Maison des bordeaux et bordeaux Supérieur : débat
Environ 100 millions de bouteilles de bordeaux rouge et blanc vendus chaque année dans le monde, et près de 2 sur 3 achetées en grande distribution sont des vins de marque. Invités par le Syndicat des appellations bordeaux et bordeaux supérieur, les principaux négociants de la place ont fait le point. Instructif.
Alors que le prix des grands crus bordelais atteint
des sommets et que les châteaux, de qualité trop hétérogène, se retrouvent en tête
de gondole à prix bradés, les vins de marque ont su séduire les consommateurs. Près de
2 bouteilles de Bordeaux sur 3 achetées en grande distribution en France sont des vins de
marque. Au sein de la GMS, la lutte se joue entre trois types de marques analyse Guy-Henry
Azam à la tête d'Univitis : "Il y a les marques dites 'leaders', vendues sous
des étiquettes fortes telles Mouton-Cadet, Malesan, Baron de Lestac..., puis toute une
série de marques intermédiaires qui cherchent à se positionner derrière ces marques
leaders, et enfin les marques de la grande distribution."
L'évolution des comportements des consommateurs, la concentration de la grande
distribution et la volonté de concurrencer les vins du nouveau monde tout en imposant
bzordeaux sur le plan mondial, ont conduit à des nouvelles stratégies. Dans ce contexte,
quel est l'avenir des bordeaux de marque ? Sur ce thème plus que jamais d'actualité,
négociants et producteurs ont parlé sans détour.
Marques et châteaux : une complémentarité
A Bordeaux, il ne fait aucun doute que les vins de marque capitalisent la notoriété
construite par les châteaux. Leader mondial des marques de bordeaux AOC avec 15 millions
de bouteilles vendues dans 150 pays, Mouton-Cadet, le vin de marque de Mouton-Rothschild,
est "la référence absolue" car il est multi-enseigne, multisecteur et
international, et qu'il cumule aussi taux de notoriété et contenu d'image. On salue sa
réussite, et on cherche à faire aussi bien sinon mieux... Bernard Magrez, p.-d.g. de
William Pitters, le dit haut et fort : "Notre rêve est de nous rapprocher de cet
exemple." Et d'annoncer, pour cette année, une campagne de communication grand
public de 11 millions de francs, destinée à donner un contenu d'image à Malesan.
Pour les principaux négociants, châteaux et marques occupent des créneaux totalement
différents, mais se complètent. "En haut de la pyramide Malesan, nous avons
physiquement donné un château à la marque, le château Prieuré Malesan pour compléter
nos réponses à un consommateur qui achète aujourd'hui en grande distribution autant de
bordeaux de marque que de petits châteaux", indique Bernard Ginestet. Alain
Duhau, p.-d.g. de Cordier-Mestrezat et Domaines résume : "Notre marque Collection
Privée arbore un bandeau Cordier. Le but est que la marque soit une porte d'entrée vers
les autres crus et vice-versa. Car la force des marques étrangères n'est pas de vendre
un vin, mais une gamme."
Certains distributeurs ne sont-ils pas tentés parfois de jouer la confusion entre des
noms de châteaux célèbres et les vins de marque, interroge Bernard Broustet,
responsable économique à Sud-Ouest et animateur du débat. "Non ! s'insurge
Pascal Loridon. Nous avons une charte d'usage de Mouton-Rothschild par rapport à
Mouton-Cadet." Et de mettre en garde ces restaurateurs qui sèment la confusion
en écrivant sur leur carte de vin château Mouton-Cadet. "Lorsque nous
l'identifions, nous demandons que la carte soit refaite."
En l'absence d'un nom prestigieux ou d'une puissance de distribution suffisante, certains
ont opté pour des marques sélectives qualité, faible volume, prix en conséquence. Ils
se situent sur des niches, en l'occurrence les restaurants et les cavistes. En 1984,
Maison Sichel lançait Sirius, dans la foulée CVBG sortait N° 1 de Dourthe. Cette
stratégie s'est révélée intéressante comme l'explique Patrick Jestin : "Dix
ans plus tard nous produisons un peu moins de 2 millions de bouteilles de N° 1 de
Dourthe, ce qui commence à être une grosse niche. Et nous commençons par ailleurs à
mener quelques expériences à l'étranger qui paraissent prometteuses. Il semble que le
concept de marque haut de gamme, avec une implication en amont et un caractère terroir
très important, s'impose bien."
A méditer : Le sondage réalisé par la société Yvon Mau
dans un linéaire vin d'une grande surface est révélateur. 9 % des sondés savent
définir avec exactitude ce qu'est un vin de marque. Autres enseignements : les
principales attentes sur ces vins sont d'abord la qualité, et notamment une qualité
constante, puis l'accessibilité, autrement dit la marque doit être largement
distribuée. |
Une valeur ajoutée répartie sur toute la chaîne
Incontestablement, l'exigence sur la qualité et sur le volume, deux critères
incontournables pour séduire le consommateur qui souhaite pouvoir disposer d'un produit
fiable, régulier et présent un peu partout, a induit de nouveaux rapports entre
négociants ou grandes surfaces et producteurs. Ces derniers, même soumis à des contrats
qualitatifs draconiens, semblent y trouver leur compte. "Ce sont les marques qui,
grâce à des contrats de partenariat avec la production, tirent la qualité vers le haut,
affirme Jean-Louis Roumage, président du Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieur, et
non pas les petits châteaux qui sont vendus en tête de gondole." En tant que
président de la coopérative de Sauveterre-de-Guyenne, Rémy Garuz précise : "Aujourd'hui,
plus de 50 % de nos volumes de rouge se vendent à travers les marques, contre 25 % dans
les années 90. Les adhérents sont satisfaits, même si les contrats signés entre les
caves et les négociants sont remis en cause chaque année. Et d'ajouter : c'est
important de le dire, ces contrats de partenariat ont permis de nouer le dialogue entre
producteurs et commerciaux."
Guy-Henry Azam admet que : "Dans les deux cas, c'est une démarche tout à fait
favorable pour les producteurs. Les marques de négoce sont mieux payées que les
génériques classiques."
Les investissements lourds réalisés par les négociants sont-ils rentables ?
Jean-François Mau ne le cache pas : "Les marques sont des leaders qualitatifs,
mais ne sont pas la panacée. Elles impliquent des investissements à long terme. Si l'on
raisonnait à court terme, il est beaucoup plus confortable de vendre de petits châteaux."
Et de conclure : "Les marques, c'est avant tout de l'exigence, le long terme, les
efforts et sans doute pas la facilité."
Marques et notion d'AOC
Pour conclure, Bernard Broustet, journaliste au Sud-Ouest, animateur du débat,
pose la question qui fâche : "La logique de marque ne va-t-elle pas tuer la
logique d'appellation ?" Les négociants se veulent rassurants. "Il y a
forcément une complémentarité, analyse Jack Drouneau, président du directoire de
Calvet SA. 90 % de nos vins sont vendus sous la marque Calvet. Quelle histoire
pourrions-nous raconter derrière Calvet, s'il n'y avait pas celle des terroirs et des
appellations ? La marque apporte une garantie, une qualité, une sécurité, une
régularité, les arguments de l'appellation nourrissent la marque." Allan Sichel
enfonce le clou : "Bordeaux doit rester terroir et représentatif de ce qu'est le
caractère de l'appellation pour constituer une sorte de piédestal sur lequel démarre la
découverte des vins de Bordeaux." Pourtant, le risque est bien réel. Jean-Louis
Roumage s'inquiète d'une dérive possible : "Les marques ont à transmettre cette
notion de terroir, de typicité des vins. Je suis désolé que les marques qui se
développent s'éloignent de ce que le consommateur attend lorsqu'il achète un bordeaux."
Quoi qu'il en soit, tous admettent que la marque est la réponse la plus adéquate pour
répondre au marché et qu'elle constitue l'avenir face aux vins du nouveau monde.
B. Ducasse zzz46v zzz46f
Ont participé au débatPascal Loridon, directeur commercial Baron Philippe de
Rothschild SA. Bernard Magrez, p.-d-.g. de William Pitters Pierre Castel, p.-d-.g. du groupe Castel Frères. Patrick Jestin, directeur général de
CVBG-Dourthe-Kressmann. Christian Delpeuch, directeur général de Ginestet.
Alain Duhau, p.-d-.g. de Cordier Mestrezat et Domaines. Principales marques : Collection Privée Cordier, 3,2 millions de cols vendus en 2000). Jean-François Mau, p.-d-.g. Yvon Mau. Jack Drounau, président du directoire de Calvet SA.
Philippe Castéja, président du directoire de Borie
Manoux. Allan Sichel, p.-d-.g. Maison Sichel SA. Pierre Paillardon, président du directoire de CMGC
(Compagnie Médocaine des Grands Crus, maison de négoce créée par Jean-Michel Cazes
propriétaire de Lynch Bages). Les coopérateurs Guy-Henry Azam, directeur général d'Univitis. |
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L'Hôtellerie n° 2728 Hebdo 26 Juillet 2001