Après avoir traversé un moment délicat, le Plaza Athénée reprend l'offensive sur le marché de l'hôtellerie de luxe internationale. Un retour tout en finesse et élégance qui résulte d'un travail collectif. Et d'un directeur à la fois fédérateur et audacieux.
Claire Cosson
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© Thierry Samuel
Pas de
chance ! Voilà presque trente minutes que vous avez tout mis en uvre pour lui tirer
le portrait et il ne trouve rien de mieux à vous déclarer : "En réalité, je
déteste que l'on parle de moi". On y arrive quand même... François Delahaye
vous avoue d'abord qu'il a triplé sa septième, que ses résultats scolaires étaient
tellement médiocres qu'en guise de vacances, sa mère l'expédie un beau jour découvrir
les joies de la cuisine, que son expérience de valet de pied chez le Duc de Westminster
fut amusante à souhait... Depuis une demi-heure environ, vous buvez ses paroles comme du
petit lait, tout en noircissant des dizaines et des dizaines de feuilles de papier. Avec
d'autant plus d'assiduité d'ailleurs que sa voix suave et son humour décapant laissent,
à eux seuls, augurer des 'tranches de vie' peu ordinaires. La mort de son père, à
l'âge de 13 ans, lui a donné 'faim'. La satisfaction affichée d'un client, devant ses
premiers ufs mimosa, lui procure une joie intense. Sa sélection à la tête du
Plaza Athénée, parmi quelque 26 candidats, tous de haute volée, il n'y a pas cru un
seul instant. Depuis une demi-heure, avec une réelle modestie et parfois même un
perceptible manque de confiance en lui, il titille véritablement votre curiosité. Oui,
mais voilà. Vous n'irez pas plus loin dans l'introspection. Car François Delahaye, fils
d'une bonne famille de quatre enfants, n'aime pas du tout s'attarder sur sa 'petite'
personne. Alors en l'espace de dix secondes, il change de sujet. Cette fois, le directeur
général de l'Hôtel Plaza Athénée entame un élogieux discours à propos du capital
humain de l'entreprise.
"Merci" aux 500 salariés
D'emblée, vous vous attendez au pire. Autrement dit, à un plaidoyer léché sur les
vertus de la cohésion d'équipe et autres styles de management à la mode. "Je
vous assure, ce n'est pas moi le plus important", poursuit en toute logique
l'intéressé. "Je donne bien sûr le cap et définis la route pour atteindre des
objectifs précis. Mais, la force et la richesse du Plaza Athénée, ce sont les hommes et
les femmes qui y travaillent", confie ce natif de Lille, le sourire troublé.
Au train où vont les choses, ce quadra qui a tout du jeune homme bon chic bon genre, va
vous affirmer que si le palace de l'avenue Montaigne remonte actuellement la pente au
hit-parade de l'hôtellerie de luxe internationale, il faut en premier lieu dire "un
grand merci" aux 500 employés de la maison. La progression sensible du taux
d'occupation (73 %) et celle du prix moyen chambre (640 euros) enregistrée au cours des
deux dernières années, c'est aussi à mettre à leur profit. Tout comme les 50,30
millions d'euros de chiffre d'affaires générés en 2001, et le retour aux bénéfices du
département restauration de l'établissement, conseillé désormais par Alain Ducasse.
Après tout, ce "leader plus que manager", comme le décrit si
sincèrement Laurence Bloch, sa directrice d'hébergement, a peut-être finalement raison.
Au regard de son histoire étonnante, le Plaza Athénée n'est assurément pas un hôtel
de luxe tout à fait comme les autres. Et les salariés qui y officient, encore moins.
Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement quand on sait qu'au début des années
1970, l'hôtel fut à la pointe des avancées sociales en instituant le premier les deux
jours de repos consécutifs ou bien encore la cinquième semaine de congés payés, et
enfin une redistribution des richesses par l'intéressement.
Le passage de Paul Bougenaud, appelé par ses salariés Monsieur Paul, aux commandes de ce
merveilleux navire n'a pas été anodin.
© Thierry Samuel
Gagner tout seul ne l'intéresse pas. "Sa philosophie : un personnel heureux
pour des clients heureux"
Gestion participative
Chef concierge et délégué syndical, à qui le groupe britannique Forte confie les clefs
de la maison voilà plus de 30 ans, l'homme mise en effet très tôt sur la gestion
participative. Une caractéristique qui n'est pas sans avoir façonné les mentalités de
plusieurs générations d'employés au Plaza Athénée. Il n'en demeure pas moins vrai que
François Delahaye a su s'adapter à cette situation sans trop de difficultés majeures.
D'autant que cet ancien de chez Accor et Warwick International défend, bec et ongles,
depuis le début de sa carrière, l'association du personnel à la définition et la mise
en uvre des objectifs le concernant. A l'évidence, "gagner tout seul
n'intéresse pas" ce père de deux adolescents.
Ce à quoi le d.g. aspire profondément, c'est "un personnel heureux pour des
clients heureux". Vérification immédiate sur place : à première vue,
l'ambiance semble plutôt agréable dans les 'coulisses' du 25, avenue Montaigne. Sourire
et gentillesse extrême égayent bon nombre de visages. Pas de doute ! Voilà déjà des
signes reconnaissables entre tous... Pourtant, les jeux n'étaient pas faits d'avance.
"Il fallait en effet intégrer le poids de l'histoire sans figer l'entreprise qui
doit désormais faire face à de nouveaux enjeux économiques", commente
Jean-Philippe Doré, à la fois responsable de la planification des horaires du personnel
au sein du service ressources humaines et délégué CFDT. Tradition et modernité se
devaient en fait d'évoluer main dans la main au sein de cette mythique bâtisse. Afin
d'une part, de garantir la culture du Plaza, et d'autre part, de pérenniser son avenir.
Pour parvenir à mobiliser l'ensemble des troupes, la direction générale a donc
élaboré un projet d'entreprise autour d'une idée de base relativement simple : Le Plaza
Athénée, "il était une fois le palace de demain". Ce qui signifie
concrètement que l'établissement a choisi de construire durablement son image (traduisez
devenir le numéro 1 !) en réservant bien sûr le meilleur à ses hôtes, mais également
à son personnel.
Carte prestige et privilège pour les fournisseurs Au Plaza Athénée, les fournisseurs sont aussi des clients potentiels. Raison pour laquelle l'équipe du palace a lancé une carte 'prestige et privilège' à leur attention. Valable pour une durée d'un an à compter de sa date d'émission, cette carte porte un numéro de référence identifiant la société concernée. Elle offre toute une panoplie d'avantages comme, notamment, une attestation de partenaire prestige, une carte nominative, une remise de 10 % au Relais Plaza ou bien encore un règlement à réception de facture fin de mois. A noter par ailleurs que les porteurs de cette carte peuvent également, au prorata du nombre de couverts enregistrés à l'hôtel, bénéficier de cadeaux. Du genre : stylo VIP, tee-shirt design Plaza, peignoir et chaussons assortis, champagne... Des petits gestes qui font plaisir ! |
Projet d'entreprise
Une stratégie inédite dans le milieu hôtelier qui, malgré la recherche systématique
de l'adhésion par conviction déployée par le nouvel état-major du Plaza, n'a pas été
à ses débuts sans créer quelques heurts. En particulier lorsque Alain Ducasse quitte
l'avenue Raymond Poincaré pour venir installer son restaurant dans l'enceinte du 'feu'
Régence, en septembre 2000.
"C'était une décision d'entreprise !", confesse l'homme qui relança en
son temps le Sofitel Le Parc. Et de poursuivre : "face à la concurrence sévère
que se livrent les palaces parisiens et ceux des grandes capitales du monde entier, il
fallait impérativement agir et se distinguer de nos challengers". Le choix
était peut-être avant-gardiste au goût de certains, tout comme la nouvelle décoration
du restaurant, signée par le designer Patrick Jouin, où se mêlent harmonieusement
vestiges du passé et accents futuristes. Mais depuis cette 'mue', le succès ne se
dément pas une seule seconde. "Ducasse ne me vole pas un centime ! Au contraire.
Il me rapporte énormément tant sur le plan notoriété que financier. D'ailleurs, le
service restauration est passé d'une perte de 1,6 million d'euros en 1999 à un
bénéfice avoisinant les 1 million d'euros l'année dernière", précise le
directeur général.
Avec l'installation d'Alain Ducasse, le palace de l'avenue Montaigne a pris un
sérieux avantage sur ses concurrents.
Dialogue social
Aujourd'hui en vérité, un juste équilibre paraît s'être établi entre les anciens,
garants de la culture Plaza, l'équipe du chef landais et les nombreux jeunes récemment
recrutés. "Cette cohésion est le fruit de plusieurs éléments. A commencer par
la préservation du dialogue social qui constitue la spécificité identitaire de ce
palace", souligne Jean-Philippe Doré.
Dans cet esprit, le calcul de l'un des intéressements a du reste été récemment revu et
corrigé à la demande du personnel. Il est désormais distribué à parts égales quel
que soit le niveau hiérarchique. Dans le cadre de l'application des 35 heures, largement
anticipée par le palace, les cuisiniers du Relais Plaza travaillent 4 jours dans la
semaine et bénéficient de 3 jours de repos ... "François Delahaye n'était pas
forcément convaincu au début. Après avoir écouté les personnes concernées, il a
donné son feu vert", raconte le délégué syndical CFDT. "J'accepte
volontiers d'être tour à tour enseignant et enseigné", avoue le patron de
l'entreprise.
Autant de décisions positives qui forgent un esprit de 'corps' entre les individus. Cette
grande solidarité entre les services s'est d'ailleurs encore intensifiée lors de la mise
en place d'Iso 9001, initiée par l'ancien directeur du site Hervé Houdré. Et pour cause
! "Obtenir une telle certification a nécessité un véritable travail d'analyse
et de remise en cause de chacun des collaborateurs", se souvient Franka Holtmann,
bras droit de François Delahaye.
Ses dates1955 |
Choix novateurs
Cette démarche qualité a en effet permis de clarifier les procédures internes de chaque
département, tout en mettant en exergue la transversalité entre ces derniers.
Fixant à la fois un objectif collectif (être le seul hôtel européen de sa catégorie
à détenir la certification Iso 9001) et individuel (le respect de certaines normes Iso
figure dans les critères d'obtention des primes d'intéres-sement), François Delahaye a
donc eu, là, de quoi rassembler les équipes. "Il a su en réalité réveiller
l'intelligence de tous et la fierté du travail bien fait", résume un expert du
secteur.
Et de surenchérir, "il a aussi réussi à valoriser le savoir-faire des gens de
la maison et n'a pas hésité à le communiquer à l'extérieur". Que dire
effectivement de ce fameux jeu de cartes représentant les membres du personnel, qui fut
adressé aux clients pour leur souhaiter la bonne année ! Ou bien encore de la nouvelle
image du Plaza Athénée elle-même, à laquelle sont désormais associés les
collaborateurs. Et ces week-ends de motivation alloués au comité de direction et chefs
de service.
Qu'il le veuille ou non, le directeur général de ce palace a indéniablement fait preuve
de quelques qualités depuis son arrivée tels un sens incontesté de l'organisation, de
la délégation, un goût avéré de l'effort et du risque. "C'est un homme qui a
en effet le talent d'écouter et d'oser !", note Alain Ducasse. "Il a un
côté réellement visionnaire. Il fait des choix novateurs et les assume pleinement",
précise Thierry Hernandez, responsable du bar et de la galerie. Du culot, il en a fallu
pour lancer un bar "tendance" où le tout Paris se presse maintenant
chaque soir, notamment auprès de la clientèle habituée.
Lieu décalé par excellence, le bar du Plaza Athénée affiche complet tous les
soirs. Et les recettes grimpent à la vitesse 'grand V' : environ 12 000 euros par jour.
Soutien financier des actionnaires
"Personnellement j'ai eu un peu peur au début de cette aventure. Mais, des
clients de plus de 40 ans m'ont avoué qu'aujourd'hui, ils se sentaient très à l'aise
dans ce nouvel espace", témoigne Werner Küchler, collaborateur depuis 28 ans et
responsable du Relais Plaza. Audacieux également les 2 étages art déco et le relookage
'très chic parisien' des chambres, confié à deux décoratrices d'appartements (Bettina
Mortemard et Marie-José Pommereau). De la technique de pointe des équipements mis à la
disposition des hôtes, en passant par les cocktails 3 D servis au bar et les semaines
thématiques pratiquées à la cantine du personnel ou bien encore la féminisation de
l'équipe de direction (40 % de femmes), l'innovation souffle bel et bien, sans avoir
l'air, sur ce palace fondé en 1911. Une "juste modernité" en somme...
La rénovation des chambres a été confiée à deux décoratrices d'appartements
privés. De quoi mettre l'accent sur le charme parisien.
Et ce, pour la plus grande joie des clients et de leurs enfants, qui ne cesse
d'afficher sa satisfaction. Tout comme celle, avouée, des actionnaires lorsqu'ils
viennent visiter leur dernier 'bébé' parisien. Dorénavant placé sous le contrôle de
la Brunei Investment Agency et géré par le groupe britannique (Dorchester, à Londres,
Meurice à Paris et Beverly Hills à Los Angeles), le Plaza a pu effectivement reprendre
l'offensive grâce au soutien financier conséquent des nouveaux propriétaires.
Les 180 nouvelles embauches réalisées depuis 2000 ou bien encore le doublement du budget
formation en 2001 (250 000 euros) ne sont pas le fruit du hasard. Au cours des 3
dernières années, les actionnaires ont en effet accepté de réinvestir l'intégralité
du résultat brut d'exploitation dans l'hôtel. Sans oublier bien sûr les quelque 60
millions de dollars injectés dans les travaux de rénovation. "Une société,
c'est un trépied composé de 3 éléments : le client, les employés et l'actionnaire. Si
un des pieds est plus haut que l'autre, tout tombe !", aime à plaisanter
François Delahaye. Apparemment, le Plaza Athénée est équipé pour tenir encore un bon
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Les secrets du management participatifè Prendre le parti de l'action
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La petite histoire du Plaza Athénée 1911 |
Un laboratoire de recherches sociales Le
poids de l'histoire a toujours du bon. La preuve ! Premier établissement hôtelier en
France à avoir mis en place les deux jours de repos consécutifs et la cinquième semaine
de congés payés au début des années 1970, sous l'égide de Paul Bougenaud, le Plaza
Athénée demeure, aujourd'hui encore, très audacieux en termes d'avancées sociales.
Avant même que la loi ne l'y oblige, le palace parisien a ainsi finalisé un accord de
réduction du temps de travail à 35 heures, dès 1999. Après mûre réflexion et
concertation avec les personnes concernées, l'hôtel a également pris une importante
décision en matière de flexibilité du travail. |
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L'Hôtellerie n° 2763 Magazine 4 Avril 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE