Il n'est pas si facile de réussir la cuisson du foie gras comme certains peuvent se l'imaginer. Une matière première de qualité, de la technique, de la précision et du savoir-faire sont les fondements de cette réussite. Un savoir-faire à découvrir et à comprendre. Rien n'est jamais le fruit du hasard en la matière.
Dossier réalisé par Bernadette Gutel
Pour fabriquer un bon foie gras, il faut travailler un foie gras cru éviscéré
à chaud et le plus tôt possible après l'éviscération.
C'est la base de tout : pour fabriquer un bon foie
gras, il faut partir d'une matière première d'excellente qualité. Mais cette condition
ne suffit pas à garantir un résultat satisfaisant : il arrive que le foie gras 'fonde'
à la cuisson de 5 %, voire de 15 à 20 %. Il existe plusieurs raisons à cela.
Depuis 1990, grâce à une étude menée par le Créa pour le compte d'industriels, on
sait que plus le temps qui s'écoule entre l'abattage de la volaille et la cuisson de son
foie est long, plus la fonte du foie est importante, et ce, quelle que soit la méthode de
cuisson utilisée. "Pour arriver à cette constatation, explique François
Hauton, p.-d.g. de Créa, nous nous sommes penchés sur des méthodes ancestrales. Nous
avons étudié de près comment les 'mammies' dans le Sud-Ouest fabriquent leurs propres
conserves de foie gras en bocaux. Pour éviter tout problème bactériologique
(botulisme), elles soumettent les foies à un traitement thermique hyper élevé, et
pourtant, ils ne fondent pratiquement pas. En poursuivant notre enquête, nous nous sommes
aperçus qu'elles extraient les foies des carcasses aussitôt après l'abattage
(éviscération à chaud), et qu'elles fabriquent leurs conserves de foie gras quelques
heures seulement après l'éviscération."
Pour mieux comprendre le phénomène de la 'fonte' du foie gras à la cuisson,
Créa a étudié les pratiques traditionnelles des 'mammies' du Sud-Ouest.
Pas de protéolyse, pas de fonte
Ces pratiques, dues autrefois au manque de moyens de réfrigération, présentent en fait
deux avantages : le premier concerne l'aspect du foie gras cru, et l'autre, le taux de
fonte du foie gras à la cuisson. Les foies gras extraits des carcasses chaudes ne
présentent pas d'hématomes. Ils se forment en général quand le foie reste dans la
carcasse sur la zone de contact avec celle-ci. De plus, ces foies gras cuits 2 à 3 heures
au plus tard après l'extraction et l'abattage ne fondent pratiquement pas. "Le
foie, poursuit François Hauton, est un organe très fragile. Une demi-journée
après l'abattage de l'animal, les protéines du foie sont attaquées par des enzymes :
elles subissent ce que l'on appelle une protéolyse. La trame des protéines se délite et
laisse passer le gras. Ainsi, plus la protéolyse est avancée, plus la fonte du foie à
la cuisson est importante. Si le foie cru est conservé au froid, la protéolyse se fait
lentement mais sûrement. Nous avons effectué des mesures à partir d'un même foie gras
coupé en deux. Nous avons fait cuire une moitié le jour de l'abattage et l'autre 10
jours après. Au cours de la cuisson le jour de l'abattage, la fonte varie de 0 à 5 %. Au
cours de la cuisson 10 jours après l'abattage, elle atteint 10 à 12 %. Un foie de
qualité médiocre, qui peut perdre 10 % lors d'une cuisson après abattage, perdra au
moins 20 à 22 % lors d'une cuisson 10 jours après l'abattage." Par conséquent,
pour limiter la fonte de vos foies gras et améliorer le rendement de fabrication,
travaillez des foies de grande qualité et le plus tôt possible après l'abattage, ou
bien utilisez des foies gras crus surgelés par les industriels (lire encadré chapitre
suivant).
A chacun sa technique
"Il y a pratiquement autant de façons de faire cuire le foie gras qu'il y a de
chefs", s'amuse à dire François Hauton. Il existe des méthodes ancestrales
comme la cuisson en terrine au four avec ou sans bain-marie, la cuisson par immersion
complète du foie enveloppé dans un torchon, une gaze ou du papier dans un bouillon ou
une gelée, et des techniques plus modernes comme la cuisson sous vide ou la cuisson au
four vapeur. On distingue le foie gras cru 'cuit' par le sel, des acides ou la seule
congélation. Attention aux problèmes bactériologiques car la 'cuisson' est biochimique
et non thermique (DLC : 24 à 48 heures à 0/4 °C) ; le foie gras frais (cuisson à
cur entre 55 et 58 °C - DLC : 21 jours) ; le foie gras mi-cuit (cuisson à
cur à 65 °C - DLC : 45 jours environ à 0/4 °C) ; le foie gras en semi-conserve
(cuisson à cur à 80 °C - DLC de 6 à 12 mois à 0/4 °C) ; et enfin, le foie gras
en conserve (cuisson à cur à 120 °C - DLC de 4 ans à température ambiante). Une
fois entamés, ces foies gras doivent être consommés le plus rapidement possible, dans
les 3 à 4 jours maximum, et à condition qu'ils soient bien stockés à 0/4 °C. "Ces
températures à cur sont obtenues en appliquant des barèmes temps/température qui
varient en fonction de la technique de cuisson utilisée, explique François Hauton. Et
pour une même technique, le barème temps/température dépend de plusieurs
facteurs."
Pour maîtriser la qualité bactériologique de vos foies gras, Créa recommande
d'ajouter en plus de vos assaisonnements un peu de sel nitrité.
Des barèmes temps/température adaptés
Pour les cuissons traditionnelles, il est difficile d'établir des règles de cuisson du
foie gras bien précises. Le calage du barème temps/température est délicat à
effectuer, il se fait de façon empirique. Pour la cuisson du foie gras en terrine
porcelaine ou terrine fonte, en général, les chefs le font cuire au four au bain-marie
à des températures qui varient entre 80 et 200 °C pendant une période de 15 mn à 1 h
30. Ils le laissent reposer à température ambiante, puis le mettent en chambre froide.
Pour savoir quand le foie gras est cuit, ils le tâtent avec leur pouce. "Le
Créa, précise François Hauton, a réalisé des mesures de température à
cur du foie gras avec un thermomètre sonde. Quand les chefs estiment que le foie
gras est cuit, la sonde montre que la température à cur est de 40 °C en moyenne.
Le foie gras est donc encore cru puisque la température du canard vivant est de 39 °C.
Mais pendant la période de repos, la température monte progressivement pendant 1 heure
environ pour atteindre 55 à 58 °C à cur. Après ce palier, elle descend ensuite
doucement." Il est facile de comprendre que ces évolutions de température
dépendent non seulement de la température et de la durée de cuisson, mais aussi de la
taille de la terrine, du matériau qui la compose (porcelaine, fonte, plastique) et de
l'épaisseur de ce matériau. Une porcelaine ou une fonte bien épaisse accumulent plus de
chaleur qu'une barquette ou un sac plastique. Quand on cuit en barquette plastique, qui
accumule peu de chaleur, il faut atteindre en sortie de four une température à cur
supérieure à 40 °C. Il en est de même quand on fait cuire du foie gras sous vide à
basse température. Là, il faut trouver un compromis entre la température et le temps de
cuisson. La cuisson du foie gras sous vide demande un véritable savoir-faire. "En
sous vide, on ne peut pas faire cuire du foie gras à une température ambiante trop basse
car le temps de cuisson devient trop long et la fonte du foie gras est trop importante,
même si le foie gras est de grande qualité et si le délai de cuisson après
éviscération est court, indique François Hauton. Le foie gras doit être cuit à
une température ambiante de 65 °C. La cuisson doit être arrêtée quand la température
à cur atteint 50 °C. Le foie gras est ensuite laissé à température ambiante
pour atteindre 55 °C. Il doit alors être refroidi dans de l'eau glacée." Cette
technique bien menée permet de réduire la fonte du foie gras au cours de la cuisson sans
toutefois l'annuler. L'idéal est d'utiliser un film plastique rétractable qui exerce une
légère pression. "Mais quelle que soit la technique de cuisson utilisée, conclut
François Hauton, les trois facteurs les plus importants pour faire un bon foie gras
sont la qualité du foie gras, l'éviscération à chaud du canard ou de l'oie, et la
cuisson ou la surgélation du foie dans les quelques heures qui suivent
l'éviscération."
Des assaisonnements pour le goût et la sécurité
Pour assaisonner le foie gras, chaque chef a ses secrets et utilise des épices (poivre du
Sechuan, mélange 4 épices, sel de Guérande...), alcools (porto, sauternes, xérès,
muscat, pinot...), fruits (banane, abricot, mangue...), légumes (artichauts,
lentilles...), champignons (cèpes, girolles...), sans oublier parfois la truffe. "Cependant,
précise François Hauton, on peut conseiller aux chefs d'ajouter un peu de sel
nitrité, qui présente un intérêt pour la qualité bactériologique et un intérêt
dans certains cas sur la couleur." Le sel nitrité est en effet
bactériostatique. Il inhibe le développement des bactéries, et notamment des germes
sporulés (certains micro-organismes ont la capacité, pour résister aux agressions
extérieures, à des températures élevées notamment, de s'entourer d'une coque
résistante et de se transformer ainsi en spore. Quand le milieu redevient favorable, ils
sortent de leur coque et se multiplient). Par ailleurs, le sel nitrité se combine avec la
myoglobine présente dans le foie pour former un complexe de couleur rose. Ce complexe
fragile est stabilisé quand la température atteint au moins 64 °C. Le sel nitrité
donne ainsi une couleur rosée au foie gras mi-cuit, en semi-conserve et en conserve. Il
n'intervient pas sur la couleur des foies gras 'frais dont la température à cur ne
dépasse pas 55-58 °C.
Haro, sur les pratiques dangereuses
Pour préparer son foie gras, le restaurateur doit impérativement se conformer au Guide
de bonnes pratiques hygiéniques Restaurateur : respect de la chaîne du froid,
hygiène des locaux, du matériel et du personnel... Il doit également éviter - ou bien
réaliser avec beaucoup de précautions - certaines pratiques fort contaminantes car
effectuées après cuisson. Ces pratiques sont ; le démoulage du foie gras cuit en
terrine pour éliminer le liquide séreux et son remoulage, le montage à froid et la
cuisson sur plaque avant de mouler sans cuisson secondaire.
w Le démoulage du foie cuit en terrine
Quand on fait cuire du foie gras en terrine, il libère un liquide séreux rougeâtre. Si
ce liquide reste au fond de la terrine pendant une quinzaine de jours, il subit une
protéolyse, devient malodorant et amer. Après refroidissement, les chefs démoulent leur
foie gras, éliminent le liquide séreux, essuient le foie gras, coulent de la graisse
chaude dans la terrine, et replacent le foie gras dans la terrine. "Cette
opération est très contaminante. Il faut que les chefs la réalisent avec précaution :
mains propres, matériel et locaux propres et... graisse très, très chaude. Une graisse
chauffée à 40 °C seulement n'est pas assainissante : elle enferme les bactéries au
lieu de les détruire. Le foie gras peut devenir piquant et 'puant' par le développement
de la flore lactique encore présente dans le foie cuit à 55 °C seulement. Il peut aussi
verdir et s'altérer sous l'action de certains germes apportés par le non-respect des
bonnes pratiques hygiéniques", prévient François Hauton.
w Le montage à froid qui consiste à démouler le
foie gras, le découper en tranches et à déposer entre chaque tranche des ingrédients
divers
Un autre véritable danger. Toutes les précautions d'hygiène doivent être prises avec
rigueur. Un tel montage doit être consommé dans les 2-3 jours qui suivent sa confection.
w La cuisson sur plaque 'gastro' au four
"Il faut mettre en garde les chefs qui pratiquent cette nouvelle façon de
préparer le foie gras, poursuit François Hauton. Cette technique culinaire est
très dangereuse sur le plan bactériologique. Les foies ainsi cuits sont mis à refroidir
à température ambiante et montés en terrine lorsqu'ils sont tièdes car encore
malléables. Ils sont ensuite placés au froid. Ici les risques de contamination et de
développement bactériologique sont immenses." N'oubliez pas qu'avec la nouvelle
réglementation en vigueur sur l'hygiène des denrées alimentaires servies au restaurant,
vous êtes responsable de la qualité bactériologique et sanitaire des mets servis à vos
clients. Alors, n'hésitez pas à faire valider votre process de fabrication du foie gras
par des analyses bactériologiques. n
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Créa ConseilLa qualité au service du goûtC'est Bruno Goussault, fondateur de Créa, qui a défini la cuisson à juste
température (sous vide ou non), et les règles de préparation et d'assaisonnement des
produits crus permettant d'optimiser les qualités organoleptiques et hygiéniques des
aliments. Il a travaillé pendant plusieurs années, notamment avec Joël Robuchon, pour
étudier de façon scientifique comment valoriser les goûts et textures des aliments tout
en tenant compte des règles d'hygiène. Créa enseigne aujourd'hui ses méthodes,
conciliant rigueur méthodologique et valorisation organoleptique. Il intervient dans
d'autres domaines tels que : audit,diagnostic, conseil, formation en hygiène, sécurité,
environnement, diététique ; et dans la réalisation d'analyses microbiologiques,
sensorielles, nutritionnelles... |
Tendances
et nouveautés, de la sophistication dans le foie gras
Tendance, le retour de l'oie
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L'Hôtellerie Restauration n° 2798 Magazine 5 Décembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE