Notaire de formation, il a longtemps prodigué des conseils à son beau-père (Lucien Barrière) et à son épouse, Diane, décédée voici plus d'un an. Aujourd'hui, c'est lui qui tient seul les 'manettes' du groupe Barrière. Au royaume des jeux (14 casinos) et du luxe (13 hôtels), Dominique Desseigne n'accorde pas le moindre crédit à la chance.
Par Claire Cosson
© Thierry Samuel
D'un geste
un tantinet coquet, le maître des lieux, toujours tiré à quatre épingles, range son
téléphone portable dernier cri dans sa poche de costume en jetant un coup d'il
discret sur le portrait de son épouse. "J'ai promis à ma femme de pérenniser
l'entreprise et de la transmettre intacte à nos enfants, Alexandre (15 ans) et Joy (11
ans). J'ai une mission, je vais tenir le cap", confie d'un ton laconique
Dominique Desseigne.
Figée derrière lui sur les photos qui ornent les murs du siège parisien, Diane
Barrière-Desseigne, disparue des suites d'un accident d'avion survenu en juillet 1995,
affiche un large et franc sourire. Son père, Lucien Barrière, le neveu de celui que l'on
appelait "le roi de la chance" (François-André, fondateur de l'empire
familial), aussi. A les voir tous les deux ainsi, on imaginerait volontiers qu'ils boivent
les paroles de l'actuel président-directeur général du groupe comme du petit lait.
Avec d'autant plus de plaisir que l'ex-notaire parisien, désormais seul aux commandes de
la compagnie, semble tout mettre en uvre pour tenir sa promesse. Lui, que certaines
mauvaises langues du secteur décrivaient comme dilettante hier, paraît aujourd'hui en
effet s'être réellement pris au jeu, pas à celui du hasard : il n'accorde pas le
moindre crédit à la chance. Mais à celui des affaires. "C'est un homme de
l'ombre, avoue Laurent Weiller, directeur financier. Il n'apparaissait pas jusqu'à
présent sur le devant de la scène, mais il a toujours participé aux décisions
stratégiques de l'entreprise. Et il devient redoutable !"
Création d'une holding cotée au Second marché
En témoigne d'ailleurs la dernière résolution qu'il vient d'adopter : créer 'un
véhicule boursier unique', sous le nom de Groupe Lucien Barrière SA. "Pendant 10
ans, j'ai été l'un des conseillers de mon beau-père. J'ai aussi longtemps travaillé
aux côtés de ma femme. A force de les écouter parler d'un métier qui les passionnait,
j'ai fini par me familiariser avec leur univers. J'ai néanmoins encore beaucoup à
apprendre", s'excuse presque Dominique Desseigne.
N'en déplaise à cet homme longiligne, aux allures de dandy, qui n'use jamais plus de
mots que nécessaire, il a apparemment bien retenu les leçons dispensées par ses
proches. Du reste, il s'apprête maintenant à donner véritablement un nouveau visage à
l'affaire familiale. La Société Hôtelière de la Chaîne Lucien Barrière (SHCLB),
entièrement possédée par la famille Barrière-Desseigne, a en effet décidé de
regrouper l'ensemble de ses actifs dans une même entité juridique au terme d'une double
offre publique d'échange sur deux sociétés surs cotées au premier marché
d'Euronext Paris : la Société des Hôtels et Casino de Deauville (SHCD), détenue à
hauteur de 53,7 % par le clan familial et par Accor à 34,9 %, et la Société Fermière
du Casino Municipal de Cannes (SFCMC), aux mains de la famille à 65,2 % et à 15,54 % par
le Groupe Partouche. Au terme de cette opération, la SHCLB deviendra la société holding
de l'ensemble des participations du groupe regroupant 13 hôtels de luxe et 14 casinos.
Baptisée pour l'occasion Groupe Lucien Barrière SA, ladite société sera en parallèle
introduite au Second marché.
Visibilité accrue
De quoi satisfaire d'une part la communauté financière qui jugeait le 'royaume'
Barrière trop complexe. Et d'autre part, renforcer la structure financière du groupe. "La
simplification de nos structures va permettre de clarifier nos comptes tout en nous
procurant une tête de bilan plus significative auprès des banquiers", précise
Dominique Desseigne.
"Cette opération est très intéressante. Elle va améliorer la visibilité de
l'entreprise et la rendre évidemment encore plus puissante", estime Sven Boinet,
membre du directoire d'Accor en charge de l'hôtellerie. De fait, la capitalisation
boursière du nouvel ensemble s'élèverait à 400 Me, dont 350 Me de fonds propres pour
un endettement net de 90 Me. Des chiffres tout à fait honorables pour le secteur de
l'hôtellerie de luxe et des casinos. D'autant que le groupe Lucien Barrière se distingue
de ses concurrents par le fait, notamment, qu'il dispose d'une activité hôtelière à
part entière, et est propriétaire des murs et des fonds de commerce de pratiquement tous
ses établissements.Du coup, la future compagnie possédera de solides atouts pour
séduire les organismes bancaires. Ce qui, à terme, devrait faciliter sa croissance
externe. Outre des soumissions à différents appels d'offres de casinos comme celui du
Havre, de Ramatuelle et du 3e de la ville de Cannes, à l'initiative de Diane, le groupe
aspire effectivement à se bâtir un nom à l'international. "La France est
devenue fiscalement parlant difficile à vivre", précise Dominique Desseigne.
Faciliter la croissance externe
Alors, avec l'acquisition du casino de Montreux en 2001, Barrière a effectué sa
première incursion en Suisse. Mais, l'entreprise s'est également lancée récemment dans
un vaste projet hôtelier (150 chambres et suites) au cur de la cité historique de
Marrakech (Maroc), dont l'ouverture est programmée au début 2004. Sans oublier sa
participation à la création du 'royaume de Don Quichotte', destination de loisirs
située au centre de l'Espagne à Ciudad Real, et son engagement sur le casino de
Bruxelles.
Beaucoup de projets diront quelques-uns. Reste qu'ils ne sont pas le fruit du hasard. "Le
groupe Barrière ne cherche pas à être le premier, mais plutôt le meilleur",
affirme le p.-d.g. Ces opérations s'inscrivent en effet dans une logique industrielle et
de clientèle. A titre d'exemple, Marrakech répond aux "attentes naturelles des
clients de l'univers Barrière" (75 % France, 19 % Europe, 3 % Amérique du Nord
et 3 % autres). Quant à l'Espagne, cette région a adopté une législation sur les jeux
identique à celle du Nevada aux Etats-Unis (ouverture des jeux 365 jours par an, 24
heures sur 24) et la fiscalité devrait y être très favorable.
Comme quoi Dominique Desseigne est loin d'agir à la légère. "Ce serait plutôt
un fin stratège", confesse un cadre de la compagnie. D'ailleurs, le groupe
limite son endettement lors de ses investissements à l'étranger. Il ne sera en effet
actionnaire qu'à hauteur de 33,3 % de la société marocaine propriétaire de l'hôtel à
Marrakech, et en assurera la gestion. Même schéma en Espagne où il devrait prendre 20 %
du capital de la société d'exploitation, soit une contribution de 12 Me.
Enghien veut devenir le premier casino français
Quant au projet du casino de la capitale belge, Lucien Barrière fait jeu égal
(50/50) avec le baron Van Gysel. En réalité, tout ce qu'a entrepris au cours des 5
dernières années "l'usufruitier de l'empire Barrière", comme il aime
à se décrire (il assumait la coprésidence avec son épouse depuis 1997), a toujours
été mûrement et prudemment réfléchi. Y compris les rachats successifs du restaurant
le Fouquet's (environ 15 Me), de la résidence hôtelière Le Carré d'Or à Paris et
d'autres immeubles adjacents, et son développement en franchise. "Il nous fallait
impérativement un porte-drapeau à Paris pour mieux préparer nos développements hors de
France", commente Christian Meunier, directeur général adjoint en charge du
pôle hôtelier. Une adresse phare dont l'implantation s'avère encore plus indispensable
aujourd'hui (opérationnel en 2005) avec la nouvelle exploitation de bandits manchots à
Enghien-les-Bains (Val-d'Oise). L'unique établissement de jeux autorisé à proximité de
Paris, c'est en effet la botte secrète incontestable du groupe Lucien Barrière.
D'ailleurs, Dominique Desseigne a fait preuve d'une ténacité sans faille sur ce dossier
puisqu'il aura fallu finalement près de 12 années d'âpres discussions avec les forces
publiques pour décrocher la timbale (130 machines à sous) et faire d'Enghien une
destination touristique à part entière. "Chaque chose arrive en son temps",
ironise l'ancien notaire, qui n'aime guère au fond brûler les étapes. Une démarche
qui, au bout du compte, s'avère plutôt judicieuse.
Optimisme pour l'exercice 2002
Les chiffres parlent d'ailleurs d'eux-mêmes. En moins de 3 ans, les recettes nettes du
groupe sont passées de 264 à 351 Me. Le résultat d'exploitation a lui aussi évolué
positivement à 43 Me en 2001 contre 29 Me en 1999. Et la tendance s'annonce sous les
meilleurs auspices pour l'exercice en cours. "Sur la base des 6 premiers mois,
nous prévoyons une hausse du chiffre d'affaires d'environ 8 % par rapport à 2001",
ajoute Laurent Weiller. Et de poursuivre : "Notre marge d'excédent brute devrait
être, elle, équivalente à celle de l'an passé, ce malgré l'impact de la taxation
supplémentaire des casinos et des conséquences du 11 septembre."
Des performances qui n'auraient, bien entendu, pas pu être atteintes sans des décisions
préalables importantes. A commencer par un pari constant de la qualité des prestations
offertes par le groupe. "Au cours des 10 dernières années, quelque 300 Me
ont ainsi été investis dans le parc et près de 35 Me en 2001. Résultat : tous
nos établissements sont flambant neufs, excepté le Gray d'Albion qui va prochainement
subir lui aussi une profonde restauration", note Christian Meunier.
Autre élément capital : la révolution 'culturelle' à la fois engagée au plan
marketing, communication et management. Avec la mise en place d'une organisation par
métier (hôtellerie, restauration, casino), l'empire familial a effectivement changé de
physionomie.
Un esprit de groupe et des outils marketing appropriés
"Cette décision a généré plus de cohésion au sein des équipes. Tout
le monde travaille désormais dans le même sens et pour un même objectif : celui du
groupe Lucien Barrière", avoue Christian Meunier. Finies donc les querelles de
chapelle d'antan entre les différents Resorts qui s'adonnaient volontiers à la
concurrence interne.
La mutation n'a évidemment pas été sans quelques heurts. Les choix stratégiques des
dirigeants, tels la création d'une direction de la communication (confiée à Jacqueline
Chabridon), des finances et des achats (en partenariat avec Accor), la construction d'une
nouvelle image (nouveau logo, nouvelle charte graphique...), et l'investissement personnel
d'un certain nombre de cadres ont néanmoins contribué à renverser la vapeur.
Tout comme l'ouverture de la société aux nouvelles technologies (un site Internet
marchand qui vise à réaliser 5 % des ventes aux individuels), à l'informatique (yield
management, base de données commune...), et la mise en uvre de mécanismes
marketing plus appropriés aux nouveaux besoins de la clientèle. D'ailleurs, ce long
labeur s'est vu récompensé par différents prix : le 'Grand prix du marketing
opérationnel' délivré par le magazine Stratégie pour le programme de fidélité
'Infiniment', Message d'or... Encore la preuve que la réussite d'une entreprise résulte
largement en fait de la motivation de ses collaborateurs. "Les hommes sont
indispensables à la vie du groupe", affirme Dominique Desseigne. Ces derniers
peuvent à coup sûr compter sur l'engagement de la famille à conserver son
indépendance. Si tout se passe comme prévu, à l'issue de l'opération de simplification
des structures juridiques, la famille possédera 83 % du capital de Groupe Lucien
Barrière SA.
A bon entendeur, salut ! n zzz36o zzz18
© Thierry Samuel |
© Thierry Samuel |
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"Le groupe Lucien Barrière ne cherche pas à être le premier, mais plutôt le meilleur" |
Le groupe Barrière se tient bien à table et au lit |
L'univers Barrière se distingue fortement de ses concurrents casinotiers.
Outre le fait que l'entreprise soit propriétaire des murs et fonds de commerce de
pratiquement tous ses établissements, et ait maintenu les jeux de table dans son
environnement, le groupe est en effet un véritable spécialiste de l'hôtellerie haut de
gamme (1 836 chambres réparties dans 13 hôtels) et de la restauration. Le pôle hôtelier a ainsi réalisé un chiffre d'affaires de 146 Me en 2001 dont : w 78 Me au profit de l'hébergement (392 600 nuitées) ; - 66,4 % d'occupation ; - 206 e HT de prix moyen ; - un Revpar de 130 e) ; w 53 Me pour la restauration w 15 Me pour les activités sportives - Son résultat d'exploitation s'est élevé à 8 Me A noter par ailleurs que la
branche jeux a enregistré près de 32 Me de recettes à travers ses différents
restaurants.
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L'Hôtellerie n° 2776 Magazine 4 Juillet 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE