Combatif et visionnaire, Willy Dorr est propriétaire de six restaurants dans la capitale. Quand il achète, c'est à coup sûr ou presque. Concept, implantation, environnement... L'homme, résolument indépendant, a le génie des affaires.
Sylvie Soubes
L'homme n'est pas influençable. Il fait
à son idée. C'est de son propre chef qu'il entre à l'école hôtelière de la rue
Médéric, à Paris, puis s'inscrit à l'Institut de gestion de Sceaux. Déjà, ses
ambitions sont claires : il veut diriger son affaire. Au bout de 2 ans, le hasard prend
les choses en main. Enfin, presque. La Fagotterie, restaurant de la rue Grégoire de
Tours, se retrouve du jour au lendemain sans directeur. Le propriétaire est un ami de son
père. "Et si tu te lançais ?" Démarrer novice, tout frais moulu de
logique universitaire, à seulement 24 ans, au plus haut poste ? Willy ne mesure pas
l'importance du challenge. "J'étais jeune et fougueux", sourit-il.
N'empêche. La jeunesse a beau être impétueuse, accepter ce genre de pari et le réussir
- car ce sera le cas - relève d'une personnalité hors du commun. Deux exercices plus
tard, Willy quitte l'établissement pour se roder à d'autres réalités. Commis chez
Taillevent, chef de partie à la brasserie Les Halles puis aux fourneaux rue Guisarde...
Classes faites, à 26 ans, il décide d'affronter son destin. Acheter.
Son choix se porte sur le Poster's Pub, place de Clichy. Willy a du cran. Ce bar ouvre
7j/7, de 5 heures à 2 heures du matin. Nous sommes en 1975. Le quartier, on le sait,
n'est pas facile. Mais ce n'est pas la clientèle qui va lui poser le plus de problèmes.
Ce fonds de commerce le propulse à la tête d'une équipe de 25 personnes, dont il est le
benjamin. Faire changer les - mauvaises - habitudes n'est pas de tout repos. Salle temps,
dès lors, pour Willy Dorr, qui passe des nuits entières à vérifier les comptes, à
chercher des solutions aux excès des uns et aux malversations des autres. Sa ténacité
finit par payer. Il lui faudra 2 ans pour devenir enfin 'maître des lieux'. Willy Dorr
n'a pas la réussite ingrate. S'il se souvient des peaux de banane et des coups bas de
loufiats, il met dans la balance de solides amitiés professionnelles. Celle, par exemple,
qui le lie depuis 27 ans à Michel, ancien gérant du Poster's Pub, devenu directeur du
Melrose.
è Initiative... L'an dernier, Willy Dorr a demandé au cabinet A2C un audit sur ses établissements. Des visites mystères et des interviews de clients à l'intérieur et à la sortie des restaurants ont été faites. L'objectif était de connaître le sentiment des clients sur des sujets divers comme l'ambiance, l'image, le prix, les habitudes de consommation, la concurrence, les raisons de fréquentation de l'établissement, l'intérêt des prestations... Les résultats de cette enquête ont conforté Willy Dorr dans sa politique du 'tout compris'. Il est intéressant de noter, par exemple, que dans des quartiers comme la place Clichy, les clients qui ne connaissent pas encore les lieux sont attirés par l'aspect extérieur, cosy et soigné, du Bistro Melrose. |
Davantage de restauration
L'équipe recentrée, reconstruite, stabilisée, Willy peut désormais se concentrer sur
l'activité du pub. "L'affaire tournait bien, mais les horaires étaient pénibles
et j'avais envie de faire davantage de restauration." Il modifie la carte, joue
la qualité et la gourmandise. L'effet mécanique se fait rapidement ressentir. Le ticket
moyen grimpe, la clientèle s'embellit. En 1983, Willy Dorr passe la vitesse supérieure
avec l'acquisition du Bistro Champêtre, rue Saint-Charles. De juin à septembre, le
restaurant vivote. "Il faisait 50 couverts par jour alors que nous avions une
capacité de 100 places. Il fallait faire bouger l'offre, l'adapter aux nouveaux réflexes
de consommation, être plus attractif." Chose dite, chose faite. Le Bistro
Champêtre se dote d'une formule à 43,50 francs, comprenant entrée et plat. Une petite
révolution qui fera boule de neige. "La mode était en train de changer, les gens
voulaient manger moins mais mieux." Willy ne s'arrête pas là. Il va
communiquer, faire connaître sa formule aux sociétés et aux commerçants du quartier.
Ça marche. En février 1984, le Bistro Champêtre passe à 220 couverts jour. Une année
s'écoule. Le Poster's Pub a vieilli. Il faut investir. Entièrement cassé, refait,
repensé, le fonds est transformé en brasserie années 30, tout de rose paré, aux
fresques signées Catherine Feff (son premier chantier, paraît-il !) et rebaptisé Bistro
Melrose. Banc d'huîtres à l'entrée, service continu de 8 heures à 2 heures du matin,
pas de petite formule au programme. La clientèle diffère de celle du XVe arrondissement.
Willy s'affaire en salle. Quand ça chauffe en cuisine, il remonte ses manches et s'y
colle.
Insatiable bosseur, doublé d'une énergie redoutable, il agrandit son cheptel en 1988 en
rachetant le Bistro des Deux Théâtres, situé dans le IXe arrondissement. "Quand
je l'ai repris, il y avait une formule tout compris composée de plats très simples, avec
peu de passion." Durant un an et demi, le nouveau patron va s'employer à redorer
l'image du restaurant. Un chef de rang est embauché, Thierry Brusson. Son bras droit
aujourd'hui.
Le menu-carte du Bistro des Deux Théâtres s'étoffe de produits frais, achetés le matin
même à Rungis. Le principe du tarif unique séduit habitués et chalands. 1991, Willy
Dorr ouvre Le Bistro du XVIIe, un emplacement qu'il reconnaît "avoir longtemps
convoité". "Je sentais qu'il y avait là encore un potentiel de
développement." Son flair le conduit à améliorer la formule déjà en place.
Plus de 20 % de chiffre d'affaires en quelques mois ! Et pourquoi s'arrêter en si bon
chemin ? En 1994, le restaurant chinois du 275 boulevard Pereire devient Le Bistrot
Saint-Ferdinand. Entre-temps, le Melrose a subi un nouveau lifting et changement
d'enseigne. "Nous l'avons repositionné dans la lignée des autres
établissements." 1996 est marquée par l'extension du Bistrot Saint-Ferdinand.
Plus 60 places. 2000 sera l'année du Bistrot de Breteuil.
Refus de chaîne
Lorsqu'on évoque avec Willy Dorr le principe d'une chaîne, il se cabre, réfute. "Chaque
maison est totalement indépendante. Il n'y a pas d'échange de personnel. Ce sont des
structures différentes, sous une bannière commune. Et si toutes appliquent une formule
tout compris au même prix, l'offre varie d'un site à l'autre." Pas d'achats
centralisés, ni de laboratoire central. Le terme bistro, quant à lui, a été retenu
comme élément fédérateur dans un souci de communication essentiellement. Willy Dorr
défend en outre son statut d'indépendant. "Je me mets en quête d'une autre
affaire quand la dernière acquisition a été amortie et qu'elle fonctionne. Je ne veux
pas acheter histoire d'acheter. Il s'est agi, jusqu'à présent, de réelles
opportunités. Je vais peut-être m'arrêter là, rester à 6 établissements. Je ne me
suis jamais dit, un jour, tient, j'irais jusqu'à 15. Vous savez, je crois qu'il ne faut
pas déshabiller une affaire pour une autre." Le bon sens. n zzz22v zzz22c
A retenir...
Le montant du menu-carte, à 29 e, est identique aux 6 établissements et comprend un apéritif, une entrée, un plat, un dessert, le vin et le café. Sans aucun supplément de prix quel que soit le plat. Certains établissements proposent les plats à la carte.
Les 6 établissements sont réunis sous l'entité Bistrot et Cie.
L'ensemble des équipes représente 140 personnes en moyenne.
Nombre de couverts moyen par jour : 1 300, soit 480 000 par an.
D'un bistro à l'autre (Photos © Anna Clopet)
1. Le Bistro Melrose 5, place Clichy - Paris XVIIe Tél. : 01 42 93 61 34 Capacité : 75 places Nbre de couverts : 170 par jour Chiffre d'affaires : 1,215 Me HT * Acheté en 1975 et refait à 2 reprises. * Possède une licence IV, mais ne l'utilise pas. * Seul établissement à fonctionner en non-stop de midi à 1 h du matin. 2. Le Bistro
Champêtre 3. Le
Bistro des Deux Théâtres |
4. Le Bistro du XVIIe 108, av. de Villiers - Paris XVIIe Tél. : 01 47 63 32 77 Capacité 140 places Nbre de couverts 260 par jour Chiffre d'affaires 2,266 Me HT * Acheté en 1991 et agrandi en 1997. * Service de 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 23 h (23 h 30 les vendredis et samedis). 5. Le Bistrot Saint-Ferdinand 6. Le
Bistrot de Breteuil |
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L'Hôtellerie n° 2772 Magazine 6 Juin 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE