Rencontre avec une famille qui perpétue une certaine philosophie de son métier. Le café-hôtel-restaurant Le Vieux Logis à Yvoire a fêté son 105e anniversaire. Un âge respectable fortement marqué par la présence d'une famille : les Jacquier.
Fleur Tari
Le Vieux Logis est propriété de la même famille depuis 1896. Ce café historique est un lieu où l'on parle beaucoup, où l'on philosophe encore aujourd'hui, à l'heure de l'informatique, autour d'un verre. Les Jacquier ont maintenu cette tradition qui est pour eux au moins aussi importante que leur métier d'hôtelier-restaurateur. Il faut dire que l'histoire familiale a beaucoup influencé cette façon de concevoir la profession.
Le café de Peppone et celui de Don Camillo
Yvoire est un charmant village médiéval de 700 habitants, bordé d'un rempart, ouvert
largement sur le lac Léman. S'il a acquis une notoriété internationale qui lui vaut
d'être assailli chaque été par une foule de touristes étrangers, il n'en était pas de
même à la fin du XIXe siècle. Replié sur lui-même, le village ne vibrait que par les
dissensions qui divisaient la commune en partisans de l'Eglise et défenseurs de la
République. Le Cercle de l'amitié fut créé par le curé, sorte de Don Camillo qui
entendait bien propager la bonne parole autour d'un café. En réponse immédiate,
François Boccard, le Peppone d'Yvoire, créa avec son épouse Le Vieux Logis ou Cercle de
la fraternité. "Pourquoi fraternité ? Car c'est l'un des mots fondateurs de la
République : Liberté, Egalité, Fraternité. Et nous sommes profondément républicains
dans la famille", explique Serge Jacquier, le descendant du fondateur, toujours
derrière le comptoir. Joséphine et François développent le Cercle de la fraternité.
Entre deux débats d'idées, on y déguste des filets de perche du Léman, de la
charcuterie et des omelettes. Le restaurant a beaucoup de succès, mais une épidémie de
tuberculose fauche deux filles de cette famille. Joséphine et François n'ont plus le
cur aux discussions philosophiques, et c'est leur fille Marie, âgée de 18 ans, qui
reprend l'affaire. Mariée à un pêcheur professionnel parti à la guerre, elle anime
seule le café-restaurant où il fait bon se retrouver. Son époux, Paul Jacquier, est
fait prisonnier et contracte la tuberculose. Déclaré perdu par la médecine, il est
rapatrié chez lui pour y mourir. Marie, qui a déjà perdu deux surs, refuse le
pronostic. Elle convainc Paul de se faire opérer. Une lourde opération... Paul gagne
quelques années de vie, qui permettent à Marie, toujours à l'affût de nouveaux
médicaments, d'aller chercher à Paris la merveilleuse pénicilline fraîchement arrivée
d'Amérique. Elle lui sauvera la vie. Paul est guéri et va s'associer à la vie du café
en tenant la comptabilité et en arbitrant les débats politiques locaux qui ne manquent
pas de sel. Il devient maire d'Yvoire, et gardera son mandat pendant 51 ans. Toujours
vivant et en forme, il tient sa place au Café du Vieux Logis.
Dès 1950, les touristes affluent. Serge Jacquier, le fils de Marie et de Paul, développe
l'affaire, réhabilite la vieille tour du XIVe siècle. Le Vieux Logis compte 120 couverts
et 11 chambres. Au cur de l'entreprise, le petit café de 1896 ne bouge pas, avec
ses tables et ses chaises d'époque. Une jeune orpheline de 13 ans, Liliane, se présente
pour chercher un emploi. Les Jacquier la recrutent. Un an plus tard, elle avoue à Marie
et Paul qu'elle est tombée éperdument amoureuse de Serge qui ne la remarque pas. Elle
attendra ses 18 ans pour que Serge la demande en mariage.
Mikhaïl Gorbatchev comme client
Le jeune couple ravit les clients par sa faconde et sa joie de vivre. Serge est toujours
prêt à raconter une histoire, à défendre la République comme son grand-père. Liliane
est souriante, toujours disponible pour écouter les uns et les autres. Des clients
prestigieux font le détour de Genève pour visiter la délicieuse cité d'Yvoire et
s'arrêter au bord du lac au Vieux Logis. Mikhaïl Gorbatchev, Robert Hossein, Mathilda
May sont des habitués. Paul Jacquier, le fils de Serge et Liliane, les rejoint. C'est la
quatrième génération aux commandes. Il y a quelques années, une jeune fille, Nicole,
s'est présentée. Elle venait de perdre sa mère et cherchait du travail. Cela ne vous
rappelle rien ? Bien entendu, elle a avoué à Serge et à Liliane qu'elle était
amoureuse de Paul qui ne la regardait pas. Liliane et Serge ont compris. La tradition
perdure. Paul et Nicole se sont mariés et ont 2 enfants. Cette année, Le Vieux Logis a
été coopté par l'Association des cafés historiques et patrimoniaux d'Europe qui se bat
pour que le café soit reconnu comme un élément du patrimoine national. Paul et Liliane,
comme leurs parents et grands-parents, sont convaincus que le café est un lieu de
mémoire de nos villes et de nos villages. n
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L'Hôtellerie n° 2776 Magazine 4 Juillet 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE