Suivant l'accord collectif sur la réduction du temps de travail signé en juin 2000, le groupe français applique les 39 heures hebdomadaires depuis le 1er janvier 2001. Un choix stratégique.
Dans sa quête de l'organisation optimale, Envergure a abandonné le nappage dans ses restaurants Campanile.
Le 6 juin 2000,
dans les locaux du Syndicat français de l'hôtellerie (SFH). Assis autour d'une table,
cinq représentants des principaux syndicats de salariés, à savoir la CGT, la CFDT, FO,
la CFTC et la CGC. Face à eux, le président-directeur général d'Envergure, Frantz
Taittinger. L'atmosphère est plutôt bon enfant. D'un côté comme de l'autre, la
satisfaction semble de mise. Il faut dire qu'il y a de quoi ! Montré du doigt pendant de
longues années, y compris de la part de l'Umih, parce que considéré comme le vilain
petit canard du secteur au niveau social, le numéro 2 de l'hôtellerie européenne vient
de renverser la vapeur. Comment ? En étant le premier grand groupe hôtelier français à
conclure un accord collectif d'entreprise sur la réduction du temps de travail (RTT).
"Qu'on soit favorable ou pas à cette loi, son application s'avère inéluctable.
Au lieu de s'engager dans des combats d'arrière-garde, nous avons jugé plus opportun
d'anticiper et de saisir cette balle au bond pour nous remettre au goût du jour tout en
améliorant le déficit d'image dont souffre notre profession. Déficit lié d'ailleurs en
grande partie à ses plages horaires", confesse Stéphane André, directeur
général adjoint du groupe. Une décision bel et bien volontariste dans les faits qui
concerne, d'une part les filiales de la compagnie, d'autre part les établissements
affiliés sous mandat de gestion pour les marques Campanile, Côte à Côte, Première
Classe, Bleu Marine et Kyriad, soit au final entre 6 000 et 7 000 personnes.
Concrètement, selon les termes de l'accord, tous doivent passer à 39 heures
hebdomadaires à partir du 1er janvier 2001, 37 heures le 1er janvier 2004, puis 35 heures
dès le 30 juin 2005. Une dégressivité absolument indispensable selon le numéro 2 de
l'hôtellerie européenne pour parvenir à caler les organisations sur le terrain.
Chasse au gaspi
Malgré le choix de l'annualisation du temps de travail, qui permet à Envergure
d'augmenter la durée hebdomadaire à 45 heures pendant 13 semaines, la mise en place de
la RTT est effectivement loin d'être une mince affaire. L'application de cette loi doit
en réalité s'inscrire dans une véritable démarche globale d'entreprise, nécessitant
une profonde réflexion tant au niveau de l'organisation des unités qu'au niveau des
prestations pratiquées. "Cette réflexion est d'autant plus importante que nous
exploitons une majorité de petits hôtels", souligne Stéphane André.
En clair, la filiale de la Société du Louvre doit sacrément plancher pour réussir à
mettre en uvre les 39 heures hebdomadaires. Tout est en vérité passé au crible.
L'objectif visé étant de tendre vers une organisation optimale. Avec l'appui du cabinet
Pannell Kerr Forster Consulting France (PKF), une analyse précise des tâches est donc
menée auprès de différents établissements pilotes. "Nous avons travaillé
durant plus d'un an sur ce chantier", indique Alain Raluy, associé de PKF. Et
d'ajouter : "Nous avons décortiqué l'ensemble des postes, puis écouté ce que
les gens disaient faire, et observé ce qu'ils faisaient."
"Effectuée avec le concours des hommes et des femmes de terrain, cette approche a
été riche d'enseignements", avoue James Bendali, tout nouveau gérant du
Campanile de Nanterre. "Nous avons découvert les temps morts, les temps perdus et
les temps cachés qui existaient au sein de nos organisations. A titre d'exemple, j'ai
supprimé les tables de 4 personnes qui réclamaient beaucoup de temps au profit des
tables de 2", surenchérit-il. Une chasse au gaspi minutieuse qui a conduit
l'entreprise à se poser plusieurs questions : qui dois-je employer ? quand ? et pour quoi
faire ?
Stéphane André, directeur général adjoint du groupe Envergure : "Nous
avons joué le jeu à fond concernant la RTT."
Abandon du nappage
"Autant d'interrogations à partir desquelles l'état-major d'Envergure a pu
prendre des décisions d'ordre stratégique, à la fois dans le domaine de la répartition
des tâches et de celui de l'évolution de ses produits", précise Alain Raluy.
Si le groupe hôtelier souhaite, en effet, avec la mise en place de la réduction du temps
de travail, améliorer son image sociale, il n'en perd pas pour autant de vue la
préservation de sa rentabilité. Alors tout ce qui ne procure pas de valeur ajoutée
réelle a été abandonné. Une décision qui concerne en particulier le service
restauration.
"Lorsque l'on a compris que le nappage des tables de restaurant chez Campanile
mobilisait le personnel quotidien-
nement près de 1 heure, on a cherché une solution moins coûteuse. Nous employons
désormais des sets et des serviettes en papier tissé", note le directeur
général adjoint du groupe français. Reste que le rapport compétence-utilisation a
également débouché sur une profonde remise en cause de la prestation alimentaire
proposée au consommateur.
"Réfléchir sur les 35 heures revient bien souvent à résou-
dre des problèmes qui se posaient déjà avant l'arrivée de la loi sur la RTT", rapporte
l'associé de PKF. Depuis un long moment, Envergure songeait ainsi à faire évoluer son
offre restauration chez Campanile en lissant les qualités et en recentrant les produits
en fonction des saisons. La RTT l'a poussé à passer à l'action. "Pour
commencer, nous avons avancé les heures d'ouverture au niveau national. Dorénavant, nous
accueillons les clients à partir de 19 heures contre 19 h 30 précédemment. Cela permet
d'étaler le service", témoigne Laurence Giraud, gérante du Campanile Biarritz.
Davantage de produits issus de l'agroalimentaire
Alors qu'elle réalise 45 % de son chiffre d'affaires en restauration, la filiale de la
Société du Louvre a parallèlement opté pour une rationalisation des tâches en
cuisine. "Il devenait de plus en plus difficile d'allouer 30 à 40 minutes à
l'épluchage de salades par exemple", explique James Bendali. Le groupe s'oriente
donc maintenant vers l'utilisation croissante de produits issus de l'industrie
agroalimentaire.
D'ailleurs, rien que pour la chaîne 2 étoiles Campanile, le nombre de produits finis
référencés a grimpé de 20 à 80 %. "Il n'en demeure pas moins vrai que nous
conservons notre esprit terroir !", affirme haut et fort Stéphane André. Et de
préciser : "Ces produits sont en effet confectionnés à façon selon un cahier
des charges qui nous est propre. Nous sommes tout simplement sortis du rustique pour aller
vers de l'authentique."
Une véritable 'petite révolution culturelle' a en fait eu lieu au sein de l'entreprise
avec la mise en place de la RTT. "Le recours aux charcuteries prétranchées, aux
salades prêtes à l'emploi et à quelques plats sous vide a évidemment modifié le rôle
des gérants", constate Laurence Giraud. S'ils réalisent encore différents
plats du jour et quelques desserts, les responsables d'unité produisent aujourd'hui moins
que par le passé. "En revanche, nous disposons dorénavant de davantage de temps
pour nos clients et nos équipes", rapporte la gérante du Campanile Biarritz.
L'utilisation des charcuteries prétranchées génère gain de temps et meilleure
hygiène.
Redevenir des gens normaux
Il faut en effet pas mal de temps pour analyser les comportements de la clientèle et
surtout organiser les plannings horaires des collaborateurs. D'autant plus que le passage
à 39 heures dans les établissements du groupe Envergure a créé 785 postes
supplémentaires, soit en moyenne 1,5 emploi par hôtel de 50 chambres. Le tout sans
pointeuse, à l'exception des hôtels de grosse capacité. "Depuis que l'on est à
39 heures, je passe beaucoup plus de temps à écouter mon personnel et à gérer leur
planning de présence. Je dois impérativement tenir à jour le tableau des horaires afin
de suivre les compteurs d'annualisation", reconnaît Laurence Giraud. "La
partie administrative devient certes plus conséquente. Les économies de temps dégagées
grâce à la rationalisation de certaines tâches permettent néanmoins de mieux
appréhender l'exploitation dans son ensemble", commente James Bendali.
En attendant, l'ambiance générale paraît, pour un grand nombre de patrons d'unité,
plus détendue au niveau des équipes. "Quand on nous a annoncé le passage aux 39
heures, cela nous a fait tout bizarre ! Comme si nous redevenions des gens normaux",
lance un jeune serveur souhaitant garder l'anonymat. "Le personnel est globalement
satisfait de la RTT. Quelques-uns aimeraient bien sûr gagner plus d'argent de temps en
temps. Ils admettent cependant pouvoir maintenant passer de plus longs moments en famille",
note Laurence Giraud.
Reste une incertitude à ce tableau positif de la RTT : l'obtention des aides de l'Etat
qui semble relever d'un véritable casse-tête chinois. A ce jour, le groupe Envergure n'a
pas encore obtenu de réponse définitive de la part des institutions concernées. Or la
mise en place de la RTT au sein du numéro 2 de l'hôtellerie s'élève à quelque 10 % de
frais de personnel supplémentaire.
C. Cosson zzz36v zzz36i
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L'Hôtellerie n° 2736 Supplément Formation 20 Septembre 2001