C'est sur la base du rapport de Jean-Marc Boulanger que le ministère a pris la décision d'extension de l'accord RTT en limitant les modalités d'application à la seule année 2002, invitant les partenaires sociaux à rediscuter pour l'obtention des aides à la RTT pour la mise en place de la totalité de l'accord. Ce rapport explicite très clairement la position des syndicats tant salariés que patronaux, et met en avant l'ensemble de leurs accords et de leurs désaccords. En effet, dans le 'camp' des non-signataires, c'est pour des raisons diamétralement opposées que les salariés et les patrons n'ont pas signé.
Par 2 fois, en juillet et en
octobre, la sous-commission des conventions et accords collectifs s'est prononcée, à une
écrasante majorité, contre l'extension de l'accord RTT du 15 juin 2001, c'est-à-dire
contre sa mise en application obligatoire pour toutes les entreprises du secteur des CHR.
Elisabeth Guigou avait juridiquement la possibilité de passer outre ces avis négatifs,
et pouvait décider d'étendre malgré tout l'accord RTT du 15 juin 2001. Toutefois, face
à une vive opposition des non-signataires de l'accord, et à la demande de certains
syndicats de voir rouvrir les négociations, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité
a nommé Jean-Marc Boulanger en qualité de conciliateur.
Celui-ci, membre de l'inspection générale des affaires sociales, avait une double
mission :
1. Il devait entendre l'ensemble des organisations professionnelles et syndicales de la
branche, signataires et non-signataires de l'accord RTT, afin de comprendre les positions
de chacun.
2. A la lumière des principaux points de désaccord, il devait proposer des solutions
permettant de dépasser cette situation de blocage.
Ce rapport a été rendu en novembre 2001, et c'est sur cette base que Elizabeth Guigou a
pris sa décision, décision annoncée par voie de communiqué de presse le 13 décembre
2001 : l'accord RTT sera étendu uniquement pour l'année 2002. Deux décrets seront
publiés. L'un sera pris avant la fin de l'année pour fixer la durée du travail dans les
CHR à partir du 1er janvier 2002. L'autre sera pris début 2002 pour fixer les
allégements de charges sociales.
Nous vous présentons une synthèse du rapport Boulanger pour mieux comprendre pourquoi et comment Elizabeth Guigou a pris sa décision.
Le rapport de Jean-Marc Boulanger constate immédiatement que tous les professionnels des CHR ont le même but : trouver des solutions réelles aux perspectives tracées par le législateur, c'est-à-dire, à la RTT. Dans le même temps, il prend acte de ce que employeurs et salariés ne sont pas d'accord sur la manière de procéder pour atteindre ce but commun.
Ne pas faire semblant de réduire le temps de travail
Selon ce rapport, toutes les organisations professionnelles, employeurs comme salariés,
s'accordent à dire que :
- L'organisation du travail dans les CHR est spécifique en raison des contraintes du
service à assurer à la clientèle.
- Les CHR ne peuvent pas, pour autant, rester à l'écart du mouvement général de
réduction du temps de travail.
- La réduction du temps de travail a un coût et ne doit se faire que dans des conditions
économiques qui assurent la viabilité et la vitalité des entreprises.
- Les entreprises du secteur souffrent d'une désaffection de personnel due pour une large
part aux contraintes liées à la durée et à l'organisation du temps de travail.
- Les entreprises employant moins de 20 salariés sont dans une incertitude juridique
depuis près de 2 ans, et ce n'est plus acceptable.
- Les professionnels ne veulent pas faire semblant de réduire le temps de travail.
Pour les employeurs, le passage aux 35 heures doit se faire en 2 étapes
Jean-Marc Boulanger poursuit en écrivant "qu'aucune organisation patronale
n'affirme rejeter le principe du passage aux 35 heures, toutes considèrent que ce passage
doit se faire en 2 étapes. L'une consistant à réduire le temps de présence de 4 heures
comme pour toutes les entreprises, l'autre s'analysant en une suppression de
l'équivalence rémunérée de 4 heures".
