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Propriétaire du Tabac de la Mairie, dans le XVIe arrondissement de la capitale. Buraliste, secrétaire général et administrateur de la Confédération nationale des débitants. Breton, monté à Paris en 1972, Gérard Bohelay a démarré son apprentissage en cuisine à 15 ans. Principale caractéristique : sa passion du métier.
m Sylvie Soubes
"Les gens viennent dans nos établissements pour renouer avec une chaleur
humaine que la société tend à gommer", constate Gérard Bohelay.
Rares sont les professionnels à évoquer d'une même voix la cuisine et le bistrot. A y mettre autant de ferveur et de sagesse. L'homme sait de quoi il parle. A l'âge de 15 ans, il se lance, à sa demande, dans un apprentissage en cuisine. La première année, il fait la plonge et se familiarise avec les hors-d'uvre. L'année suivante, comme il en veut, comme il est doué, on lui confie les fruits de mer. Le poste est important en Bretagne maritime. La troisième et dernière année, il 'touche' aux plats du jour. "Il n'y avait que des produits frais à La Marée et trois sortes de restaurants. En été, on faisait jusqu'à 650 couverts par jour", se souvient-il. Au début, le jeune Bohelay est rémunéré 10 F par mois, mais au bout du 5e mois, on lui donne 120 F. Les autres apprentis sont encore à 50 F. Le garçon est prometteur dans un environnement qu'il reconnaît aujourd'hui "très dur". Il ajoute : "Je suis issu d'un milieu pauvre, mais où il y avait des valeurs. Et quand j'ai fait mon apprentissage, c'était pareil. C'était difficile, mais il y avait des règles." Son service militaire va trancher avec ce qu'il a vécu jusque-là. Gérard se retrouve à Metz, en cuisine, dans la haute société militaire. La table de réception prévoit 14 convives. C'est la seule fois de son existence où Gérard Bohelay va bénéficier d'une voiture avec chauffeur pour faire ses achats ! Il en éprouve encore un certain étonnement.
Paris
Son devoir militaire effectué, Gérard Bohelay est embauché dans un restaurant proche de
Vannes. Le Roofle est spécialisé dans les produits de la mer, et les 30 couverts
affichent souvent complet en saison. "Nous étions jusqu'à 5 en cuisine. J'ai
été second puis j'ai remplacé le chef." En 1972, il passe un cap important en
décidant de faire ses preuves dans la capitale. "Je n'avais alors aucune idée de
ce que pouvait être un palace ou un grand restaurant", sourit-il.
Première étape à Poissy, dans un restaurant de centre commercial. Une brigade de 11
personnes et des pointes à 250 couverts le dimanche. Il y sera là aussi second, puis
chef. "En 1976, j'avais envie de voir autre chose, et j'ai passé une petite
annonce dans L'Hôtellerie en indiquant que je cherchais une place de chef. Je me
souviens bien de ce moment-là, car mon épouse a dû prendre 2 jours de congé pour
répondre aux propositions qui étaient faites alors par téléphone. De mémoire, on a
reçu 70 coups de fil dans une journée !" Autre anecdote : L'Alsace aux Halles
aurait bien aimé l'employer. Malheureusement, le second était plus âgé que lui. "Ils
ont eu peur que cela ne passe pas..." Gérard Bohelay se fixe à la Brasserie de
l'Etoile, sur les Champs-Elysées. Repos le mardi et des horaires continus le reste du
temps. "Moi qui avais l'habitude de terminer tard, je finissais cette fois dans
l'après-midi. Cela me faisait drôle de quitter le travail alors qu'il faisait encore
jour. J'avais presque l'impression de voler mon patron !"
1 300 cafés les jours de marché
L'épouse de Gérard Bohelay était dans un service comptable. Elle travaillait
obligatoirement le mardi. "En fait, on ne se voyait pas beaucoup,
témoigne-t-il. On en avait ras-le-bol, alors on a choisi de tenir une affaire
ensemble." Nouvelle étape qui mène le couple à Villejuif. "Nous avons
pris en gérance libre un bar-hôtel-restaurant." Menu à 26 F le midi comprenant
entrée, plat, dessert et quart de vin. "Il fallait que je ne dépasse pas 6,50 F
d'achat. Pour y arriver, je faisais tout, même désosser les demi-bufs. J'allais
tous les matins à Rungis." Après seulement 2 ans, les Bohelay achètent un
tabac à Villeneuve-Saint-Georges qu'ils agrandissent l'année suivante, en 1981. 300
hectos de bière par an, et les jours de marché jusqu'à 1 300 cafés dans la journée...
"Ce n'était pas facile. Le vendredi soir, notamment, avec les jeunes qui venaient
des cités. Ce que je retiens surtout de cette époque, c'est l'extraordinaire entraide
qui existait entre les commerçants de la rue. On était vraiment solidaires les uns des
autres, et on se tenait au courant quand il y avait un problème." En 1988, il
quitte la banlieue pour les beaux quartiers. Il rachète le Tabac de la Mairie, rue de la
Pompe, dans le XVIe arrondissement de Paris. En 1991, il abandonne le PMU pour créer, à
l'étage, une salle de brasserie. Mais Gérard n'est plus en cuisine depuis longtemps.
"On ne peut pas être partout. Je m'occupe de la salle, des achats, du tabac..."
L'établissement emploie 12 personnes. "Il y a longtemps que je donne 2 jours de
repos au personnel bien avant que la législation ne tombe. Je crois que pour garder son
personnel, et faire marcher ce type d'affaire dans de bonnes conditions, il faut que tout
le monde soit satisfait."
Le Tabac de la Mairie bénéficie à l'étage d'une petite salle de restaurant
très demandée.
Syndicalisme
En 1988, Marcel Vallat, 'grand bonhomme' des tabacs, président de la Chambre syndicale
des tabacs de Paris et sa région, récupère dans ses troupes syndicales ce buraliste de
la rue de la Pompe qui est réputé pour dire ce qu'il pense haut et fort. Il est
secrétaire général adjoint de l'organe départemental lorsque Michel Arnaud en devient
le président. Le dynamisme de Gérard Bohelay convient au mouvement engagé par Michel
Arnaud (actuel président de la Confédération nationale des tabacs). Le voilà promu
secrétaire général. Il participe à de nombreux travaux. Il devient vice-président du
centre de formation des débitants de tabac et du centre de gestion, il entre également
au conseil d'administration de la confédération. Il représente les buralistes à la
CGPME et accepte d'être délégué consulaire auprès de la chambre de commerce et
d'industrie. "En matière de tabac, nous avons la chance d'avoir une structure
syndicale forte. Je regrette sincèrement que ce ne soit pas le cas concernant le café."
Interrogé sur l'avenir de la profession et sur la manière dont il perçoit les
générations montantes, Gérard Bohelay se veut confiant. "C'est sûr que les
générations actuelles gagnent moins bien leur vie dans le métier que dans les années
70 ou 80. Cependant, elles savent donner une meilleure image de la profession. Et
pourtant, on est attaqué de partout. Il ne faut pas boire, il ne faut pas fumer, c'est
tout juste s'il faut manger... Il y a beaucoup d'efforts d'innovation dans la profession,
et nous répondons aussi à un besoin de convivialité. Les gens viennent dans nos
établissements pour discuter, pour parler avec d'autres personnes, pour renouer avec une
chaleur humaine que la société tend à gommer." Ce jour-là, un habitué
demande à Gérard Bohelay de l'aider à remplir un formulaire administratif. Il s'y
emploie alors avec amitié, entre deux cafés. "Que voulez-vous, cela fait partie
du métier !", termine-t-il. n
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Gérard Bohelay veille sur le Tabac de la Marie depuis 1988.
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L'Hôtellerie n° 2747 Magazine 6 Décembre 2001