A 46 ans, l'élève de Michel Guérard et de Roger Vergé est le cuisinier français le plus étoilé d'Amérique. Hommes politiques, 'high society', stars du show-business, raffolent de sa french touch. Un succès qui repose sur une capacité de travail hors norme, une modestie sans faille et un background de haute volée.
m Claire Cosson à New York
Le chef français a su trouver le juste équilibre entre tradition et innovation.
Sa cuisine fascine les Américains.
Vous
franchissez Broadway, puis vous remontez jusqu'à la 65e rue en plein cur du très
chic quartier Upper East Side. Qu'il fasse jour ou nuit, les sirènes de police et les
vrombissements des hélicoptères sur Manhattan ne vous lâchent pas une seule seconde.
Dans l'intarissable 'vapeur' qui se dégage des sous-sols de Big Apple, les chauffeurs des
célèbres taxi jaunes s'en donnent eux aussi à cur joie. Ici, la pression est de
chaque instant. Vous poussez une porte-tambour laissée ouverte à votre attention dans
l'immeuble qui, autrefois, abritait le Mayfair-Regent. Vous traversez ensuite un palais
baroque à tendance vénitienne baptisé Daniel, et vous grimpez enfin quatre à quatre un
escalier presque à la verticale. Le souffle vous manque... C'est beau, mais qu'est-ce que
c'est haut ! Le spectacle vaut néanmoins la chandelle. Une petite plate-forme vitrée,
agréablement aménagée, surplombant les cuisines de la 'coqueluche' culinaire du tout
New York, vous attend.
Avec son cur gros comme ça et ce petit sourire 'craquant' dont raffolent les
Américaines, Daniel Boulud vous accueille à bras ouverts. A peine assis, le voilà
cependant qui saisit son téléphone en s'excusant poliment. "Dis donc ! La fleur
de courgette, il faut la réviser complètement... Et les écrevisses, attention à ce
qu'elles ne soient pas trop cuites", indique à son bras droit le chef gratifié
de 4 étoiles par le New York Times. A voir celui que le Herald Tribune
considère comme l'une des 10 meilleures tables du monde, aussi soucieux du moindre
détail, il semble bien que l'on ne puisse jamais s'endormir sur ses lauriers de l'autre
côté de l'Atlantique.
Daniel est l'une des 10 meilleures tables du monde pour le New York Herald
Tribune.
Star de la french cuisine
"Malgré ce que pensent encore certaines mauvaises
langues, les Américains adorent la cuisine. Et ils en sont d'autant plus exigeants",
avoue sans détour Daniel Boulud. Et d'ajouter : "Il ne suffit plus ici d'être un
chef français pour séduire les gourmets et les gourmands." En attendant, le
rêve américain paraît pourtant bien être devenu réalité pour ce 'petit bouchon'
(natif de Saint-Pierre-de-Chandieu dans les environs de Lyon) à la quarantaine
séduisante. Véritable star dont la presse américaine s'arrache les interviews, les
livres (il en a publié deux à titre d'auteur Daniel Boulud's Café Boulud Cookbook et
Cooking with Daniel Boulud) et autres conférences dans les institutions les plus
cotées - telles Cornell University ou bien encore The Culinary Institute of America -, la
moindre apparition de ce Frenchie déchaîne les foules.
Mieux encore ! Têtes couronnées, hommes politiques et vedettes du grand écran (de Woody
Allen en passant par Brad Pitt, Dustin Hoffman, Whoopi Goldberg et même Gérard
'Depardiou'), ont fait de ses établissements leur cantine préférée. Et en dépit de sa
modestie légendaire, il faut reconnaître que Daniel Boulud compte aujourd'hui quelques
sacrées bonnes adresses dans Manhattan. Outre la grande affaire de sa vie, 'Daniel',
installée dans la salle qui fut celle autrefois du fameux Cirque, le chef français
régale aussi au Café Boulud sur la 76e rue.
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S'amuser et prendre du plaisir
Un bistro chic qui n'a certes rien de commun avec le café familial du début du siècle
où les clients aimaient à taper le carton en dégustant de bons petits plats. Reste
qu'avec des classiques revisités comme le pot-au-feu ou la bouillabaisse concoctée avec
des ingrédients nord-américains, toute la high society new-yorkaise a bel et bien là de
quoi saliver.
Mais l'eau à la bouche, vous l'aurez également dans son tout dernier restaurant (juin
2001) dénommé DB Bistro Moderne qui se définit comme "un lieu au goût parisien"
dans New York. N'oublions pas encore l'activité traiteur avec la société Feast &
Fêtes (prestations de 'haute couture' sur mesure) et une marque de caviar distribuée par
correspondance. Bref, le Dinex Group que dirigent Daniel Boulud avec son partenaire
financier Joel Smilow et son amie Lili Lynton, réalise sans en avoir l'air de 30 à 32
millions de dollars de chiffre d'affaires et emploie quelque 300 collaborateurs. Plutôt
pas mal pour un French Cook au pays du hamburger et de la crème glacée. Alors si ce
succès ne se dément pas depuis maintenant presque 20 ans, quel est donc le secret de
Daniel Boulud ? Eh bien, comme de coutume, rien ne tient au hasard. A commencer par le
fait que Daniel n'a jamais méprisé rien ni personne. "Je ne suis pas en effet
arrivé aux Etats-Unis en terrain conquis. J'ai cherché d'abord à comprendre les us et
les coutumes de ce pays", confie volontiers le chef qui débuta l'aventure
américaine derrière les fourneaux du représentant de la Commission européenne à
Washington.
Et de préciser : "J'y ai découvert des produits exceptionnels comme les pigeons
de Pennsylvanie, les agneaux de lait du Colorado... Ainsi que des gens passionnés de
cuisine pour qui aller dans un restaurant gastronomique signifie s'amuser et prendre du
plaisir. Aux Etats-Unis, un restaurateur n'est pas en effet là pour jouer la messe. Son
rôle est de créer une ambiance." Même si les Américains viennent souvent
dîner à 18 h 30, ce qui, d'ailleurs, permet de faire deux à trois services au lieu d'un
(d'où les capacités élevées des restaurants gastronomiques : Daniel propose 120 places
assises), ils aiment en réalité la qualité, la convivialité et veulent être sans
cesse étonnés.
Sa cuisine est toujours en évolution.
Des trésors d'imagination
En clair, mieux vaut être compétent et créatif à Big Apple pour s'attacher les faveurs
d'une clientèle pas tout à fait comme les autres. "Chez Daniel, j'ai entre 800
et 1 000 clients qui paient au mois. Ils déjeunent ou dînent ici au moins une fois par
semaine. Beaucoup n'ouvrent même pas la carte. Ils appellent le maître d'hôtel et lui
disent : demandez donc à Daniel qu'il nous prépare quelque chose...", raconte
enthousiaste ce Lyonnais qui, à l'âge de 14 ans, annonça sans détour qu'il serait
cuisinier et rien d'autre. Innover en permanence, voilà donc l'une des recettes majeures
du 'roi' Daniel. Sa carte change d'ailleurs pas loin de 8 fois par an et s'accompagne de
plats du jour sans cesse renouvelés. Des trésors d'imagination... Qui évidemment ne
partent pas tous azimuts. Même si les chefs peuvent s'aventurer dans des mélanges de
saveurs inédits de l'autre côte de l'Atlantique (attention tout de même aux goûts trop
puissants), il leur faut en fait trouver le juste équilibre entre la tradition et
l'innovation. "Car les Américains apprécient à la fois sophistication et
ruralité", souligne le patron de Dinex Group.
Ce en quoi excelle indiscutablement Daniel Boulud au regard de ses spécialités (Nage
d'huîtres et ceviche de Saint-Jacques du Maine, Duo de buf sauce échalote au vin
rouge accompagnée de moelle truffée...), et du niveau de fréquentation de l'ensemble de
ses restaurants new-yorkais. "Jamais ne se pose en effet la question de savoir si
on aura du monde ou pas", commente un des proches collaborateurs du chef. Mais,
ce talent de créateur n'aurait sans doute pas pu s'exprimer sans un background de haute
volée. D'ailleurs, Daniel ne rate pas une occasion de rendre hommage à ses maîtres. Il
y a bien sûr sa grand-mère et sa mère qui gravèrent à jamais dans la mémoire de ce
gamin élevé à la campagne la cuisine du terroir.
Outre ses trois restaurants, DB dispose également d'une société de traiteur,
Feast & Fêtes, ainsi qu'une marque de caviar distribuée par correspondance.
Premiers cours d'anglais chez Vergé
Il y aussi la découverte de la 'vraie' cuisine durant son apprentissage chez Nandron à
Lyon. Et puis, il y a encore bien sûr l'enseignement dispensé chez les plus grands.
Georges Blanc d'abord, puis Roger Vergé au Moulin de Mougins, et Michel Guérard à
Eugénie-les-Bains. "Chaque maison m'a apporté quelque chose de différent. Avec
Georges, c'était le goût de l'ambition !", se souvient avec émotion Daniel
Boulud. Et de poursuivre : "Chez Michel Guérard, j'ai découvert la complexité
et la créativité dans la simplicité. C'était en effet une explosion de stress rien que
pour cuire un lapin !"
Sous le soleil de la Côte d'Azur, au Moulin de Mougins, il apprend la cuisine du jardin
avec le travail des légumes pour laquelle il garde un profond attachement. Et puis
également l'art des sauces rafraîchissantes ou juste un peu relevées qui vous mettent
les papilles en émoi. Sans oublier l'envie de voyager. "Roger Vergé m'a
effectivement incité à franchir les frontières de l'Hexagone. C'est lui d'ailleurs qui
m'a offert mes premiers cours d'anglais et qui m'a envoyé au Danemark", raconte
le chef le plus étoilé d'Amérique.
Loin de la France, l'oiseau échappé de son nid se prend du reste à avoir très vite des
ailes. D'autant plus qu'il se passionne réellement pour les cultures et les goûts venus
d'ailleurs. Notamment ceux qu'il approche à ses débuts en Amérique. "Je suis
venu ici par curiosité. J'ai effectivement toujours été fasciné par ce pays",
confesse volontiers Daniel. Pays qui, aujourd'hui, le lui rend d'ailleurs au centuple.
Reste que Daniel Boulud n'a jamais ménagé sa peine pour parvenir au sommet. Modeste,
généreux et bûcheur à l'extrême, il travaille entre 12 et 15 heures par jour. "Je
n'ai jamais bien saisi le sens du mot vacances", indique avec humour
l'intéressé qui ne s'éloigne guère plus de 2 semaines consécutives de ses affaires.
Quand on aime en Amérique, on ne compte pas ! (Encore moins les semaines de congé.)
Après tout, c'est la rançon de la gloire. Ce qui semble convenir comme un gant à notre
french cook qui planche déjà sur de nouveaux projets. Un petit coin de soleil
estampillé Grand Sud à New York, why not ? n
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De l'autre côté de l'Atlantique, Daniel Boulud a appris à communiquer. Il le
fait si bien qu'aujourd'hui la presse s'arrache la moindre de ses interviews.
Bio express 1955 |
Quelques récompenses
Liste non-exhaustive
Chevalier
de l'ordre national du Mérite en mars 2001
4 étoiles au New
York Times en mars 2001
5 étoiles
dans le Mobil Travel Guide depuis trois années consécutives
Times Out
New York, Meilleur chef de l'année 2000 et Meilleur restaurant français
Bon
Appétit Magazine, Meilleur chef de l'année 1999
5 Diamonds
dans l'Automobile Club of America depuis 1996
Gourmet
Magazine, n° 1 à New York en 1997 et 1999
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L'Hôtellerie n° 2738 Magazine 4 Octobre 2001