Il note les points de divergences entre les organisations d'employeurs.
w Le SFH et le SNRLH souhaitent un accord intégrant un
calendrier échelonné jusqu'à 35 heures avec accès direct aux aides dès la première
heure de réduction. En outre, parce que passer de 43 à 35 heures revient à réduire le
temps de travail de 8 heures, soit une réduction deux fois plus importante que la
réduction des entreprises des autres secteurs qui ne réduisent le temps de travail que
de 4 heures. Aussi, pour compenser ce double effort, ils souhaitent qu'un accord prévoit
que le passage de 39 heures à 35 heures soit bloqué en l'absence d'aides
supplémentaires.
w L'Umih souhaite d'abord franchir l'étape des 39 heures
avant de déterminer à l'avance les conditions et les délais du passage aux 35 heures.
Ce n'est que si des observatoires permettant un examen critique des conséquences du
passage aux 39 heures et la faisabilité du passage à 35 heures qu'elle envisage le
passage aux 35 heures.
Cependant, si elle accepte l'idée d'un calendrier cadencé et prédéterminé, elle le
veut assorti parallèlement d'un calendrier d'aides et de mesures économiques d'un
montant déterminé et proportionnel à chaque réduction (telle aide 'vaut' 1 heure ou
1/2 heure...). Dans ce cadre, la réduction au-dessous de 39 heures serait limitée à la
valeur des aides accordées.
w La CPIH et Fagiht veulent passer aux 35 heures, mais
estiment que cela est matériellement impossible pour les très petites entreprises. A ce
jour, elles n'acceptent que le passage de 43 à 39 heures.
La position des syndicats salariés diverge
w Les signataires, la CFDT et la CGT, veulent un texte
incluant la perspective formelle des 35 heures.
w Les syndicats non-signataires "sont retenus par un
certain nombre de réserves qu'ils partagent, ces oppositions portent sur le refus de la
disparition des avantages en nature, et sur la situation des cadres".
- La CFTC souhaite que les entreprises de plus de 20 salariés passent aux 35 heures sans
délai, car elle estime que cela devait être fait depuis 2 ans déjà conformément aux
dispositions de la loi Aubry.
- La CGC conteste la définition des cadres qui "lui paraît trop large dans la
mesure où elle fait référence aux salariés se situant au niveau le plus élevé des
rémunérations pratiquées dans l'établissement, ce qui pourrait avoir pour effet de
priver de toute garantie les responsables de petits établissements - restaurants ou
hôtels appartenant à des chaînes et employant 7 ou 8 personnes - alors même que leur
rémunération reste modeste". La CGC désire aussi que le temps des cadres
autonomes fasse l'objet d'un double encadrement en jours et en heures.
- FO souhaite la RTT pour tous et la garantie des salaires, et demande que "soit
recherchée la mise au point d'une grille de salaires mensuels et non plus horaires".
En outre, il reproche à l'accord de ne pas prévoir de mesures assez concrètes en
matière de modulation, ainsi que l'absence de compensation pour l'élargissement de la
durée légale des coupures pour les salariés à temps partiel.
Pourquoi Jean-Marc Boulanger a-t-il recommandé à la ministre de prendre la
décision d'étendre l'accord de branche ?
Quatre possibilités apparaissaient pour résoudre le problème :
- L'extension de l'accord
- La recherche d'un nouvel accord
- La prise d'un décret sec
- Laisser perdurer le statu quo
Pour lui, les 2 dernières solutions sont à écarter. Car, le maintien du statu quo "conduirait les entreprises à devoir vivre dans un cadre juridique incertain en attendant que la justice se prononce pour savoir quelle est la durée du travail en vigueur", 43 heures, 39 heures ou 35 heures ?
Privilégier la voie conventionnelle
La prise d'un décret sec serait nuisible au dialogue social "puisqu'elle ne
répondrait aux vux d'aucun". En outre, cette solution priverait les
petites entreprises des aides directes ! Au final, il opte pour une solution hybride qui
est un mélange des 2 premières.
Pour lui, l'extension de l'avenant du 15 juin, malgré les oppositions, est possible et
implique 3 décrets : un décret fixant un calendrier de réduction du temps de travail
progressive et étalée dans le temps ; un second décret définissant les conditions et
le montant des aides à la réduction du temps de travail ; et un troisième supprimant
les dispositions particulières du Smic hôtelier, c'est-à-dire supprimant les avantages
en nature.
La recherche d'un nouvel accord recueillant une adhésion plus large, en particulier du
côté des organisations patronales représentatives et des membres employeurs de la
commission nationale de la négociation collective, aurait impliqué l'abandon de l'accord
du 15 juin et imposé de nouvelles négociations impossibles à réaliser d'ici à la fin
de l'année. En outre, cette solution "ne constitue aucunement une assurance de
conclusion positive, a fortiori dans un délai rapproché compatible avec l'échéance du
1er janvier". Enfin, s'il n'y avait pas d'issue positive, il n'y aurait pas
d'autre possibilité que de prendre un décret sec, chose que, justement, il souhaite
éviter.
C'est la raison pour laquelle Jean-Marc Boulanger propose de conserver la base de l'accord
RTT du 15 juin, mais de ne l'étendre que pour partie, et il invite à ouvrir de nouvelles
négociations sur certains points.
Une solution alliant rapidité et dialogue social
Ainsi Jean-Marc Boulanger souhaite une solution "rapidement opérationnelle
faisant place au dialogue".
Pour cela, il recommande l'extension du texte du 15 juin, mais estime nécessaire de
poursuivre le dialogue sur les points suivants :
- Le montant des aides publiques pour le passage de 43 heures à 39 heures.
- Certains points de l'accord que les non-signataires souhaitent débattre (définitions
des cadres, définition du prix des repas pris dans l'entreprise...).
- Les modalités techniques du passage à 39 heures puis à 35 heures dans les très
petites entreprises. Sur ce point, il précise "qu'il y a à conduire un travail
de terrain permettant de tirer parti des difficultés rencontrées et des solutions
concrètes dégagées par l'expérience en mettant à profit le délai de transition
prévu par l'accord".
Ainsi, il propose d'accompagner l'extension de 2 décrets :
- "Un premier décret relatif à la durée du travail tirant les conséquences de
l'accord, mais en limitant la portée de ce décret aux dispositions prévues pour 2002".
Un décret en ce sens a l'avantage de "laisser du temps pour les discussions des
conditions de franchissement de ce seuil qui constitue la vraie ligne de démarcation
entre les organisations patronales signataires et les autres".
- "Le second décret relatif au dispositif d'application aux CHR de l'allégement
prévu par la loi."
Cette solution donne une stabilité juridique aux entreprises pour le 1er janvier 2002 et
permet "aux partenaires sociaux de reprendre le dialogue sur certains thèmes de
l'accord non abordés jusqu'ici mais sur lesquels ils ressentent le besoin de travailler".
Une solution adoptée par le ministère
Mardi 13 décembre 2001, Elizabeth Guigou a annoncé avoir décidé d'étendre l'accord du
15 juin et de prendre 2 décrets. L'un qui fixe d'ici la fin du mois la nouvelle durée du
temps de travail, dans le respect des clauses de l'accord, mais en s'en tenant dans un
premier temps à la seule année 2002. Un second relatif aux allégements de charges
sociales qui paraîtra en début d'année 2002. Le ministère propose en outre à
l'ensemble des organisations de la profession de participer dès le début de l'année
2002 à une discussion avec les pouvoirs publics sur la nature et le montant des aides qui
accompagneront la réduction du temps de travail prévue par l'accord. Le ministère a
donc adopté purement et simplement la solution proposée par Jean-Marc Boulanger.
T. Beausseron zzz60t
Umih, Fagiht, CPIH Des avis assez partagés
> Pour André Daguin, président de l'Umih "C'est une atteinte au paritarisme" > Pour Jacques Jond, président de la Fagiht "C'est irréaliste et arbitraire" > Jean-François Girault, président de la CPIH "Contrarié et surpris malgré quelques points
positifs" |
Article précédent - Article suivant
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'Hôtellerie n° 2749 Hebdo 20 Décembre 2001