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Même si sa trajectoire l'a un temps éloigné de son pays natal, Jean-Jacques Bénet n'a eu de cesse de retrouver ses montagnes. A 25 ans, il s'est réinstallé dans son Ariège natale où, depuis mars 1999, il est le seul étoilé Michelin du département. Regard sur le parcours d'un jeune homme bien dans sa peau.
m Jean-François Mesplède
Le point commun entre Fabien
Barthez, le charismatique gardien des Bleus champions du monde, et Jean-Jacques Bénet, le
seul étoilé Michelin du département de l'Ariège ? Tous deux sont natifs de Lavelanet,
7 000 habitants, dont les musées du Textile et du Peigne en corne assurent l'essentiel de
la réputation. Si, comme tous les gamins du coin, il joua un temps au football et au
rugby, Jean-Jacques Bénet ne pensa jamais y faire carrière. Passionné par la cuisine,
il prit la route de l'école hôtelière de Toulouse où il fit ses gammes. De là à
Montferrier, petite bourgade de l'Ariège de 680 âmes où il ouvrit son Castrum en juin
1996, le parcours est rectiligne. Il passe chez Dominique Toulousy aux Jardins de l'Opéra
de Toulouse, Michel Rochedy au Chabichou de Courchevel et de Saint-Tropez, et chez
Jean-Paul Lacombe chez Léon de Lyon.
Lyon où, à 23 ans, Jean-Jacques se retrouva chef d'un Gourmandin en déconfiture où
Daniel Abattu chercha, sans la trouver, la bonne solution pour la survie de
l'établissement. "J'ai alors décidé de revenir en Ariège pour une certaine
qualité et hygiène de vie. Pour retrouver mes racines aussi. A 25 ans, j'ai choisi de
m'installer", dit Jean-Jacques Bénet. A Montferrier, un ancien bâtiment est
transformé en restaurant : les bureaux deviennent salle à manger, les archives se
transforment en cuisine. Béatrice, l'épouse du chef, n'hésite pas à abandonner son
métier d'infirmière pour vivre l'aventure. Le couple n'a pas un sou en poche, et les
banquiers regardent les yeux écarquillés ce jeune homme qui prétend faire de la
gastronomie en Ariège avec un ticket moyen à 250 francs.
"C'est quand même formidable, le matin quand on se
lève, de se dire que c'est un régal d'aller au boulot."
Une réputation gourmande
Ce projet n'entre pas dans les habitudes d'une région où la gloire de la Barbacane (2
étoiles à Foix dans les années 30) appartient au passé et où la seule maison Eychenne
supporte à Saint-Girons la réputation gourmande du secteur. "Je ne sais combien
de fois j'ai entendu dire que ce n'était pas possible de faire ce que je voulais. Nous
avons eu zéro franc, zéro centime, mais j'ai suivi mon idée. En juin 1996 et avec 300
000 francs d'investissements, nous avons débuté avec un accueil simple, des produits
frais et un petit menu à 120 francs. Nous avons vite constaté que notre restaurant
correspondait à une demande : ceux qui se rendaient en Haute-Garonne, dans l'Aude ou les
départements limitrophes, sont venus chez nous." En mars 1999, l'établissement
fait une entrée remarquée dans le guide Michelin. Avec l'étoile et le Bib
Gourmand signalant les "repas soignés à prix modérés", Jean-Jacques
Bénet fait coup double. "Même si nous donnions toute notre énergie et notre
savoir-faire, nous ne nous attendions pas à ça : nous avons eu 40 % d'augmentation. Nous
avions déjà une clientèle fidèle et le restaurant devenait trop petit. Il n'était
plus aux normes et j'avais pensé à déménager", explique Jean-Jacques Bénet
qui, cette fois, éprouve moins de difficultés à convaincre les banquiers de lui faire
confiance. "Quand vous passez de 1,2 MF la première année à 2 MF de chiffre
d'affaires, puis à 4 avec des résultats, c'est plus facile."
En montagne, dans une zone classée de revitalisation rurale, Jean-Jacques Bénet obtient
une subvention correspondant à 27 % de l'investissement avec pour seule obligation de
rester là pendant 10 ans. Sur un terrain offert par la municipalité et moyennant une
enveloppe globale de 7 MF, le chef peut construire en l'an 2000 et sur 1 000 m2 le
restaurant dont il rêvait avec une vaste cuisine et une salle claire. Un hôtel aussi,
dont les chambres ouvrent sur la montagne toute proche. "L'Ariège a 20 ou 25 ans
de retard, mais avec le développement de l'axe Toulouse-Barcelone, c'est un département
d'avenir pour le tourisme. Nous sommes à une dizaine de kilomètres de l'autoroute, et si
l'on veut attirer les clients chez nous, il faut qu'ils puissent dormir sinon ils vont
ailleurs." A 30 ans, père comblé d'un garçon de 3 ans et demi et d'une fille
de 7 mois, Jean-Jacques Bénet est heureux : 18 personnes s'activent au Castrum (1) qui
affiche 7 MF de chiffre d'affaires. Ouvert tous les jours de l'année, le restaurant est
réputé et le ticket moyen est passé de moins de 200 francs au début à 350-400 francs
aujourd'hui... Ce qui n'est pas une mince performance dans le secteur.
En 2000, et sur 1 000 m2, Jean-Jacques Bénet a pu construire le restaurant dont
il rêvait avec une vaste cuisine et une salle claire.
Problème de personnel
"Etre chef-patron est aussi un atout. Au début, je ne me suis pas payé et
aujourd'hui encore, je ne touche pas un salaire d'un chef étoilé Michelin. Cela ne
m'empêche pas de vivre, et au bout de 5 ans, je vais commencer à penser à un retour sur
investissement."
En Ariège comme ailleurs, les problèmes de personnel existent. Jean-Jacques Bénet
n'élude pas le problème, mais s'efforce de le solutionner. "Nous avons du mal
parce que certains ont trop tiré sur la ficelle. J'ai vécu ça et je ne veux pas me
comporter de la même manière avec mes employés. Je veux qu'ils soient bien dans
l'entreprise et qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes : il faut donc qu'ils aient aussi
le temps de profiter de la vie. Nous avons 2 jours de repos consécutifs, nous allons
passer à 2 jours et demi. Les gars sont conscients de tout ça : ils travaillent pour
l'entreprise et savent se montrer conciliants s'il faut décaler les congés. En retour,
il faut savoir renvoyer l'ascenseur. J'ai des collaborateurs qui me suivent depuis 5 ans ;
je pense que le système mis en place est efficace."
On imagine volontiers le discours tenu à un jeune tenté par un métier dont Jean-Jacques
Bénet ne doute aucunement qu'il a tout pour séduire. "Bien sûr, il faut être
passionné et ne pas regarder sa montre. Mais quand un jeune me demande conseil, je lui
dis vas-y, tu verras toujours, le métier de cuisinier débouche sur tout. J'ai 30 ans et
je n'ai jamais eu l'impression d'avoir travaillé. J'ai toujours fait ça avec passion et
avec plaisir. C'est quand même formidable, le matin quand on se lève, de se dire que
c'est un régal d'aller au boulot. On est en train de prendre conscience que nos métiers
vont bouger et qu'ils apporteront davantage de liberté au niveau des horaires. D'ici 5
ans, nous aurons le retour de ce qui est entamé depuis 2 ans où la convention collective
a imposé les 2 jours. Tout le monde va s'y retrouver et j'espère que beaucoup auront
envie de revenir dans ce métier..." n
(1) En latin 'castrum' signifie poste fortifié d'un camp et, par extension, la
forteresse.
En Ariège, c'est le village fortifié autour des châteaux cathares.
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En chiffres |
Superficie : 1 000 m2 Chiffre d'affaires : 7 MF Ticket moyen : 350-400 F Effectif : 18 personnes Ouvert tous les jours |
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L'HôTELLERIE n° 2725 Magazine 5 Juillet 2001