Marc Veyrat n'a
jamais été homme à taire ce qu'il pense, quitte à en choquer quelques-uns... Déclarer
haut et fort que pour lui, chef étoilé Michelin, la cuisine française avait perdu de sa
suprématie, n'avait, on s'en doute, absolument rien d'anodin... Et cette déclaration
fit, dès mardi soir pour les internautes, dès jeudi matin pour les autres, l'occasion de
faire marcher 'radio casserole' à plein ! Et bien sûr de dénoncer une telle
déclaration "infondée" pour les uns, "scandaleuse"
pour les autres, voire "désastreuse à l'heure où nos métiers connaissent une
grave crise de vocation". D'une manière générale, la plupart des cuisiniers de
France se sont sentis insultés, humiliés, meurtris, eux qui depuis des années cherchent
à trouver les meilleurs produits, à satisfaire leur clientèle le mieux possible tout en
supportant une réglementation de plus en plus draconienne. Le discours de Marc Veyrat ne
se situait pas à ce niveau, il fallait n'en retenir que l'esprit, que la passion de
l'homme pour la cuisine. Pouvaient-ils, hommes de passion qu'ils sont, percevoir ce
message autrement qu'au premier degré ? Avec leurs tripes, avec leur amour propre ?
Certainement pas tous. Pourtant, qui mieux qu'un chef de ce niveau pouvait tirer la
sonnette d'alarme sur le sujet ? Qui mieux qu'un des plus emblématiques cuisiniers
français pouvait avoir la légitimité d'appeler ses confrères à regarder ce que
faisaient les autres en dehors de nos frontières et à les amener à se remettre en cause
?
Sans vouloir nier la qualité de la cuisine française et encore moins celle des
cuisiniers de France, il a voulu insister sur l'importance de la créativité en cuisine
et mettre en avant la nécessité qu'a la cuisine française à laisser les créateurs
s'exprimer. Une créativité qui n'entend pas faire table rase du passé, bien au
contraire, puisque c'est sur les bases, sur les fondations de la tradition, qu'il entend
laisser les créateurs monter les murs. "Si j'entends respecter la tradition,
comprenons que la bonne parole du terroir, c'est aussi la créativité." Créer
l'émulation, donner envie aux plus jeunes d'apprendre pour mieux pouvoir s'exprimer
autrement que ne le faisaient leurs maîtres, c'est un appel très sérieux que le chef
savoyard lance aujourd'hui. Un discours qui ne remet pas en cause la qualité de ce qui se
fait en France aujourd'hui, mais qui appelle à aller plus loin à travers la création.
Parce qu'il faut savoir oser pour créer, c'est une grande constance, les créateurs sont
toujours rejetés, bannis des classiques, avant de devenir à leur tour très
académiques... avec le temps. Si les maîtres du fauvisme, du cubisme, n'avaient pas osé
faire autrement que leurs pères, que de merveilles notre patrimoine artistique se serait
privé... Ne nous privons pas, en bridant la créativité des cuisiniers français, de
plaisirs gastronomiques encore inconnus aujourd'hui... Acceptons que les créateurs nous
choquent. C'est de leur différence, de leur non-conformisme, que naîtra notre place
demain, dans le monde de la gastronomie.
PAF zzz80
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L'Hôtellerie n° 2740 Hebdo 18 Octobre 2001