Monsieur le Président de la République, nous représentons des milliers de restaurants, d’hôtels, de traiteurs. Nous travaillons chaque jour avec plus de vingt corps de métiers. Nous salarions directement plus d’un million de personnes. Nous sommes le sixième employeur privé de France - le premier si nous prenons en compte également les emplois indirects. Rares sont les Français qui, dans leur famille, n’ont pas un des leurs qui vive directement ou indirectement de l’activité économique que nous générons. Nous produisons, à nous seuls, 10 % du PIB de notre pays.
Nous tous, pour la première fois aussi unis, vous avons interpellé le 22 octobre dernier pour lancer un cri d’alarme. Depuis près de neuf mois, conscients de l’ampleur de la crise sanitaire, solidaires des professionnels de la santé et de tous ceux qui furent en première ligne pour faire face, nous avons accepté les fermetures, les adaptations, les normes nouvelles qui se sont succédé sans que toujours la rationalité ne nous en apparaisse clairement.
Nous avons investi pour inventer de nouvelles manières d’accueillir le public, nous avons emprunté, nous avons maintenu les emplois de nos salariés, nous avons continué à ouvrir pour les Français à un moment où les touristes se sont faits rares. Nous avons répondu présent à tous les appels que vous avez lancés. Pour contribuer à l’effort de la nation tout en essayant de maintenir la tête hors de l’eau.
L’annonce du couvre-feu à 21 heures puis du second confinement nous a, depuis, frappés d’un nouveau coup qui a déjà été fatal à nombre d’entre nous.
Et maintenant, alors que la propagation du virus marque le pas, que vous permettez aux magasins d’accueillir à nouveau leurs clients, alors que nous avons investi, parfois lourdement, pour aménager nos espaces, éloigner les tables, limiter le nombre des clients, éviter les rassemblements debout, vous annoncez que, dans le meilleur des cas, nous pourrons rouvrir… le 20 janvier prochain.
Nous vous avons écouté mardi soir avec beaucoup d’attention pour voir quelle forme concrète prendrait votre fameux «quoi qu’il en coûte». Nous avons été agréablement surpris quand vous avez annoncé que nous pourrions toucher en guise d’aide 20 % de notre chiffre d’affaires de l’année 2019. Puis, nous avons découvert, effarés, que l’aide ne porterait, en 2020, que sur le mois de décembre. En vous entendant, la France et les Français pensent que nous sommes bien lotis, alors qu’en réalité vous sacrifiez notre profession en refusant d’apporter les mesures indispensables à notre survie.
20 % sur un seul mois! Le pire mois de l’année dernière, qui avait déjà été douloureusement marqué par les grèves. Et celui d’avant par la crise des «gilets jaunes ». 20 % sur un seul mois, alors que nous avons été fermés près de six mois pendant cette année 2020!
Vous avez vanté à juste raison la gastronomie dans notre pays, inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité depuis exactement dix ans. Pourtant ce sont aujourd’hui les États-Unis qui compensent jusqu’à 100 % de la perte de chiffre d’affaires de leurs restaurateurs. Et nos voisins allemands jusqu’à 75 %
20 % sur un seul mois! Nous ne demandons pas un geste de charité, mais une compensation réelle à l’inactivité forcée sur près de la moitié de l’année. Le PGE n’est pas une aide, mais un prêt que nous devrons rembourser et qui n’a été octroyé qu’a des entreprises en bonne santé. Et le chômage partiel a heureusement permis de sauver des emplois, mais il a eu un coût pour nous, celui des congés payés sur lesquels rien n’a encore été décidé malgré nos sollicitations acharnées. Voulez-vous nous faire regretter de ne pas avoir licencié une partie de nos personnels?
Monsieur le Président de la République, ne sous-estimez pas la colère qui monte et que nous ne pourrons plus longtemps contenir. Nous avons derrière nous toutes les filières qui vivent de notre activité, les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs, les primeurs, les vignerons, les fleuristes, la blanchisserie, et bien d’autres encore. Nous avons derrière nous toute la jeunesse que nous employons très largement et l’apprentissage qui vous est si cher.
Nous sommes nombreux, nous sommes désespérés et nous sommes en colère.
Monsieur le Président de la République, voilà plus d’un mois que nous vous avons lancé un appel à l’aide et nous n’avons reçu aucune réponse. Pas même un mot qui aurait marqué votre considération. Vous ne pouvez pas vous afficher avec nous à l’Élysée lorsque les temps sont fastes, et nous ignorer lorsqu’ils sont néfastes. Nous vous demandons solennellement de nous recevoir, avec d’autres solutions que des rideaux de fumée ou des hochets qui ne serviront qu’à retarder notre effondrement.
En espérant que les mots suffiront pour vous convaincre de l’urgence à sortir du silence et des fausses promesses.
Les signataires de cette tribune
Mathieu Pacaud, Guy Savoy, Yannick Alleno, Olivier Rœllinger, Olivier Bertrand, Laurent de Gourcuff, Benjamin Patou, Thierry et Gilbert Costes, Jean-Louis Costes, Stéphanie Le Quellec, Arthur Benzaken, Laurent Gardinier, Pierre Gagnaire, Julien Dumas, Anne-Sophie Pic, Jean Imbert, Jérôme Tourbier, Christian Le Squer, Éric Frechon, Thierry Bourdoncle.
Sans oublier les deux collectifs regroupant des centaines de restaurateurs: le Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration (GNI), ainsi que tous les membres du Collectif des Restaurateurs unis et du Collectif Restons ouverts, qui regroupent plus de 500 restaurateurs.
Mais aussi: Sébastien Bazin (Pdt Accor), Jean Virgile Crance (Pdt Gnc), Didier Chenet (Pdt Gni), Hervé Dijols (Pdt Snrtc), Roland Heguy (Pdt Umih)