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du 13 septembre 2007
GASTRONOMIE MOLÉCULAIRE

Quenelles de brochet sauce Nantua : on devine la belle tradition culinaire ! Il y a d'abord le brochet, ce superbe poisson à la chair ferme. Il y a la sauce Nantua, véritable joyau du répertoire classique. Et puis, il y a la quenelle, dont on disait qu'elle était la meilleure en France… mais pourquoi ?
Hervé This

Secret de scientifique

Les clés des bonnes quenelles


Quenelles de brochet à la sauce Nantua : inventez votre recette, mais n'oubliez pas que les quenelles doivent contenir au moins 1 % de protéines coagulantes..

Ne comprenant rien à la confection des quenelles, j'ai collectionné et testé les recettes pendant des années, au point même qu'une journaliste d'un grand journal américain a mangé chez moi des choses qui se défaisaient lamentablement, parce que nous testions ce jour-là une recette qui me semblait idiote… et qui l'était. Finalement, j'ai la clé des quenelles, que je vous livre ici. Tout tient en quelques mots : la chair des viandes et des poissons contient des protéines qui coagulent, comme certaines de celles du blanc d'oeuf.
Pour expliquer la chose, repartons donc de l'oeuf, plus simple que la viande ou le poisson. Plus exactement, partons du blanc d'oeuf, qui est composé de 90 % d'eau et de 10 % de protéines, et non d''albumine'. Sous l'effet de la chaleur, les protéines du blanc d'oeuf coagulent.
C'est la même chose quand on cuit de la viande ou du poisson, parce que ces matières sont faites de fibres, qui enferment également de l'eau et des protéines. Toutefois, les protéines sont différentes : les deux principales sont l'actine et myosine, qui coagulent également à la chaleur, d'où le changement de consistance de la viande qui cuit. Évidemment, le hachage ou le broyage de la viande (ou du poisson) libèrent ces protéines et l'eau des fibres musculaires : on obtient alors une 'soupe' de protéines dissoutes dans l'eau de la viande. Mais une soupe très épaisse : il n'y a cette fois que 76 % d'eau pour 22 % de protéines. Soit deux
fois plus de protéines que dans le blanc d'oeuf : pas étonnant que la coagulation des viandes, lors de la confection des terrines, fasse une masse bien plus dure que le blanc d'oeuf coagulé.

Bien disperser les protéines
D'où une idée : imaginons que nous broyons de la chair, puis que nous ajoutions de l'eau (si possible de l'eau qui a du goût : bouillon, vin…). Si nous cuisons, nous obtenons comme une terrine, mais plus molle ! C'est l'aube de la quenelle !
Combien d'eau peut-on ajouter à de la chair broyée afin qu'elle coagule encore ? Cette question se rapproche de celle que j'avais posée il y a plusieurs années : combien d'eau peut-on ajouter à un oeuf afin qu'il prenne encore ? La réponse était alors 70 cl d'eau pour un oeuf entier, ce qui conduit à une proportion de protéines d'environ 1 % (en masse). Pour la chair, c'est la même chose : on peut ajouter de l'eau et obtenir une coagulation tant que la proportion des protéines reste supérieure à environ 1 % en masse. Soit plus de deux litres d'eau ! Si vous faites l'expérience, il y a fort à parier que vous n'y parviendrez pas, parce que, pour atteindre cette valeur maximale, il faut absolument que les protéines soient bien dispersées dans l'eau, ce qui est difficile à obtenir. Notamment parce que les mixers donnent de mauvais résultat : le mortier s'impose alors, assorti de son pilon et de son huile de coude !
Ce qui nous ramène à des pratiques traditionnelles bien comprises. Les quenelles françaises avaient la réputation d'être les meilleures, parce qu'elles étaient faites au mortier et au pilon, avec, de surcroît, un passage au tamis. Avez-vous déjà pratiqué l'opération ? Vous savez alors combien il faut d'efforts, pour obtenir un beau résultat… mais si c'est là la clé de belles quenelles !

Les oeufs comme la viande contiennent des protéines qui coagulent à la chaleur. Mais il faut broyer la viande pour libérer ces protéines enfermés dans les fibres musculaires.

Ne pas diluer les protéines coagulantes à plus de 1%
À ce stade, nous avons compris que les protéines de la chair, quelle qu'elle soit, viande ou poisson, permettent de faire 'gélifier' de l'eau : celle de la chair pour les terrines, ou celle que l'on ajoute pour des quenelles. Oui, parce que, dans ma collection de recettes de quenelles, j'ai vu de tout. D'abord des quenelles où la chair est broyée, sans aucun ajout : on obtient des objets apparentés aux terrines. Ensuite, il y a des quenelles plus souples, où l'on ajoute de la crème : cette dernière apporte à la fois de l'eau et de la matière grasse. L'eau vient amollir la quenelle, et la matière grasse de la crème apporte de l'onctuosité. Puis, il y a les quenelles les plus fréquentes, au siècle précédent : celles qui sont obtenues à partir d'une panade (souvent à la graisse de rognons de boeuf), de chair broyée et de crème. Cette fois, la panade vient faire du volume ; elle dilue la chair, en apportant de l'eau, mais aussi de l'amidon. La consistance est intéressante, mais la présence de farine est à redouter, parce qu'elle capte les molécules odorantes.
Au total, tout est possible quand on sait que les protéines libérées par le broyage de la chair utilisée peuvent être diluées jusqu'à une proportion de1 %. Comme pour les royales faites à partir d'oeufs, comme pour les oeufs brouillés, comme pour les gelées de gélatine… Conservons cet ordre de grandeur pour les gels : 1 %.
Tout cela étant dit, comment faire de belles quenelles ? Tout est possible, nous l'avons vu. Il peut y avoir du blanc d'oeuf battu en neige (mais pourquoi ne pas faire alors mousser les protéines de la chair ?). Il peut y avoir un ajout de bouillon. Il peut y avoir seulement un ajout de matières grasses. Il peut y avoir ajout d'une émulsion, comme avec la crème. Il peut y avoir ajout d'une panade ou, plus simplement, de mie de pain trempée dans du lait. Il peut y avoir ajout d'une sauce à base de farine, telle une béchamel…
À condition que les protéines aient été bien dispersées, par un patient travail des chairs qui n'élève pas la température au-dessus de 40 °C, sans quoi les protéines risquent de coaguler trop tôt.

Puis faire jouer sa créativité
Allez, munis de cette clé, tentons d'inventer notre propre recette de quenelles de brochet à la sauce Nantua. Cette sauce s'obtient, pour certains, par mélange de sauce béchamel, de crème, de cognac, de bisque d'écrevisses et de beurre d'écrevisses. Mêlée à une quenelle qui contiendrait déjà panade et crème, il y aurait une sorte de redondance un peu lourde, qui risque de faire perdre du contraste, entre la quenelle et sa sauce. Car le contraste est ce que notre cerveau reconnaît ! D'où une première proposition, qui consiste à ménager un beau contraste de consistance, entre une quenelle faite de chair de brochet broyée seule, sans aucun ajout, avec une sauce Nantua classique.
Trouvez-vous la quenelle un peu sèche ? Alors vient une autre proposition, qui consiste à réserver la matière grasse pour la quenelle, en broyant la chair avec la crème et le beurre d'écrevisses, d'un côté, et en faisant la sauce à partir de béchamel, de bisque et de cognac. Ou bien en faisant la quenelle à partir de chair broyée, de Cognac et de bisque, en servant à côté une sauce faite de béchamel, de crème et de beurre d'écrevisses.
Pour des contrastes de goût, en réservant le brochet d'un côté et l'écrevisse de l'autre, on pourrait broyer le brochet avec la crème et la béchamel, tandis que la sauce serait faite de cognac, de bisque, le beurre d'écrevisses étant émulsionné dans le liquide (à l'aide d'un agent émulsifiant, telle la gélatine.
Pour des contrastes de couleur, on réserverait à nouveau brochet, béchamel et crème d'un côté, bisque, cognac et beurre d'écrevisses de l'autre, surtout si l'on ajoute un peu de piment de Cayenne, comme il est souvent stipulé dans les recettes de sauces Nantua. Tout est possible, maintenant que nous savons que les quenelles se tiennent quand elles contiennent au minimum 1 % de protéines coagulantes ! n zzz44

Complément d'article 3046mp62

L'albumine n'existe pas dans l'oeuf ou dans la viande
Nous avons encore tendance à utiliser le mot 'albumine' pour désigner les protéines du blanc d'oeuf. Or, l'albumine, il faut le dire, n'est pas une notion de cuisine mais une notion de chimie… périmée depuis environ un siècle ! r> L'idée de l'albumine est née en chimie, au tout début du XIX e siècle, quand on comprit que certaines matières pouvaient coaguler, pourrir avec une odeur d'ammoniac (en raison de l'azote qui était contenu dedans)… L'albumen, ou blanc d'oeuf, donna le mot 'albumine' pour désigner toutes ces matières.
Toutefois, les chimistes découvrirent rapidement des 'albumines végétales' : matières présentes dans les plantes et qui coagulaient également, et pourrissaient avec une odeur d'ammoniac. Peu après, l'analyse chimique montra des ressemblances entre toutes ces 'albumines' et d'autres matières, comme la gélatine, qui ne coagule pas ; notamment, elles contenaient toute du carbone, de l'hydrogène, de l'oxygène et de l'azote. Puis on découvrit que toutes ces molécules étaient de longues chaînes, dont les maillons étaient les acides aminés. Vers 1910, la chimie abandonna le mot 'albumine' pour adopter celui de 'protéines'. Plus exactement, le mot 'albumine' ne fut pas entièrement abandonné : on le réserva à une famille de petites protéines, telles qu'il s'en trouve dans le sang (l'albumine sérique) ou dans le blanc d'oeuf (l'ovalbumine), par exemple.
Dans la chair, viande ou poisson, il y a très peu d'albumine, mais on trouve surtout des protéines qui assurent la contraction musculaire (puisque la chair, c'est du muscle). Les deux protéines essentielles de la contraction sont nommées actine et myosine. Elles coagulent à des températures de 40 à 79 °C contre 61 °C à plus de 100 °C pour les protéines du blanc d'oeuf.

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L'Hôtellerie Restauration n° 3046 Magazine 13 septembre 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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