Du côté des prud'hommes
Par F. Trouet (Synhorcat)
Le salarié invoque la prescription des faits...
Le chef plongeur, par l'intermédiaire de son avocat, entend tout d'abord soutenir que les
faits qui lui sont reprochés à l'occasion de son licenciement sont prescrits. En effet,
l'article L. 122-44 du Code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu
(...) à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à
compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Le salarié rappelle ainsi que l'agression dont il se serait soi-disant rendu coupable
aurait été commise vers les mois d'octobre et de novembre 1997.
Si l'employeur n'a pas eu immédiatement connaissance des faits en raison du silence de la
soi-disant victime, le premier maître d'hôtel, lui, en a été informé dans les 6 mois
suivants. Le témoignage de la victime versé aux débats par la société est, fait-il
remarquer, particulièrement floue quant à la date à laquelle il se serait confié au
premier maître d'hôtel : 6 mois après les faits, 1 an après les faits ?
Le chef plongeur entend en tirer argument. Pour lui, le premier maître d'hôtel, qui a eu
connaissance des faits, doit être assimilé à l'employeur. Il a, selon toute
vraisemblance, été informé plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de
licenciement. Les faits sont précis.
Le salarié ne manque pas d'avancer à l'appui de ses propos une jurisprudence de la Cour
de cassation assimilant le supérieur hiérarchique direct du salarié à l'employeur
(Cass. soc. 8 juillet 1998 par exemple).
... conteste le défaut de preuve...
Par suite, le salarié ajoute un autre argument. Il appartient en tout état de cause à
l'employeur, qui a procédé au licenciement pour faute grave, d'en apporter la preuve.
Selon lui, aucune des attestations produites par l'employeur n'apporte la preuve de la
réalité et de la gravité des faits de harcèlement ou d'agression sexuelle qui lui sont
reprochés.
Pour lui, il ne s'agit que d'attestations reproduisant les affirmations du jeune sous
contrat de qualification. Il ajoute, au demeurant, que, si harcèlement ou agression il y
avait effectivement eu, la victime n'aurait pas manqué de s'en plaindre à sa direction,
bien avant et non pas plusieurs semaines ou plusieurs mois après. Le chef plongeur ne
manque pas de préciser que, lui, de son côté, il s'est immédiatement offusqué des
accusations qui étaient portées à son encontre.
... et les délais tardifs pour notifier le licenciement
Enfin, le salarié ajoute un 3e argument pour réfuter son licenciement pour faute grave :
le délai pris par l'employeur pour notifier la rupture de son contrat de travail. Le
salarié invoque, plus précisément, une jurisprudence de la Cour de cassation en vertu
de laquelle l'employeur, qui invoque la faute grave, se doit d'engager la procédure de
licenciement avec une célérité certaine. A défaut, celui-ci ne peut procéder à un
licenciement privatif des indemnités de rupture et du préavis (Cass. soc. 24 octobre
2000).
Or, dans cette affaire, le directeur général qui a eu connaissance des faits, début ou
mi-décembre, a convoqué le salarié à un entretien préalable au début du mois de
février suivant.
Le salarié estime que le directeur général a été particulièrement lent à engager la
procédure, et qu'il ne pouvait donc plus se prévaloir d'une faute grave, et encore moins
d'une faute lourde.
Le salarié conclut en demandant à la cour d'appel de confirmer la condamnation de son
employeur rendue en première instance par le conseil de prud'hommes.
Les arguments de l'employeur
La société fait valoir qu'elle apporte la preuve, de façon irréfutable, des faits de
harcèlement sexuel reprochés au salarié.
En effet, elle verse aux débats le témoignage du jeune sous contrat de qualification,
qui atteste avoir été victime d'une tentative de viol avec violences et séquestration,
dans la réserve de l'établissement à la fin du mois d'octobre. Le jeune ajoute que s'il
n'a pas immédiatement porté à la connaissance de sa direction de tels faits,
préférant se taire, c'est qu'il pensait que son statut de contrat de qualification ne
lui donnerait aucun crédit à l'égard de sa hiérarchie. Le chef plongeur, ancien dans
l'entreprise, semblait, pour sa part, jouir d'une certaine autorité dans
l'établissement.
En fait, le jeune avait honte et décidait de cacher les faits. Ce n'est qu'un an plus
tard, en l'absence de ce même plongeur pour congé annuel, que le jeune, sous contrat de
qualification, se livrait à des confidences auprès du premier maître d'hôtel. La
société verse d'ailleurs le témoignage de celui-ci.
Par suite, la société s'indigne de ce que le salarié puisse recourir à un artifice
juridique, plus précisément la prescription des faits, pour contester la mesure
d'éviction de la société dont il a pu faire l'objet.
A ce titre, la société rappelle que l'article L. 122-44 du Code du travail pose comme
point de départ du délai de 2 mois, pour l'engagement des poursuites disciplinaires,
"le jour où l'employeur a eu connaissance du fait fautif".
Elle ajoute que l'employeur doit, selon une jurisprudence établie, s'entendre du
responsable hiérarchique direct, c'est-à-dire, du cadre de direction ayant autorité
directe sur le salarié en cause (Cass. soc. 30 avril 1997). Or, la seule personne ayant
autorité directe sur le chef plongeur à avoir eu connaissance des faits est le directeur
général de l'établissement. Le premier maître d'hôtel n'a effectivement aucune
autorité sur le chef plongeur.
Par suite, la société indique que cette connaissance des faits, à laquelle fait
référence l'article L. 122-44 du Code du travail, "s'entend d'une connaissance
exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié"
(Cass. soc. 17 février 1997).
Or, le directeur général n'a été informé qu'au cours du mois de décembre 1998 des
faits reprochés au chef plongeur. Il a immédiatement diligenté une enquête afin
d'entendre le jeune sous contrat de qualification, ainsi que le plongeur. Dans ces
conditions, cette véritable connaissance des faits, de leur nature, de leur ampleur,
n'est intervenue qu'à la fin du mois de janvier 1999.
Enfin, et en tout état de cause, la direction rappelle que le salarié s'est confié au
premier maître d'hôtel au cours du mois de décembre, et que la procédure de
licenciement est bien intervenue dans un délai de 2 mois. Elle précise, à cet égard,
que "c'est la date de l'entretien préalable qui doit être retenue, comme celle
de l'engagement des poursuites disciplinaires, et non la date de la notification du
licenciement" (Cass. soc. 5 février 1997).
La direction conclut au bien-fondé du licenciement pour faute grave du chef plongeur,
indiquant que son comportement a bien évidemment suscité un trouble manifeste, non
seulement auprès du jeune sous contrat de qualification, mais aussi auprès de l'ensemble
du personnel ayant eu à connaître par la suite ces faits. zzz60u
La petite histoire A la fin
de l'année 1998, dans un établissement qui compte plus de 80 salariés, le directeur
général est alerté par le premier maître d'hôtel : un jeune sous contrat de
qualification vient de lui confier avoir été victime d'une agression sexuelle de la part
d'un de ses collègues masculins. w Le salarié gagne devant le
conseil de prud'hommes |
L'employeur gagne en appel |
La cour d'appel considère, tout d'abord, que la société apporte, en
produisant aux débats l'attestation du jeune sous contrat de qualification ainsi que
celle du premier maître d'hôtel, la preuve de ce que celui-ci a été victime de faits
caractérisant un harcèlement sexuel de la part du chef plongeur. Par suite, elle indique
que la procédure disciplinaire a été engagée avant que ne soit acquise une quelconque
prescription des faits. Elle ajoute que l'employeur a d'ailleurs engagé cette procédure
à bref délai dès le retour de congé du salarié qui avait été invité à s'expliquer
sur les faits. Enfin, elle considère que ces faits constituent bien une faute grave. La cour d'appel donnera finalement gain de cause à l'employeur. |
Article précédent - Article suivant
Vos commentaires : cliquez sur le Forum de L'Hôtellerie
Rechercher un article : Cliquez ici
L'Hôtellerie n° 2795 Hebdo 14 Novembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE