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du 19 février 2004
L'ÉVÉNEMENT

Pas de baisse de la TVA, une enveloppe sur les charges en contrepartie

SUR LE TERRAIN, LES PROFESSIONNELS SONT PROFONDÉMENT DÉÇUS PAR LES MESURES ANNONCÉES

Jacques Chirac renonce à réduire la TVA dans la restauration. Le gouvernement annonce une enveloppe de 1,5 milliard d'euros destinée à faire baisser les charges. Sur le terrain, c'est la déception qui domine. Tous bords, toutes catégories d'établissements confondus.

Propos recueillis par S. Soubes zzz66f

DIDIER CADEL
(Au Bureau, Alès - Gard)


Didier Cadel

"A mon avis, je ne crois pas en une quelconque manne providentielle. Ils disent nous accorder une baisse de charges, et en contrepartie, ils vont nous demander d'embaucher. Je crains malheureusement que la balance soit déséquilibrée. Les traiteurs, les chambres d'hôte, les fast-foods ne sont pas assujettis aux mêmes obligations fiscales, et nous n'allons pas pouvoir suivre. Faire une simulation d'augmentation des salaires ? Voyons, baisser les charges de 10 % ne permet pas d'augmenter de 10 % les salaires. Aujourd'hui, nous travaillons à flux tendu. Seule la baisse de la TVA aurait été viable, parce qu'elle se serait inscrite dans le temps et nous aurait permis d'agir à plusieurs niveaux. Dans notre métier, on n'arrive jamais à tenir (avec les 39 heures), il faut de plus en plus de personnel et nous n'en avons pas les moyens. Ce n'est pas des miettes qui vont nous permettre de récompenser ceux qui travaillent à nos côtés et de trouver de nouvelles recrues. Si la baisse de la TVA n'était pas possible, il aurait fallu se battre sur des sujets comme la taxe professionnelle. En France, plus on investit, plus on paye, vous trouvez ça normal ?"

WILLY DORR
(6 restaurants, Bistrot et Cie - Paris)


Willy Dorr

"Je n'ai pas les textes. Il faudrait avoir des précisions. Je le prends comme un bol d'oxygène. Le gouvernement semble vouloir faire un geste sur les salaires. Cela dit, je reste perplexe. J'attends la suite. Beaucoup de questions, je viens de vous le dire, se posent. Notamment le mode de redistribution de cette enveloppe. Une baisse de TVA touchait tout le monde, alors que là, ça va toucher qu'une catégorie d'établissements sans doute. Par rapport à quoi ? On nous a lâché un chiffre ? Qu'adviendra-t-il après les élections régionales ? Sur le principe, c'est alléchant d'avoir des baisses de charges quand on a beaucoup de personnel. Dans la réalité, tout est plus complexe. Il faudrait que la somme débloquée aille vers des gens qui en ont besoin. Est-ce faisable ?"

DIDIER CHENET
(Oh!.. Poivrier! Paris, Bordeaux et Avignon)


Didier Chenet

"En tant que chef d'entreprise, j'ai été extrêmement choqué de la façon dont nous avons été traités. Après des négociations qui ont duré 2 ans, on nous apprend par un communiqué laconique que le gouvernement comprend l'attitude de l'Allemagne, et nous renvoie aux calendes grecques. Faisons un parallèle. J'annonce à mes salariés et à mes clients qu'ils auront une offre commerciale particulière. Cette offre dépasse mes possibilités, or je la maintiens. Comment vont réagir les gens ? Je pense qu'ils me feront savoir qu'ils ne sont pas du tout satisfaits. Quand on est responsable, on doit faire attention à ce que l'on promet. Nos dirigeants savaient parfaitement qu'il fallait passer par Bruxelles. Aujourd'hui, ils disent qu'ils ne peuvent pas faire mieux. L'ancien gouvernement a suffisamment été critiqué pour ce type d'attitude. Nous sommes devant un problème franco-français, qui concerne une injustice fiscale. L'annonce faite par le gouvernement m'inquiète d'autant plus qu'on mélange le fiscal et le social.
Ce sont deux domaines qui ne doivent pas être mélangés. Bien sûr, nous n'allons pas faire la fine bouche, mais comment cela va-t-il s'articuler ? Quelles seront les compensations que nous-mêmes allons être amenés à faire ? Il y a toujours une compensation dans un domaine social. C'est une question d'équité. Quand on agit sur le plan social (salaires, conditions de travail), il y a toujours des avancées des deux côtés et c'est normal. Qu'est-ce qu'on va nous demander ? De revoir les conventions collectives ? Ce qui veut dire que nous allons repartir pour des négociations extrêmement longues. En outre, dans 18 mois, on fait quoi ? C'est sans doute un effort que nos dirigeants vont faire, dans un contexte économique extrêmement difficile. J'ai toutefois le sentiment que le gouvernement a été pris au dépourvu par cette annonce. Tout le monde semble avoir été surpris par cette volte-face de Jacques Chirac."

JEAN-MARC EDET
(Bar-restaurant Le Grand Bleu, Le Pouliguen - Loire-Atlantique)  
"Je suis dans l'expectative. Jacques Chirac nous a donné espoir et je pensais qu'on arriverait à quelque chose d'intelligent. Ce n'est pas le cas. On a l'impression que c'est une annonce électoraliste. A quoi servent un gouvernement et un président de la République si tout se décide à Bruxelles ? Je me demande si la France ne devrait pas passer en force. Quitte à se prendre une amende, et comme en général on ne les paie pas... Et s'il y avait amende, comparée aux différents déficits (je pense au Crédit Lyonnais, à Air France ou à la SNCF, sans compter ce qui va nous arriver sous un dossier secret défense... les indemnités à rendre à Taïwan)... On nous accorde une aide de 1,5 milliard d'euros. Si l'on calcule cette somme répartie sur le nombre d'employés dans la restauration, cela correspond à 15 % de ce qu'aurait représenté la baisse de la TVA. A mon avis, c'est un pansement sur une jambe de bois."

JEAN-FRANÇOIS CHASSAGNE
(Brasserie Le Carré - Paris)  


Jean-François Chassagne

C'est une mesure qu'on attendait depuis longtemps et on a l'impression d'avoir été menés en bateau. On ne se faisait pas d'illusions depuis un an, et c'est franchement regrettable de constater, en fait, que des annonces de campagnes n'aient pas été validées en amont. Nous sommes défavorisés devant la montée en puissance des fast-foods qui fonctionnent avec un taux de TVA à 5,5 %. J'ai 19 salariés et je travaille pourtant à flux tendu. J'aimerais avoir 2 personnes supplémentaires. Mais l'entreprise n'est pas à même de le supporter. J'ai fait un compte d'exploitation prévisionnel au cas où la TVA baisserait. Cela permettait à l'entreprise de respirer et là, j'allais embaucher. L'annonce de cette enveloppe est d'autant plus perverse que la clientèle est en droit d'attendre quelque chose. Ils vont dire qu'on nous a fait un cadeau et que nous ne le répercutons pas. C'est un cadeau qui ne correspond pas à la réalité du terrain."

PIERRE GALLOIS
(Brasserie La Rotonde, Aix-en-Provence - Bouches-du-Rhône)  


Pierre Gallois

"Ceux qui veulent travailler sont étranglés. Pire, si l'on veut faire un travail de qualité, à la fin du mois, on se retrouve en négatif. La profession est acculée à ne pas pouvoir travailler dans les règles de la gastronomie et du service telles qu'on les conçoit en France. Quand on a ouvert, on était sur 39 heures, et on devait obtenir en contrepartie des avantages dont nous n'avons jamais bénéficié. Il y a eu un changement de gouvernement avec la promesse d'une baisse de TVA. Promesse qui vient de tomber à l'eau. Si l'on veut avoir une politique dynamique de formation, on a besoin d'une soupape d'air pour dynamiser et respirer au niveau du staff. Même nous, les patrons, sommes fatigués de travailler 12 à 14 heures par jour sans contrepartie."

ROLAND BERNARD
(3 hôtels et un restaurant gastronomique de 9 places à Lyon, Rhône)  


Roland Bernard

"Je crains qu'on nous ait vraiment promenés avec la TVA. C'est un impôt payé par les consommateurs et on a laissé la presse grand public dire que c'était un cadeau qu'on allait nous faire, à nous, restaurateurs. La profession a besoin d'une autre image. J'aurais voulu qu'il y ait d'autres dossiers mis en route comme des aménagements massifs sur les charges patronales, à partir desquels la profession aurait réellement pu encourager l'emploi et augmenter la rémunération de ses salariés. Nous sommes sur des masses salariales qui atteignent 45 à 60 % du chiffre d'affaires. Je regrette qu'on ait abandonné le rapport du député de l'Isère, Didier Migaud. C'était concret et cohérent. Les organisations patronales n'ont pas relayé le dossier. La TVA n'est pas une charge d'exploitation. La profession a besoin de trouver un équilibre d'exploitation dans une meilleure maîtrise du coût de main-d'œuvre. Oui, je suis inquiet pour la suite des événements. Je trouve regrettable qu'on ait jeté l'opprobre sur l'Allemagne. D'abord parce que 3 autres pays sont contre. Je me demande, en outre, comment on va pouvoir avancer lorsqu'on sera 25 autour de la table quand à 15 on n'y arrive pas."

MICHEL PORCEL
(Société Restoleil, 41 établissements mer et montagne, 21 Me de CA)  


Michel Porcel

"C'est forcément une mauvaise nouvelle. C'était une mesure 'gagnant-gagnant'. C'eut été beaucoup plus qu'une bouffée d'oxygène. C'était un moyen de communiquer, de dire aux gens, on nous a aidés, et nous allons le répercuter sur l'embauche ou l'addition. Personnellement, j'ai encore la chance d'avoir une entreprise qui fait des résultats. Je pense à ceux qui sont perpétuellement dans le rouge. Cette baisse des charges est à mes yeux une 'raffarinette'. C'est gentil, c'est très pré-électoral, et c'est une mesure provisoire. On nous donne un bonbon pour qu'on soit bien sage, mais ça ne résout pas le fond du problème."

PASCAL DELOZIER
La Petite Auberge (Candol, Saint-Lô - Manche)


Pascal Delozier

"J'étais à Paris devant l'ambassade d'Allemagne avec deux de mes salariés. C'est sans commune mesure avec ce qu'on attendait. On essaie de nous donner un peu de pâté pour nous faire attendre. Est-ce que cette enveloppe ne va pas profiter à ceux qui n'en ont pas besoin ? Je pense à ceux qui sont à 5,5 %. Ce n'est même pas un quart de ce qu'on attendait. Je suis partagé entre bonne foi du gouvernement et leur mauvaise volonté à convaincre l'Allemagne. Il me manque un salarié à temps plein, mais le budget de l'entreprise est au plafond. Allez, la répartition va correspondre tout au plus à 400 euros mensuels. Je vais sans doute la traduire en prime. Mais si vous faites le calcul, ce serait une erreur de gestion d'embaucher. Dans 18 mois, qu'est-ce que je fais ? Je licencie ? Non. Ce n'est pas comme ça que je vois l'avenir. Le dossier TVA, je n'ai pas envie de le lâcher. Je suis toutefois réellement sceptique."

DENIS RIFAUT
(3 Taverne de Maître Kanter dans l'Est et au Pays Basque)
"Je suis un chef d'entreprise indépendant et je partage, comme beaucoup de mes collègues, une déception immense. Il est impossible de se prononcer sur l'avenir et encore moins sur ce qui va être mis en place. Est-ce que cela va me permettre d'embaucher ou d'augmenter les salaires ? L'un ne doit pas compenser l'autre. Ce serait une grave erreur. Il est trop tôt pour se prononcer sur l'intérêt de cette enveloppe. On verra le 8, mais je suis inquiet. Je vois ce qui se passe autour de moi. Même certaines tavernes ont du mal, alors que c'est un concept qui fait ses preuves et qui est apprécié. La vraie question, c'est : le débat est-il clos ou remis ? L'espoir fait vivre, dit le proverbe. J'ai surtout l'impression qu'on nous rabâche l'Europe pour nous faire passer la pilule. La restauration traditionnelle a beaucoup perdu le midi. En face de nous, la restauration à emporter bénéficie d'un taux de TVA qui l'avantage. La restauration pure et dure ne peut pas lutter dans un contexte d'injustice fiscale, d'inégalité fiscale." 

BERNARD QUARTIER
(Bar Le Chat Noir, Beaugency, Loiret)
"Ce qu'on nous propose n'est pas acceptable. On nous a menés en bateau. Nous devons réagir et nous avons décidé, dans la région, de faire liste commune avec Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT). L'ensemble de l'industrie hôtelière sera représenté dans tous les départements. Nous avons même une buraliste qui s'est jointe à nous dans le Loiret. Nous refusons une étiquette politique. Ce qui nous intéresse avec le CPNT, c'est qu'ils ne sont ni marqués à gauche, ni à droite. Ils défendent des valeurs que nous partageons. C'est tout. Nous ne voulons pas que nos professionnels soient tentés par le Front national. Cette démarche n'a rien à voir avec le syndicat. Dans la presse grand public, j'ai évoqué la baisse des chiffres des débitants de boissons et d'éventuelles compensations. Dans nos revendications et notre programme, nous souhaitons que ce secteur puisse continuer d'exister. Il ne s'agit pas forcément de compensations financières. Il y a d'autres possibilités. Nous voulons aussi dans la région Centre remettre en cause le schéma touristique qui oublie une grande partie du patrimoine. Notre programme devrait être finalisé d'ici à la fin de la semaine. Parmi nos objectifs : un homme = un mandat. On en a marre de ces gens qui cumulent et ne laissent pas le terrain s'exprimer. On va aussi lancer une souscription de soutien auprès de tous les professionnels et ça n'a rien à voir avec le syndicat."

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