Bénéficiant d'un microclimat, l'île de Bréhat renferme une végétation luxuriante. A dix minutes du continent, les visiteurs à la journée sont légion à l'instar des propriétaires de maisons secondaires dont la présence ne bénéficie pas forcément aux commerçants.
On dit que le printemps arrive ici plus tôt que sur le continent, pourtant situé à 2 pauvres kilomètres. Il n'y a rien d'étonnant à cela car, lorsque l'on flâne dans les ruelles ou sur les sentiers tortueux de Bréhat la bigarrée, on s'émerveille à chaque pas de ses essences naturelles. Eucalyptus, balisiers des Indes, agapanthes ramenées du cap de Bonne-Espérance, hortensias, mimosas... Un véritable festival de couleurs rehaussé par l'omniprésence des rochers dont le moindre rayon de soleil vient faire chanter leur rose orangé ! Bréhat bénéficie assurément d'un microclimat, mais cette végétation exotique rappelle en fait l'histoire de cette île, de tout temps tournée vers la mer. Ce sont en effet les corsaires et autres voyageurs au long cours qui ramenèrent ces plantes sur cet archipel composé d'une dizaine d'îlots et de deux îles principales reliées par le pont Vauban. Car Bréhat fut en son temps le repère de nombre de corsaires célèbres et les bâtisses en granit construites à l'entrée du bourg en témoignent. Autre temps autre histoire, de nombreux peintres, charmés par Bréhat, vinrent y chercher l'inspiration à la fin du XIXe siècle. A l'image de Chagall qui y séjourna bien plus tard, en 1924. Ces artistes contribuèrent, pour les premiers d'entre eux en tout cas, à ouvrir Bréhat sur l'extérieur, et le tourisme débarqua sur l'île à la même époque. Des estivants fortunés édifièrent des villas aux meilleurs endroits et, depuis, leurs descendants sont nommés ici 'Parisiens', quelles que soient leurs origines. Aujourd'hui, ces résidences secondaires (515 maisons) représentent le secteur le plus important avec quelque 2 575 lits (contre 66 pour l'hôtellerie !) et engendre toute une économie. Selon Roland Cocheril, président de l'office de tourisme, "en nombre d'emplois, l'entretien des propriétés et des jardins demeure une activité aussi importante que le commerce". Mais cette prolifération du nombre de résidences secondaires (bien qu'aujourd'hui les permis de construire ne se délivrent qu'au compte-gouttes) ne profite pas au commerce. Au contraire, puisque dans ce secteur, la tendance est, parallèlement, à la baisse. D'autant que la population sédentaire a tendance à diminuer. "Nous n'avons plus de coiffeurs, nous comptions deux fois plus de cafés dans les années 50 qu'aujourd'hui, fait-on remarquer. Maintenant, les gens qui vivent sur Bréhat vont plus facilement faire leurs courses sur le continent, à Paimpol." Une tendance qui n'est pas au goût de tout le monde et surtout pas de Jacqueline Lamidon, propriétaire de La Vieille Auberge. "Les personnes qui ont une résidence secondaire sur l'île ont le devoir de faire travailler les îliens, le boulanger, le boucher, etc." Par ailleurs, selon cette même propriétaire, "le tourisme de résidents ne nous apporte rien". Un avis partagé par Pierre-Louis Enriore, de l'Hôtel Bellevue, qui souligne : "Cette clientèle se reçoit chez elle lors de soirées et ne vient pas au restaurant."
Une réputation de cherté
Pour autant, la proximité du continent (10 minutes en bateau) est à double tranchant
car, d'un autre côté, Bréhat accueille un tourisme de passage considérable - environ 2
000 personnes à la journée. Essentiellement saisonnier, voire même aoûtien. "Ce
tourisme de masse nous fait vivre, insiste Jacqueline Lamidon. Je réalise environ
1/4 de mon chiffre d'affaires au mois d'août", chiffre qui se retrouve
d'ailleurs à l'Hôtel Bellevue. Cette clientèle familiale de passage se compose
essentiellement de Français venus du Grand-Ouest ou d'Ile-de-France. Les étrangers
restent très largement minoritaires (moins de 5 % pour le Bellevue) à l'instar de ce qui
peut se passer sur l'ensemble des îles bretonnes. Mais là encore se pose, semble-t-il,
un problème de consommation. Selon Roland Cocheril, "l'île a une réputation de
cherté, bien que cela ne soit pas forcément vérifié. Mais dans l'esprit des gens,
cette notion est bien ancrée". Beaucoup se rendent donc sur Bréhat à la
journée avec, sur l'épaule, le sac à dos rempli de sandwiches. Ce qui n'est pas sans
répercussion sur l'environnement. "La gestion des déchets sur Bréhat reste un
problème", reconnaît Roland Cocheril. Et pour les restaurateurs ? Selon
Jacqueline Lamidon, "il faut savoir vendre et s'adapter au porte-monnaie des
clients". Dans son établissement, elle propose notamment un premier menu à 89
F, et délivre des formules moules comme nombre de ses collègues. Le Bellevue propose
quant à lui, sur une terrasse orientée vers le large, un service de restauration rapide "pour
satisfaire les différentes de-mandes". Les moules-frites sont à 70 F et les
clients peuvent manger des crêpes tout au long de la journée. Hors saison en revanche,
même si le tourisme demeure peu important, "il s'avère très intéressant car
nous accueillons des personnes plus motivées et respectueuses de l'environnement. Mais en
hors saison, nous n'avons qu'un seul hôtel ouvert ici. Nous avons vraiment un problème
d'organisation du tourisme en hiver". Reste enfin la clientèle nautique. "Il
mouille jusqu'à un millier de bateaux chaque année au large de Bréhat. C'est une très
bonne clientèle de dîner qui dispose d'un pouvoir d'achat conséquent."
Conserver son authenticité
Malgré le flux important de touristes, Bréhat tente de conserver son authenticité. A
l'exception de quelques tracteurs, faisant office de taxi, la voiture est bannie et l'île
se découvre à pied ou en vélo. Et encore ! Car dans le bourg, les cyclistes doivent
même descendre de la selle. A l'heure actuelle, une réflexion est en cours afin de
réfléchir à la sauvegarde de l'île, particulièrement d'un point de vue
environnemental. "Comment gérer nos déchets alors que nous ne possédons qu'un
seul incinérateur, qui n'est d'ailleurs pas aux normes ?", se demande Roland
Cocheril. Conserver un patrimoine naturel exceptionnel, mais également une identité
marquée, voilà le défi des années à venir pour cette île fragile. Ilienne d'origine,
Jacqueline Lamidon est fière de ses racines et entend les défendre. "Il faut
absolument que l'on conserve notre âme, sans nous laisser berner par les fioritures
extérieures. L'essentiel est de transformer l'individu."
O. Marie zzz70
La voiture est bannie et l'île se découvre à pied ou en vélo.
Bréhat entend conserver son patrimoine naturel et son identité.
Ile de Bréhat en chiffres* Superficie : 3,5 km de long pour 1,5 km de large ; 318 ha |
S'y rendre, s'y déplacer
* Toute l'année, via les Vedettes de Bréhat.
* Traversée en 10 minutes au départ de la pointe de l'Arcouest.
* Toutes les demi-heures de 8 h 30 à 20 heures en saison.
* Tarifs : 40 F.
A/R, 70 F avec le tour de l'île.
Point de vueLe souci de la saisonnalité pour l'Hôtel BellevueDifficile de rater l'Hôtel Bellevue (4 MF de CA) lorsque l'on débarque sur Bréhat.
Cet établissement, construit en 1904, trône en effet majestueusement en face de
l'embarcadère. "La désaisonnalisation est un leurre" |
"Ne plus être tributaire du personnel...
Propriétaire
de La Vieille Auberge depuis 1973, Jacqueline Lamidon a pris la suite de ses parents et
souhaite transmettre, en son temps, ce bel outil de travail à sa fille. Cet outil, c'est
un hôtel-restaurant de 15 chambres (de 385 à 445 F la demi-pension), avec une salle de
restaurant de 120 à 150 couverts en intérieur et environ 70 en terrasse (menus de 89 à
230 F pour un ticket moyen de 100 à 110 F). Pour Jacqueline, le principal problème
demeure le personnel, ici 13 employés avec les stagiaires. "J'ai un mal fou à
trouver du personnel qualifié, efficace. Je me penche sur la question dès le début du
mois de janvier et cela fonctionne essentiellement par le bouche à oreille. L'ANPE, ne
m'en parlez pas ! J'ai passé l'âge de stresser, je ne veux plus m'embêter avec ce
problème, et je réfléchis d'ailleurs à fonctionner autrement. Ne plus faire de
restauration et me contenter d'un hôtel-bureau avec des pensionnaires. Je ne veux plus
être tributaire du personnel. Nous sommes 13 aujourd'hui et c'est largement suffisant car
ils ne sont pas autonomes, c'est des soucis.
Ce n'est pas un problème de salaire, car je paye en fonction de leur travail, des
compétences.
Et ici, ils sont logés, nourris, blanchis. Cela coûte un peu plus cher, mais tant pis,
ce n'est pas là-dessus qu'il faut tirer." Et en hôtellerie, Jacqueline Lamidon
peut nouer des contacts plus conviviaux avec ses clients, notamment les étrangers, "marginaux,
mais très sympathiques". La propriétaire est aux petits soins avec ses
pensionnaires. Elle a notamment conçu un jeu de piste avec un questionnaire sur Bréhat
à remplir, ou encore ce guide de l'île réalisé en braille pour les non-voyants.
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L'Hôtellerie n° 2733 Hebdo 30 Août 2001