du 24 juin 2004 |
ÉDITO |
Le très dynamique ministre de l'Emploi, du Travail et de
la Cohésion sociale vient de lancer un 'plan national' de lutte contre le travail
illégal. Car, selon les pouvoirs publics, il faut agir vite. En effet, ce serait chaque
année une somme de 55 milliards d'euros qui échapperait ainsi frauduleusement aux
caisses de l'Etat. Quand on connaît l'impécuniosité permanente du Trésor public, on
comprend l'urgence de la tâche...
"Impitoyable", a lâché le ministre qui n'hésite pas à rappeler
les lourdes peines qu'encourent les contrevenants. Certes, cette mâle assurance va
forcément rassurer tous ceux qui respectent scrupuleusement la législation du travail,
même si par ailleurs, certaines professions, dont celles des cafés, hôtels,
restaurants, sont systématiquement désignées à l'opprobre public pour son taux
d'infractions au Code du travail. Bien sûr, et M. Borloo le sait bien, notre secteur
n'est pas exactement un modèle de vertu en la matière, ce qui pose un problème auquel
un ministre éminent (il n'y a que des ministres éminents, certes) ne saurait rester sans
réponse : pourquoi précisément les CHR, mais aussi l'agriculture, l'industrie du
spectacle, le bâtiment, le commerce et la confection sont-ils plus touchés par le fléau
du travail clandestin ? On connaît les arguments traditionnellement avancés pour
expliquer, sinon justifier parfois, des pratiques à la fois moralement inacceptables et
juridiquement répréhensibles : ils ne sont guère convaincants et ne peuvent en tout
état de cause exonérer les auteurs de ces coupables pratiques.
Mais il serait tout aussi injuste et dangereux de croire que seul un renforcement
de la répression contribuera à assainir la situation. Car le problème est loin d'être
simple : de la PME incapable de jongler avec la stupide loi sur les 35 heures aux
pratiques cyniques des employeurs de la production audiovisuelle en passant par les
contraintes naturelles de l'agriculture, la réponse n'est pas et ne peut pas être
unique. S'il y avait une solution toute faite, ça se saurait...
Alors, il faudra à la fois faire preuve de fermeté dans l'application de la loi
et réfléchir aux moyens d'éviter qu'un système pervers et anticoncurrentiel ne
continue à prospérer. Il faudra réprimer avec discernement, mais également convaincre
: convaincre les employeurs, surtout dans certaines régions, de résister au véritable
chantage des candidats à l'emploi qui refusent de travailler s'ils sont déclarés, afin
de conserver le bénéfice des allocations diverses et variées qui permettent parfois de
vivre pas trop mal sans s'échiner à la tâche. Cela aussi, il faudra que la
représentation professionnelle le fasse valoir auprès des responsables politiques. De
même qu'il ne faudrait pas occulter la concurrence déloyale que subissent de nombreuses
professions, notamment l'hôtellerie et la restauration, d'un paracommercialisme qui
connaît un regain d'activité.
Un exemple 'politiquement incorrect' certes, mais combien révélateur des mentalités :
lors d'une récente 'manif' de la CGT (toujours au nom du service public, passons), les
organisateurs, très organisés, avaient dès 7 heures du matin installé plusieurs
'buvettes CGT' place de la Bastille à Paris, sous les devantures des nombreux
établissements installés officiellement autour de la célèbre place. On suppose que
c'est en toute légalité que les vaillants 'limonadiers' d'un jour firent recette pour le
respect du droit fiscal et social, sans oublier les règles de l'hygiène...
Alors, que nos ministres se décident à 'faire appliquer la loi', c'est la moindre
des choses dans un Etat que l'on veut croire encore de droit. A condition que cette loi ne
relève pas de l'application sélective.
Et le contribuable le mieux intentionné s'étonnera toutefois que pour renflouer
les caisses de l'Etat, on annonce... le recrutement de nouveaux fonctionnaires à
l'inspection du travail.
L. H. zzz80
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L'Hôtellerie Restauration n° 2878 Hebdo 24 juin 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE