Du côté des prud'hommes
La législation impose à tout employeur des CHR de nourrir son personnel ou de lui accorder une indemnité compensatrice. Mais sa mise en uvre reste parfois confuse. Réponses avec le conseil de prud'hommes de Paris.
L'établissement en
cause se situe dans la capitale. Il se trouve dans une de ces artères très fréquentées
où les clients ont l'habitude de s'arrêter à toute heure de la journée et même du
soir, pour prendre un repas, un en-cas, ou simplement boire un verre ou un café.
L'établissement est petit, certes, mais emploie quand même une dizaine de salariés.
Celui qui nous intéresse aujourd'hui est employé en qualité d'officier. A ce titre, il
est l'intermédiaire privilégié entre le bar et la cuisine, préparant outre les
consommations, les sandwiches, croque-monsieur et autres salades vertes ou composées.
A la fin de l'année 2000, après 8 années de bons et loyaux services, il démissionne
pour tenter sa chance ailleurs. N'ayant rien à perdre, il entend réclamer à son
employeur un rappel de salaire. En effet, pendant toutes ces années, son employeur lui a
attribué 2 repas par jour de travail qui ont fait l'objet d'une déduction sur le net à
payer en bas de son bulletin de paie. Or, il ne prenait qu'un repas par jour dans
l'établissement.
Pour ce salarié, dont la rémunération brute mensuelle hors avantages en nature est de
l'ordre de 9 000 F ; récupérer 450 F d'avantages en nature nourriture déduits chaque
mois constitue un enjeu de taille. Sur 5 ans, il y en a pour près de 25 000 F. Le
salarié adresse donc un courrier en ce sens à son employeur. Mais celui-ci lui répond
en lui opposant une fin de non-recevoir. Le salarié décide alors de saisir le conseil de
prud'hommes de Paris.
L'argumentation du salarié
Devant le conseil de prud'hommes de Paris, le salarié, assisté d'un délégué syndical,
entend donc réclamer le remboursement des repas qui lui ont été déduits et qui n'ont
pas, selon lui, été consommés par ses soins.
Le salarié explique que son employeur lui accordait 2 avantages en nature nourriture par
jour de travail. En cela, cet employeur respectait l'usage en vertu duquel un salarié
travaillant plus de 5 heures par jour se voit attribuer 2 repas. Il poursuit en indiquant
que ces 2 repas faisaient l'objet d'une déduction systématique de son salaire net par
l'employeur. Or, il ne consommait qu'un seul repas, celui du midi. Le salarié rappelle à
ce titre qu'il était employé tous les jours de la semaine de 7 heures à 16 heures. Dans
ces conditions, il ne lui était bien évidemment pas possible de dîner le soir dans
l'établissement.
Le salarié poursuit en fondant son argumentation sur l'article 7 de l'arrêté du 22
février 1946, et le même article 7 de l'arrêté du 1er octobre 1947 posant le principe
de l'obligation de nourriture dans les CHR. Selon ces textes, l'employeur a la faculté
soit de nourrir gratuitement l'ensemble de son personnel, soit de lui allouer une
indemnité compensatrice équivalente. Ce texte stipule que les employés qui ne prennent
pas leurs repas dans l'établissement doivent percevoir obligatoirement une indemnité
compensatrice.
Pour le salarié et son délégué syndical, les faits sont établis. Le salarié qui ne
prend pas son repas du soir en raison de ses horaires de travail est en droit d'obtenir le
versement d'une indemnité compensatrice nourriture. L'employeur doit lui rembourser ce 2e
repas qui lui a été retenu à tort.
L'argumentation de l'employeur
Pour sa défense, l'employeur commence par s'étonner de la demande présentée par son
salarié à l'occasion de sa démission. Pendant plus de 8 années au cours desquelles il
a travaillé à son service, celui-ci n'avait en effet jamais formulé la moindre
réclamation de remboursement de repas soi-disant non consommés. Pour l'employeur, si le
salarié était si sûr d'être dans son bon droit, il n'aurait pas manqué de réclamer
ces remboursements bien avant.
A cet égard, l'employeur d'ajouter que le salarié formule cette demande en remboursement
de repas sans même apporter la preuve que ceux-ci n'ont pas été consommés par ses
soins. L'employeur explique à ce sujet que la clientèle mange chez lui à toute heure et
que les salariés sont autorisés à en faire autant. Ils sont même autorisés à
emporter chez eux les repas qu'ils n'ont pas pu consommer. Et de préciser qu'il a autre
chose à faire que de surveiller si chacun consomme ou non leurs repas. Il produit, à ce
sujet, le témoignage du chef de cuisine qui indique que les repas sont systématiquement
mis à disposition du personnel qui peut les consommer sur place ou même les emporter.
Pour l'employeur, rien ne prouve que le salarié n'a pas mangé 2 fois par jour dans
l'entreprise. Cet employeur sait, cependant, qu'il ne peut se retrancher derrière ces
seuls arguments de fait. Il lui faut répondre aux arguments de droit de son salarié.
L'employeur peut choisir de nourrir son personnel
Et des arguments, il en a justement selon lui. Il dispose d'une importante collection de
jugements et autres arrêts rendus en matière d'obligation de nourriture. Tous ces
arrêts viennent dire, en substance, que c'est à l'employeur et à lui seul de choisir
soit de nourrir son personnel, soit de lui allouer une indemnité compensatrice
nourriture. Et l'employeur d'entreprendre l'énumération de ces décisions de justice :
- Arrêt de la Cour de cassation du 16 février 1994, la Cour suprême déboute le
salarié de sa demande en remboursement de repas non consommés par ses soins aux motifs
qu'il pratiquait le jeûne du ramadan propre à sa conception religieuse.
- Jugement en date du 14 octobre 1997, le conseil de prud'hommes de Paris qui refuse de
condamner l'employeur à rembourser des avantages en nature nourriture non consommés par
un salarié aux motifs de ce qu'il devait respecter pour sa santé un régime alimentaire
sans sel.
- Jugement du 1er octobre 1999, le conseil de prud'hommes qui refuse également de donner
droit à la demande d'une salariée qui ne consommait pas ses repas aux motifs de ce que
son embonpoint la contraignait à respecter strictement le régime hypolipidique prescrit
par son médecin.
- Et l'employeur de citer encore cet arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 novembre
2000 qui refuse, là encore, au salarié le remboursement d'avantages en nature nourriture
non consommés par ses soins aux motifs qu'il préférait prendre ses fonctions 1 heure
plus tard et manger tranquillement chez lui.
Pour l'employeur, les choses sont claires : c'est lui et lui seul qui décide de la
manière dont il satisfait à son obligation de nourriture. Dès l'instant où il tient à
la disposition du salarié ses repas, et c'était le cas dans cette affaire puisque ces
repas pouvaient même être emportés, par conséquent, l'employeur estimait qu'il était
en droit de les considérer comme consommés et de les déduire.
Le jugement du conseil de prud'hommes
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes s'est bien
évidemment retiré pour délibérer à huis clos. A cette occasion, il s'est d'ailleurs
octroyé, avant de prononcer son jugement, un délai de réflexion de 1 mois. Ce jugement
condamne l'employeur à rembourser au salarié les repas du soir non consommés.
La motivation de cette décision est très intéressante et nous apporte des précisions
fondamentales sur les modalités d'octroi d'avantages en nature nourriture et sur
l'indemnité compensatrice.
Le conseil de prud'hommes rappelle en premier lieu dans sa motivation qu'il appartient à
l'employeur de choisir entre la mise à disposition de repas et l'octroi de l'indemnité
compensatrice. L'employeur peut donc choisir de fournir des repas au personnel.
Mais, il distingue par la suite la raison pour laquelle le salarié ne peut pas prendre
ses repas :
- Si le salarié ne consomme pas les repas mis à sa disposition pour des raisons
strictement personnelles (confession religieuse, régime alimentaire ou tout simplement
problème de goût...), l'employeur est en droit de les déduire.
- En revanche, si c'est du fait de l'employeur, et plus précisément de l'organisation du
travail, que le salarié ne peut pas prendre ses repas (du fait des horaires par exemple),
alors l'employeur doit obligatoirement lui verser une indemnité compensatrice nourriture.
Voilà un jugement plein de sagesse qui, on peut le croire, permettra à tous les
employeurs et salariés de connaître leurs droits et obligations concernant la
traditionnelle question des repas.
F. Trouet - SNRLH zzz60r
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L'Hôtellerie n° 2746 Hebdo 29 Novembre 2001