors ingénié
à rapprocher les deux groupements qui se livraient souvent une guerre inutile.
En 1971, Jo devient président des Relais de Campagne, et c'est seulement fin
1974 que naît la chaîne Relais & Châteaux.
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La plus belle des chaînes
Entre-temps, en 1972, Jo
Olivereau a créé les Relais Gourmands avec Pierre Troisgros. Pendant les
17 années de sa présidence, Jo Olivereau va donner à l'organisation
une véritable dimension internationale. La chaîne s'étend progressivement
sur les 5 continents : la sélection des nouveaux élus est extrêmement
rigoureuse, les moins bons sont inexorablement écartés, car Jo est persuadé
que "la chaîne a la force de son maillon le plus faible", et apporte
aux Relais & Châteaux une rigueur qui va en faire 'la plus belle chaîne
du monde', la plus enviée aussi. Le nombre de candidats est considérable,
et aucune faiblesse n'interviendra dans la rigueur que Jo a su imposer et
qui sera perpétuée par son successeur Régis Bulot.
Les meilleurs hôtels, les plus grands chefs
se retrouvent ainsi sous la bannière Relais & Châteaux et Relais
Gourmands, et pour porter très haut l'image de l'Hexagone à travers
le monde.
Pendant toutes ces années, l'effort
principal porte sur la commercialisation. Présence dans toutes les grandes
manifestations internationales, contacts avec les principaux dirigeants de la planète,
chaque établissement devient une ambassade des Relais & Châteaux
à travers le monde. C'est ainsi que l'adhésion à la chaîne
provoque mécaniquement une progression du chiffre d'affaires de 20 % grâce
à la notoriété qu'elle a acquis. L'effort porte aussi sur les achats,
et les plus grandes marques s'honorent de figurer (moyennant finances) dans le guide
prestigieux des Relais & Châteaux.
Jo Olivereau est reçu par le pape Jean-Paul II avec plusieurs collègues. Il garde un souvenir particulier de cette rencontre. |
La France qui rayonne
Pour beaucoup de professionnels,
l'appartenance au réseau est une récompense suprême de la qualité
de leur savoir-faire, de leur lieu, de leur acharnement sans faille. Jo Olivereau
se rappelle qu'il fera de nombreux déplacements en compagnie de son ami Paul
Dubrule, et qu'à eux deux, ils auront souvent le sentiment de représenter
la France. Paul Dubrule rappelle d'ailleurs qu'il se sent orphelin lorsque les Relais
& Châteaux ne sont pas du voyage ! Ce rapprochement a le don d'irriter
les caciques de la profession puisqu'il modifie un paysage hôtelier immuable
depuis des décennies, où le président de la plus grande organisation
professionnelle est resté en place pendant près de 30 ans ! Les Relais
& Châteaux incarnent maintenant la France du luxe, la France qui rayonne avec Moët, Louis Vuitton, Saint-Laurent
ou Baccarat. C'est l'expression d'une culture, d'une forme de perfection qui, à
l'étranger, est pour beaucoup l'image du bon goût. C'est devenu un label
de l'image du pays.
C'est le résultat est le résultat d'une
volonté, d'un travail acharné, inlassable, dont Jo Olivereau a été
l'incarnation pendant des années. Cette fois, un regroupement de professionnels
a pour priorité de défendre les clients et pas seulement les professionnels.
Jo se rappelle bien de cette époque où les élus professionnels perçoivent
les Relais comme des empêcheurs de tourner en rond. Jo Olivereau tient à
le souligner, car pour lui, c'est l'une des plus grandes difficultés qu'il
a eu à affronter pendant sa présidence.
Le siège des Relais & Châteaux
est à Paris et emploie une dizaine de personnes au début des années
1980 dans une ruche longtemps située à l'Hôtel de Crillon, place
de la Concorde.
Pendant toutes ces années où
Jo Olivereau a tenu les rênes et occupé le devant de la scène, il
insiste sur l'équipe soudée avec laquelle il a oeuvré. Il rend un
hommage particulier à Pierre Troisgros de Roanne (vice-président), Gérard
Blot, Hôtellerie de Château à la Fère-en-Tardenois (trésorier),
à Alain Rabier, du Château d'Artigny, à Jean-Michel Bodinaud,
du Château de Nieul en Charente, à Marie-France Mille, Le Prieuré
à Villeneuve-lès-Avignon ou encore à Régis Bulot, qui animait
la pépinière des chefs… sans oublier la directrice générale
Liz Olivereau, qui, à elle seule, abattait le travail de 3 personnes. Les
frais de déplacements à leur compte, les coffres pleins
pour aller dans les workshops, la distribution
des guides de la chaîne, les journées passées à l'étranger
pris sur les temps de loisirs, etc.
Avec Alain Poher (avec lequel il entretenait une relation beaucoup plus que protocolaire), président du Sénat, à l'occasion du 30e anniversaire des Relais & Châteaux. |
D'autres challenges
Pendant ses 17 années
de règne, Jo Olivereau se démultiplie, rayonne et acquiert une notoriété
qui va faire de lui une personnalité recherchée. Il passe la main en 1987
à Régis Bulot. Mais Jo Olivereau ne s'arrête pas là. En
1986, il devient le conseiller technique de M. Descamps, alors ministre du Tourisme,
pour s'occuper de l'image de la France. En contact avec le ministre Alain Madelin,
il se rappelle qu'en arrivant à son poste, celui-ci ne voulait plus d'énarques
dans son entourage ! Jo Olivereau découvre alors le 'mal français',
la mainmise de l'administration -les ministres sautent, mais les énarques règnent
! Il découvre ses arcanes avec une certaine surprise. Dans le même temps,
il apprend à s'y frotter et considère que cette étape est nécessaire
pour obtenir des résultats.
Jo Olivereau a montré pendant
toutes ces années une volonté sans faille, une capacité à
maintenir le cap en toutes circonstances. Jo continue d'apporter ses compétences
au conseil économique et social d'Île-de-France -où il représente
le comité régional du tourisme - et exerce une activité de conseil
d'entreprise.
Un homme totalement en prise
avec son temps
Jo Olivereau a reçu
de multiples décorations en France et à l'étranger, dont la Légion
d'honneur. Il a gardé un physique de jeune homme, s'impose une séance
quotidienne de gymnastique, marche ou prend systématiquement le métro,
pratique discrètement le golf avec l'un de ceux avec qui il a su tisser des
liens d'une rare solidité. Il croise les grands de
ce monde, mais vous ne le trouverez pas dans la rubrique people des journaux. Jo
Olivereau est totalement en prise avec son temps. Le sourire reste merveilleusement
aimable et accueillant sans altérer la force de caractère. L'une de ses
fiertés est de voir son fils aujourd'hui à la tête de la Tortinière,
présider aux destinées de la chaîne des Relais du Silence. Mais
Jo s'interroge sur l'avenir de ces magnifiques maisons. Comment trouver un équilibre
entre des investissements énormes, un recrutement difficile, des prix de prestations
qui semblent avoir atteint leur limite et une rentabilité aléatoire ?
Et pourtant, comme le montrent Joël Robuchon ou Alain Ducasse et beaucoup d'autres,
le Français sait être conquérant. Encore faut-il qu'il puisse
le rester dans son propre pays. Pessimiste, Jo ? Ce n'est pas lui. Non, lucide comme
toujours ! n
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EN DATES
1971
Jo Olivereau succède à Marcel Tilloy à la tête des Relais de campagne
1974
Naissance de la chaîne
Relais & Châteaux
1987
Passe les rênes à
Régis Bulot à la tête de la chaîne
1988
372 Relais & Châteaux
(150 en France et 222 hors France)
2005
450 Relais & Châteaux
(150 en France et 300 hors France)
Novembre 2005
Élection de Jaume Tapiès président de 'la
plus belle chaîne du monde'
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L'Hôtellerie Restauration n° 2966 Magazine 2 mars 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE