du 1er juin 2006 |
PIONNIERS |
Dans les années 1960, une véritable révolution a secoué l'univers de l'hôtellerie-restauration. Toute une génération d'entrepreneurs - véritables pionniers dans la profession, au parcours souvent aventureux, parfois hors normes - a de fait chamboulé l'histoire des CHR au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Portrait du parcours de l'un d'entre eux.
Michel Kosossey
Laurent Caraux, créateur de Pomme de Pain
Pomme de Pain a bien évolué en 1985. Ici à Bordeaux : le menu-board est appétissant, l'information est claire. L'enseigne est maintenant prête pour un développement à grande échelle. |
Né
le 9 novembre 1949 dans le VIIe arrondissement de Paris, fils d'un directeur
commercial de la Compagnie Nationale Air France, Laurent Caraux grandit avec "une
certaine idée de la France". Diplômé de l'Essec en 1973, il
fait son service militaire comme coopérant à l'ambassade de France en
Haïti en tant qu'attaché commercial. Pendant ses années d'études,
il est steward saisonnier à Air France et complète sa formation pour
se rapprocher d'un métier pour lequel il s'est toujours destiné : l'hôtellerie.
Il entre à l'université de Cornell, la référence ultime en
matière de formation aux métiers de l'industrie hôtelière.
De retour en France, il prend contact avec Paul Dubrule - le président du groupe
Novotel -, qui lui propose d'entrer directement dans le vif du sujet avec un poste
de terrain : sous-directeur du Novotel de Survilliers, pour voir accessoirement
s'il "tiendra le coup" !
Deux mois après son entrée dans la société,
son directeur est remercié et Laurent se retrouve responsable de l'établissement
! Rapidement, il est nommé directeur du Mercure Saint-Witz puis du Novotel
de Créteil, à l'époque l'un des plus importants établissements
de la chaîne avec 110 chambres. L'hôtel vient d'être repris en
filiale, et Laurent Caraux a la charge de le remettre aux normes Novotel. C'est
un magnifique chantier auquel il prend beaucoup de plaisir, et dans lequel il acquiert
rapidement une image de bon professionnel. Mais il est déjà tenaillé
par un autre projet - qu'il va faire aboutir - tout en assurant ses responsabilités
chez Novotel.
C'est
plus fort que lui. Il veut créer son entreprise. Dans l'Hexagone, l'implantation
de McDonald's en est encore à ses balbutiements ; Brioche Dorée, totalement
inconnue, a ouvert dit-on un petit établissement à Brest ; quant à
Free Time, qui veut s'essayer dans le hamburger avec son pain long, le concept est
encore dans les cartons. Laurent a fait son choix : ce sera béret-baguette
assaisonné des méthodes américaines. En un mot, la restauration rapide
à la française. Les fondamentaux de Pomme de Pain sont alors esquissés
: qualité, produits frais manipulés devant le client, portions généreuses,
recettes élaborées à partir de produits 100 % français.
Bref, du professionnalisme pour le 'sandwich' qui souffre d'un grand amateurisme.
Laurent Caraux devant la façade de l'une des premières unités Pomme de Pain rue de Rivoli. |
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25 points de vente en 8 ans
Il fait part de son projet à son directeur
délégué chez Novotel, Bernard Vaillant, basé à Fontainebleau.
"Banco !" Il l'accompagnera par la suite. Lorsqu'il trouve son premier site
rue de Rivoli, il a deux soucis : informer Paul Dubrule de son projet - sachant
qu'il sera obligé de quitter le groupe Novotel, au sein duquel il compte déjà
beaucoup d'amis - et mobiliser les sommes nécessaires au montage de cette première
ouverture. Il informe donc le président de Novotel de ses intentions. La réponse
de ce dernier est sans ambiguïté : "J'ai 3 solutions : soit je vous
vire, parce que vous ne passez pas 100 % de votre temps à vous occuper de
votre hôtel, soit je vous fais confiance et je prends 51 % du capital, ou
alors je prends 10 % et vous accompagne discrètement. Cette 3e solution
m'irait bien, mais j'y mets une condition : vous vous engagez à ne débaucher
personne de chez moi !" Avec un 'business angel' de ce gabarit, il trouve les
partenaires nécessaires à un tour de table qui réunit 1 MF (150
000 E), et obtient un crédit de 400 000 frs (60 000 E). Laurent Caraux démarre
donc avec 10 % du capital comme
Paul Dubrule, et le 1er janvier 1980, il part ouvrir sa première
unité Pomme de Pain rue de Rivoli. Il a alors 29 ans et peut maintenant libérer
son 'chromosome d'entrepreneur'.
Le démarrage de la
1re unité Pomme de Pain est lent. Totalement investi dans les aspects
techniques et la qualité, Laurent Caraux apprend très vite que "vous
pouvez avoir le meilleur produit du monde, si vous ne savez pas le vendre, il vous
reste sur les bras".
Dans les 24 mois qui vont suivre,
Pomme de Pain ouvre 2 autres unités : l'une au centre commercial Galaxie (Place
d'Italie) ; la seconde au palais des congrès (porte Maillot), qui connaîtra
3 agrandissements successifs devant le succès de ce nouveau concept. Dans cet
univers de luxe, Pomme de Pain réalise d'incroyables performances, la jeune
chaîne surfant sur le rejet par la clientèle aisée du 'fast-food'
qui commence alors à se déployer sur la capitale.
Le développement se poursuit,
et de 1980 à 1988, Pomme de Pain ouvrira 25 établissements, dont 5 en
franchise. Au fur et à mesure de cette croissance, Laurent Caraux augmente
sa participation au capital qui passe de 10 à 39,5 %, et fait également
entrer de nouveaux partenaires dans son tour de table.
Si le concept trouve rapidement son
marché, après 3 ou 4 établissements, il faut passer d'un stade artisanal
à un stade semi-industriel sans perdre les fondamentaux : la qualité
des produits, la fraîcheur érigée en dogme, un comportement orienté
'consommateurs'. En somme, toutes les qualités qui fidélisent une clientèle.
Techniquement, Laurent Caraux a beaucoup travaillé son produit et la partie
technique est conçue avec le même soin. Le 'coeur du réacteur',
ce sont 2 salades-chef disposées perpendiculairement. Tout le mode opératoire
s'organise autour de ce noyau central et fait l'objet d'ajustements constants, permettant
d'optimiser la productivité. Concernant les produits de boulangerie, Laurent
travaille notamment avec Charles Gavelle, un grand professionnel, qui partage avec
lui l'amour de la qualité. Né dans le pétrin, ce dernier ne connaît
que le beurre 1er choix pour les viennoiseries et part en courant dès
qu'il entend parler de 'beurre carotte'…
Les croissants sont roulés à
la main suivant des méthodes ancestrales. Seule concession à la modernité
: une réfrigération temporaire pour arrêter la pousse et permettre
de les transporter. Ce ne sera que 5 ans après la première ouverture que
l'on s'essaiera prudemment à la congélation. C'est avec Charles Gavelle
que Laurent Caraux mettra au point la recette de la fameuse tarte aux pommes de
Pomme de Pain, qui restera longtemps une arme redoutable pour fidéliser la
clientèle…
Cachant une ferme détermination
derrière une grande sociabilité, Laurent Caraux avance et se prépare
à franchir une étape déterminante en 1988 : ouvrir un magasin sur
les Champs-Élysées. L'ouverture d'un tel point de vente exige un investissement
considérable, et fait peur à plusieurs de ses associés qui ne se
rallient pas au projet et le mettent en minorité. Après cette révolution
de palais, il quitte son bébé, convaincu que cette jeune enseigne peut
prétendre aux plus hautes marches du podium…
L'enseigne des Champs-Élysées
ouvrira quand même et
se révélera être un grand
succès. Pour le reste, l'avenir de Pomme de Pain ne lui appartient plus…
Création de Cauris
Pour se remettre en mouvement,
dès 1989, Laurent Caraux s'associe à Claude Douillard-Elitair pour créer
Aubepain, un produit concurrent de Pomme de Pain. Toujours soucieux d'un haut standard
de qualité, il prend volontairement le contre-pied de Pomme de Pain en termes
d'image en introduisant des notions de douceur et de féminité dans un
concept de restauration rapide. Il assure avec succès un développement
accéléré, notamment dans des concessions (aéroports, gares ou
autoroutes, par exemple). C'est ainsi que 22 Aubepain seront ouverts entre 1989
et 1992.
À cette époque,
les premiers opérateurs de la restauration à thème commencent à
apparaître sur le marché. Laurent Caraux crée alors la société
d'investissement Cauris destinée à accompagner en capital des projets
prometteurs. Il réussit à mobiliser 25 MF (3,8 ME), faisant en sorte
de s'entourer dans son projet par des partenaires prestigieux (Avenir Tourisme et
UI - Union d'études et d'Investissements).
La société
investit dans Acquisition d'Antartic, une chaîne de restaurants de poissons
tous en franchise, qui connaît alors de graves problèmes financiers.
Ce concept aujourd'hui disparu lui apprendra les difficultés inhérentes
à toute reprise d'entreprise et à la gestion d'un réseau de franchisés…
Il en tirera une leçon essentielle pour ses développements à
venir, celle de ne pas s'entêter quand les résultats ne sont pas au rendez-vous… Nouvel essai de reprise d'affaires
en difficulté avec Chantegrill, sans plus de succès, et se dit vacciné
aujourd'hui pour longtemps !
Avec El Rancho, c'est une autre paire de manches…
Le concept, initié en 1992 par Jean-Claude Corda, créateur des concepts
de Del Rio Café et Zuni, précurseur dans le domaine du tex-mex, compte
20 restaurants plus mex que tex et plus ethniques que généralistes. C'est
une chaîne solide, bien gérée, avec un encadrement compétent,
les derniers emplacements démontrant toute l'expertise acquise depuis les premières
années nécessaires au calage du concept.
Béret et sombrero, la
mutation d'une profession…
S'il est cocasse de retrouver
Laurent Caraux dans le plus ethnique des concepts à thème, son parcours
d'entrepreneur est jalonné de nombreuses activités annexes pour la profession
qu'il conduit avec sérieux et sans ostentation. C'est un espace qui lui permet
de rester toujours attentif à ce qui se passe hors de son entreprise, espace
où il aime confronter ses idées à celles des autres, avec une volonté
sans faille de faire avancer une profession dont il connaît bien les difficultés.
Parmi ses grandes fiertés, il met en bonne place les combats menés dans
les années 1980 pour faire avancer la restauration rapide.
Présidant pendant 4 ans
les destinées du Snarr, il réglera le douloureux contentieux avec l'administration
fiscale qui refusait, à l'époque, de reconnaître l'existence de
la vente à emporter (déjà une histoire de TVA…), et il
aboutira à la signature de la première convention collective de ce secteur
en 1988.
Aujourd'hui, administrateur de Procos
(Fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé),
il est responsable de l'atelier restauration de cette organisation devenue la référence
pour tout ce qui concerne l'immobilier commercial, et qui réfléchit très
en amont à toutes les opportunités d'implantation pour toutes les formes
du commerce spécialisé en France.
Parallèlement, il préside
un syndicat professionnel, le Syndicat national de la restauration à thème
des chaînes (SNRTC), qui rassemble la plupart des chaînes qui opèrent
en France. Ce syndicat, qui se veut avant tout technique, laisse les combats plus
politiques à des organisations plus en vue, mais sa discrétion n'enlève
rien à la volonté de mieux valoriser les métiers de ce secteur
pour y attirer des collaborateurs talentueux.
Bien sûr, Laurent Caraux garde
un oeil sur la restauration rapide 'à la française'. S'il a regretté
pendant quelques années que Pomme de Pain ne soit pas devenu le leader incontesté
de la sandwicherie, ralenti par ses problèmes internes, ses changements d'actionnariat,
c'est avec un certain plaisir qu'il voit les dernières évolutions positives
du produit sous la houlette de Pascal Humblot. Il a beau avoir troqué le béret
pour un sombrero, il reste un observateur attentif d'un segment qu'il a contribué
à modifier en profondeur. Ses bureaux restent installés à Créteil,
tout près du Novotel où il a été directeur, il y a près
de 30 ans. Les pionniers restent toujours fidèles à leurs origines…
Dans son style discret - il se déplace toujours en scooter -, c'est sa manière
a lui de montrer qu'il garde bien les mains sur le guidon, conservant la souplesse
nécessaire pour s'adapter aux évolutions continuelles du marché et
arriver avant les autres aux prochains rendez-vous de la profession…
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EN BREF
Naissance 9
novembre 1949 à Paris Création de El Rancho 1996 Reprise de Chantegrill par Cauris 1997 Première franchise El Rancho à Plan-de-Campagne (13) 2005 Laurent Caraux devient 1er actionnaire du groupe El Rancho via un LBO, actionnariat des collaborateurs de l'entreprise Ouverture du 20e El Rancho à Bay 2 2006 Le groupe El Rancho vise un volume d'affaires de 30 ME |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2979 Magazine 1er juin 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE