Pour des raisons de sécurité alimentaire, les produits bio ont connu ces derniers mois une progression des ventes. Certains restaurateurs ont cru voir dans le bio une niche, et, sur des créneaux différents, ont choisi de ne travailler que ce type de produits. Un succès encore timide...
Par AMP et Brigitte Ducasse
Certains restaurateurs se sont lancés dans 'l'aventure' du bio pour des raisons d'ordre personnel, d'autres pour des raisons plus marketing. Dans tous les cas, ils rencontrent un peu les mêmes réactions de la part de leur clientèle. La demande bio se situe principalement au sein d'une clientèle parisienne ou étrangère. Si les clients sont intéressés d'apprendre que le restaurateur utilise des produits bio, ils n'en font pas pour autant une condition sine qua non pour choisir le restaurant, et c'est bel et bien sur le cadre, l'attractivité et les prix du menu qu'ils établissent leur choix. Autant dire que choisir la carte bio, en imaginant que sur le plan marketing le label est plus fort, n'est en rien une bonne idée aujourd'hui. Les restaurateurs qui ont choisi ce créneau rencontrent souvent davantage de difficultés que les autres, d'autant que les approvisionnements sont difficiles et les produits plus chers, les obligeant à se situer, à carte égale, à des niveaux de prix plus hauts s'ils veulent conserver leur marge. Pour autant, tous remarquent que leur activité progresse, et ils restent persuadés que ce type de restauration a sa place au sein d'une offre très large, même si la restauration bio est aujourd'hui encore une restauration de niche.
u Canta La Bio, un restaurant traditionnel
Marc-André Vial, créateur du restaurant cannois Canta La Bio, se qualifie de "restaurateur
traditionnel qui a choisi de ne travailler que des produits bio". Marc-André
Vial sait de quoi il parle. Son parcours au sein de restaurants gastronomiques a fait de
lui un homme exigeant, perfectionniste, et s'il a choisi de jouer la carte 'bio', c'est
par réelle conviction. Opéré à cur ouvert voici plusieurs années, sa mère
n'ayant qu'un rein, il est sensibilisé aux problèmes d'alimentation depuis très
longtemps. Il a déjà écrit plusieurs ouvrages et anime fréquemment des conférences.
Il recherche aujourd'hui, à partir de marchandises "sans produit chimique, sans
pesticides, à réaliser une cuisine gastronomique selon les bases d'Escoffier".
Pour lui, il est essentiel de remettre les pendules à l'heure : "Les gens ont
tendance à confondre bio et végétarien, avec le côté un peu 'sectaire' du
végétarisme. Or il n'en est rien : manger bio, c'est manger exactement de la même
façon que vous en avez l'habitude, mais avec la certitude d'avoir des produits sains, qui
respectent votre corps et notre environnement. Je me suis mis au bio petit à petit, en
essayant d'introduire cette manière de faire dans les restaurants où je travaillais. Et
j'ai enfin décidé d'ouvrir ici pour aller jusqu'au bout des choses. Je reviens à
l'origine : au IXe siècle, restaurare signifiait réparer de l'intérieur." Puriste,
Marc-André Vial l'est assurément : "Je suis très attentif aux produits que je
travaille. Notamment, je vérifie toujours l'étiquette des aliments bio : le label peut
être attribué alors que, parfois, jusqu'à 5 % du produit n'est pas bio. Ce n'est pas
normal... Je fais beaucoup de choses moi-même pour être sûr d'offrir de la nourriture
irréprochable."
Marc-André Vial se qualifie de "restaurateur traditionnel qui a choisi de ne
travailler que des produits bio".
Avec un piano installé au milieu de la salle, il cuisine sous le regard des clients :
"Je n'ai rien à cacher, je suis fier de mon travail, et chacun peut contrôler
les produits dont je me sers." Devant lui, un buffet de hors-d'uvre (entre
10 et 15), un buffet de desserts (au minimum 7 différents), et chaque jour un plat de
poisson (jamais d'élevage) et un plat de viande. Une offre variée qui lui permet de
répondre à tous les régimes alimentaires : végétariens, végétaliens, Wegan (sans
aucun produit animal), Microbiot (à base d'aliments complets...). Au Canta La Bio se
côtoient adeptes de modes de nutrition différents et amateurs de bonne chère : "Je
suis cuisinier avant d'être restaurateur. Ici, tout est bon, et en plus, tout est sain.
Je sais que certains viennent uniquement pour les saveurs, et qu'ils se moquent
éperdument de l'origine des produits et de la philosophie du bio ! J'ai aussi des clients
qui sont végétariens et qui viennent ici en déjeuner d'affaires parce que leurs
relations n'ont pas forcément envie de manger végétarien."
"Je veux garantir que tout ce qui entre dans mon restaurant est absolument bio :
mon eau est filtrée, je fais mon pain moi-même, les alcools et les cafés sont bio... Il
m'arrive de contacter d'autres restaurants qui se qualifient de bio, mais jusqu'ici, je
n'ai trouvé personne d'aussi rigoureux que moi !" Les manifestations de prestige
de la ville de Cannes sont un bon pourvoyeur de clients, forcément ponctuels mais
fidèles, et qui ne regardent pas les prix : "Les produits bio sont plus chers à
l'achat. Et je n'ai pas de raisons de solder mon travail. Le prix, c'est le respect de ce
que je fais, c'est-à-dire, une cuisine de bon niveau..."
La salle de 110
couverts ne tourne actuellement qu'à 35 couverts par jour, pour un chiffre d'affaires de
165 000 e en 2001. "Honnêtement, je croyais que ça démarrerait plus vite que
ça ! Mais je ne suis pas pressé... Le temps joue pour moi, et de cette façon, mes
apprentis se rodent en douceur." Alors, pour faire tourner l'affaire et militer
en faveur du bio, Marc-André Vial multiplie les actions : vente à emporter, animations
et conférences dans le cadre du Canta La Bio, présence sur tous les salons bio de la
Côte d'Azur, buffets y compris sur les bateaux de plaisance. Il étudie à Nice la
reprise d'un restaurant et envisage également la création d'une boulangerie-pâtisserie.
"Ça ne m'intéresse pas de faire de la compétition avec les autres restaurants,
et j'ai eu mon comptant de médiatisation quand j'étais jeune. Désormais, je veux faire
travailler mon établissement et avoir la certitude de laisser quelque chose de propre
après moi. C'est ma fierté !", affirme-t-il.
u Des restaurateurs en Luberon adoptent le bio
Une trentaine de restaurateurs du Luberon proposent des plats ou des menus à base de
produits biologiques. La démarche des professionnels se veut qualitative et non
commerciale. Pourtant, la clientèle française n'est pas facile à convaincre.
31 restaurateurs ont répondu présent à l'opération en 2001. Répartis sur une zone qui va de Cavaillon à Pertuis en passant par Apt et Cucuron, ils proposent des plats et menus créés à partir de produits issus de l'agriculture biologique labellisés et certifiés AB. "Les produits du terroir, de bonne qualité, élaborés dans le respect de la nature, font partie du paysage du Luberon depuis toujours. Et pourtant, le bio a encore du mal à trouver son chemin jusqu'aux assiettes du grand public. J'ai même été confronté à une certaine résistance des clients français à la différence de la clientèle étrangère, notamment d'Europe du Nord, déjà très familiarisée avec les produits bio. Aujourd'hui, avec du recul, je m'aperçois que c'est plutôt le mot bio qui dérange. Dans ce contexte, le terme 'naturel' serait, à mon avis, bien plus approprié", explique Jean-Jacques Prévot, propriétaire et chef de cuisine du restaurant gastronomique Prévot à Cavaillon. "Sans faire de publicité pour éviter de nous heurter aux remarques désagréables de nos clients traditionnels qui auraient pu mal interpréter cette volonté de faire du bio, nous avons seulement proposé, au départ, quelques produits biologiques sans changer la carte. C'est seulement dans un second temps que nous avons choisi de composer des plats avec au minimum 75 % de produits bio", souligne le restaurateur. Les prix des menus du Restaurant Prévot ont augmenté. "Nous sommes dans un établissement gastronomique et la clientèle a donc été relativement peu sensible à ces changements de tarifs. Mais je suis obligé de reconnaître que l'engouement pour les produits bio n'existe pas ici, nous n'en sommes qu'au stade de la prise de conscience. Sur 10 clients, une seule personne prêtera attention au fait que le plat soit préparé avec des produits biologiques. Par contre, sensibles à la qualité et à la saveur, les Français ont vite remarqué, à l'occasion d'une rupture de stock, la différence de goût entre l'agneau biologique du plateau du Luberon et un produit classique. C'est en faisant goûter la différence que nous pourrons convaincre", conclut le propriétaire du restaurant. Aujourd'hui, l'un des problèmes à résoudre est lié à l'approvisionnement. Les ruptures de stock sont fréquentes sur certains produits. Là encore, les professionnels doivent expliquer leur démarche aux clients, d'où une certaine implication.
u Entre gastro et
vente à emporter
Un an après avoir ouvert le premier restaurant de cuisine gastronomique biologique à
Bordeaux, Guylain Claisse complète son offre avec Croq'Bio, restauration de vente à
emporter ou à consommer sur place. Un vrai défi !
Adossé au restaurant Bistro Bio situé dans une rue piétonne du centre-ville, Croq'Bio
affiche d'emblée sa différence. Sur la devanture, le message est clair : "Vente
à emporter de produits biologiques, mangez bien, mangez bio." L'offre inscrite
sur une ardoise décline les sandwiches : jambon, crudités, poulet, porc, Bayonne... Des
quiches à l'oignon, au thon, aux brocolis... Hot-dogs et croque ne sont pas oubliés.
Ouvrant sur la rue, la vitrine réfrigérée présente encore d'étonnantes pâtisseries
à l'aspect artisanal : Amandine au chocolat et à la lavande, Cake à la carotte ou à la
betterave... Alignées le long du mur, 4 tables permettent de se restaurer sur place.
Quelques semaines après son ouverture, Croq'Bio réalise un chiffre d'affaires journalier
de 150 e. Une somme jugée acceptable par son promoteur, car même s'il a investi sur les
2 points de vente près de 300 000 e, Guylain Claisse a avant tout le souhait de révéler
ce qu'est pour lui "le bien manger".
Au 42 et 44 rue des Trois Conils à Bordeaux, Le Bistrot Bio et Croq'Bio jouent la
complémentarité pour séduire tous les budgets et tous les appétits.
"Après le restaurant gastro, j'ai voulu créer un endroit pour les jeunes,
leur faire découvrir d'autres saveurs, d'autres produits."
Même si sa mère était médecin diététicienne, Guylain Claisse n'est pas tombé dans
le bio quand il était petit. Son CAP de cuisine en poche, il a ouvert un restaurant
d'entreprise tout à fait classique, amassant un joli pécule fort utile par la suite.
"J'ai contracté une maladie virale, et grâce aux conseils d'une personne adepte
du 'manger sain', j'ai récupéré plus rapidement que prévu. Ce fut le déclic."
En candidat libre, Guylain suit des cours à l'école végétarienne de Cannes créée par
M. Verclerc. Puis il teste la cuisine bio en faisant des extras dans les châteaux
bordelais. Enfin, il analyse le marché. "A Bordeaux, il n'y avait aucun
restaurant 100 % bio. Or, quand on voit le nombre de magasins spécialisés dans les
produits bio et l'affluence au marché biologique de Bordeaux, je n'ai pas hésité.
Pourtant, tout le monde m'a dit que j'allais échouer. Je l'ai vécu comme un défi."
A retenir w Le bio ne suffit pas |
Avec son associé Dominique Lalande, Guylain Claisse ouvre en janvier 2001 Le Bistrot
Bio au 44 rue des Trois Conils ; il veut aller à l'encontre des idées reçues. Bio ne
signifie pas diététique, régime salade-carottes à l'eau, restriction. Le chef laisse
libre cours à son imagination : Soufflé d'orties aux graines de lin et vinaigre de
cidre, Magret de canard aux figues confites, Filet de porc rôti et sauce potimarron,
Espadon sauvage à l'étuvée de poireaux... L'accompagnement des viandes s'articule
autour des légumes comme ce millefeuille superposant betterave, céleri, navet, pommes de
terre. Comble de l'exigence, comme indiqué sur la carte, tous les produits sont cuits
dans une eau minérale... Les sources d'approvisionnement ne font pas défaut : Pronadis,
une centrale d'achats pour toute l'épicerie, le marché biologique ou au Jardin d'Etienne
au marché des Capucins pour les produits frais, et la ferme de M. Lafon pour les légumes
oubliés. Sans publicité mais en pleine crise de la vache folle, les résultats ont été
immédiats. 20 couverts par jour pour une capacité de 32 places. Mais les idées reçues
ont la vie dure, et force est de constater que ce sont les femmes (80 % de la clientèle),
entre 35 et 50 ans, et les étrangers (40 % des repas servis l'an dernier) qui sont les
plus réceptifs. "Même si pour ma part, et c'est un choix, nos prix sont
identiques à ceux d'un restaurant classique, le bio reste encore un phénomène marginal
auquel sont sensibles les classes les plus aisées ou les milieux sociaux gravitant autour
de la santé", analyse Guylain Claisse.
C'est un fait. L'engouement pour le bio n'est pas gagné. "Il nous faudra du
temps, mais lorsque je vois la réaction des clients, je reste optimiste. Le tout est de
se faire connaître et de proposer de la qualité et de la créativité." Une
affaire à suivre avec intérêt. n
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Hérault Tout autour du bioLe Chêne Vert, complexe commercial implanté au nord de Montpellier sur une zone de
chalandise à fort potentiel, regroupe l'ensemble des activités liées au marché des
produits biologiques. Le restaurant de 60 couverts devrait donner le ton à ce concept.
Salles de conférences, association de promotion des énergies renouvelables, cabinet
thérapeutique, boulangerie bio, Le Chêne Vert a pour vocation première d'offrir sur un
même espace différentes offres de services en rapport avec les produits bio. "Nous
voulions en effet mettre en place une proposition commerciale la plus large possible sur
ce secteur d'activité en plein essor", explique Jean-Luc Gauthier, initiateur du
projet et président du GIE constitué pour l'occasion (effectif total de 15 personnes). |
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L'Hôtellerie n° 2785 Magazine 5 Septembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE