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à la une Michel Trama

La cuisine en liberté

Son adage ? "Surtout ne pas faire comme les autres." A plus d'un titre, Michel Trama est un chef atypique. Point d'héritage familial, pas d'école, ni de maître auxquels se référer.

Brigitte Ducasse

Un amour de la cuisine révélé à l'âge de 31 ans seulement, et pourtant 2 étoiles Michelin depuis 1985. Un établissement et un seul, le sien, bâti patiemment, depuis 25 ans, avec son épouse Maryse, dans ce coin perdu de Puymirol, village perché à 125 m sur un éperon rocheux en Lot-et-Garonne. Et à 56 ans, quand d'autres songent à lever le pied, l'auteur de La cuisine en liberté, son unique ouvrage, vient d'investir plus que jamais dans sa maison, le Relais & Châteaux Les Loges de l'Aubergade. Décidément, Michel Trama ne manque pas de souffle !
Maryse Trama se souvient : "C'était en 2000. Un matin pas comme les autres, Michel m'a dit, 'on reste, on fonce', j'ai eu un choc. On aurait pu continuer tranquillement, rester ouvert 6 mois, l'hiver n'étant pas porteur dans ce département, et partir les 6 autres mois au soleil, à l'étranger faire du conseil, car Michel est très demandé. Sa décision m'a angoissée." Par ailleurs, aucun de leurs 3 enfants ne souhaite reprendre le flambeau.
Mais Maryse a compris, et aujourd'hui elle ne le regrette pas : "Depuis ces travaux de restructuration, Michel n'a jamais été aussi créatif, ça lui a donné un nouveau souffle." Et la clientèle a suivi : depuis l'achèvement des travaux à l'été 2002, le chiffre d'affaires a fait un bond de 30 %, et le prix moyen couvert a gagné 15 %. "Il y a 10 ans, je pensais que la cuisine était la priorité, je me rends compte aujourd'hui que tout le reste est essentiel, l'ambiance, le cadre. Les gens ont besoin de se sentir bien", analyse la maîtresse de maison désormais apaisée.
Dans le fond, elle sait que la passion de son mari est incontrôlable, mais aussi fort contagieuse. Une fois elle a eu raison de lui, et quelle fois. Alors que Michel se destinait à une carrière de marin et s'apprêtait à voguer avec le commandant Cousteau, la jeune hôtesse au Bourget lui a posé un ultimatum : "Si tu veux des enfants, ce sera avec lui ou avec moi." Devant cette blonde craquante, Michel n'a pas hésité. A 21 ans, il a rencontré son vrai destin, a suivi son étoile. Petits boulots avant de reprendre, en 1974, un petit bistrot rue Mouffetard baptisé Sur le Pouce, et la révélation lorsque ce touche-à-tout doit remplacer au pied levé son cuisinier. Le chef qui sommeillait en lui s'est alors imposé avec force. Définitivement.


Entrée des Loges de L'Aubergade.

"Puymirol, j'y suis venu par inconscience, j'y ai trouvé mes racines"
Après 4 années passées dans leur bistrot, Michel a eu besoin d'un autre cadre pour s'exprimer. "Il lui fallait de l'espace, explique celle qui l'a soutenu contre vents et marées. Nous n'avions pas un sou, restait donc à chercher en province." Ce sera Puymirol, un village assoupit de 400 âmes, entre Toulouse et Bordeaux, une superbe bastide du XVIIIe siècle perchée à 125 mètres dans l'Agenais. Ici, un restaurant à l'abandon est en vente. 2 000 m2 sur deux niveaux, quasiment en ruine, de la pierre et un charme fou... L'affaire se conclut.
Michel le reconnaît : "Puymirol, j'y suis venu par inconscience, mais j'y ai trouvé mes racines." Premières années de galère, où l'on croit toucher le fond. Mais en 1981, alors que la détermination vacille, le guide Michelin couronne L'Aubergade d'une étoile. Et c'est alors la grande déferlante. De rachat en rachat, l'établissement s'agrandit, un hôtel de 10 chambres, Les Loges. Ainsi, le Relais Gourmand se double d'un Relais & Châteaux. Bien plus tard vient l'Atelier des Sens, un lieu où sont dispensés des cours de cuisine, et enfin Le Cloître... pièce maîtresse et lien entre l'hôtel et le restaurant, un lieu unique.


L'Atelier des Sens.

Fidèle à lui-même, Michel Trama a mûri son projet, seul. L'idée de départ, créer un lieu d'exception dans cette belle maison où tout semblait achevé à la perfection. Ce serait un cloître, inspiré par celui qui s'épanouit depuis le Moyen Age à Moissac, à quelques pas de là, considéré comme l'un des plus beaux d'Europe. Le projet est alors confié à l'architecte de la première heure, Yves Boucharlat, auteur de l'hôtel créé en 1989. Puis le 'pape' français de l'architecture d'intérieur, Jacques Garcia, est arrivé.
"Nous avions parlé du projet à notre ami Jean-Louis Costes, un homme que nous admirons énormément, et qui nous a épaulé, un peu comme un parrain, tout au long de cette aventure. Il nous a fait rencontrer Jacques Garcia. Ce dernier a dessiné Le Cloître en un coup de crayon, on était sous le charme tant ceci paraissait évident."


Le restaurant du Cloître.


Statue au centre du Cloître.

Et tout a démarré. Démolition, en février et mars 2001, et reconstruction deux mois plus tard de nouvelles cuisines spacieuses sur 180 m2, de la salle de restaurant de 70 couverts, du Cloître, 60 couverts l'été, et d'une piscine en lieu et place de l'ancien petit jacuzzi. En juillet 2002, les clients découvrent avec ravissement cette métamorphose. Les deux anciennes salles de restauration ont laissé place à une pièce unique à l'atmosphère moyenâgeuse. Bois, pierres, beaux drapés, moquette et tapis épais s'imposent tour à tour sur les murs, sur le sol. Une cheminée plus que centenaire semble avoir toujours été là. Surgissant des rideaux, une main en plâtre tient une lampe bougie, créant une ambiance quelque peu surnaturelle. Chaque pièce du mobilier, tables, fauteuils, lustres..., est le fruit de l'imagination de Jacques Garcia, étonnant donc, mais jamais choquant. L'été, Le Cloître s'anime. On y dresse les tables sous la charpente de bois centenaire et entre les colonnes récupérées çà et là. Un ingénieux système de brumisation court à l'aplomb des toits pour former un rideau de brume... L'harmonie est totale dans ce lieu qui, comme l'explique Michel, "est fait pour rendre les femmes plus belles, totalement glamour", dit-il l'œil pétillant, avant d'ajouter : "On ne vient pas à la messe ici, on ne s'ennuie pas." Tout participe en effet à la magie d'un repas, l'éclairage et la musique ont été étudiés pour varier au fil des plats. La mise en scène est étudiée dans ses moindres détails.


Une chambre des Loges de L'Aubergade.

Le 7e sens, c'est celui qui vous pousse en avant
"Mon moteur, c'est de faire plaisir au client", insiste Michel Trama, dont on sent que ce bonheur donné le stimule, le titille. "Ça passe par les moindres détails, c'est une bataille de tous les jours, on n'a pas droit à l'erreur." Et de préciser : "Pour moi, aujourd'hui, le premier sens est d'aller vers le client, et le 7e sens, c'est l'inaccessible, celui qui vous pousse en avant, et donne au client le désir de revenir."
Le chef passe sous silence les 5 autres sens, ceux-là même qui signent tous ses plats, toutes ses créations. Ecoutons-le parler de l'une de ses dernières trouvailles, sa pomme de terre soufflée : "Elle a l'apparence d'une pomme de terre classique, sauf qu'à l'intérieur, elle est vide. L'œil est intrigué, tu la respires, intervient l'odorat, tu la prends entre tes doigts, et à son contact, le toucher est étonnant. Portée à la bouche, elle fait entendre sa musique en craquant sous la dent puis le goût enfin surprend. En cuisine, ce qui m'intéresse, c'est d'interpeller les gens pour que l'on se demande mais comment a-t-il fait ?"
Faire et être différent, Michel Trama le revendique et avoue même que par peur de copier ses confrères, il évite d'aller manger chez eux. Fini donc le temps où, faute de formation, il vécut son apprentissage dans les livres, tous les livres de cuisine, avec une tendresse particulière pour ceux d'Escoffier et de Michel Guérard. "Je me suis trompé des milliers de fois, mais je n'ai jamais cédé." Désormais son inspiration vient d'ailleurs, de partout. Une longue promenade en forêt, un livre ou une exposition de peinture, un article dans une revue, une mélodie, une réflexion entendue par hasard, une scène de rue. Il note tout sur son 'palm' qui a remplacé son petit carnet. Comme le dit Maryse : "On n'est blasé de rien, on sait s'émerveiller, c'est ce qui nous réunit." Cette curiosité pour toutes les choses de la vie, c'est précisément ce qui nourrit les créations culinaires de Michel Trama, mais pas uniquement. Car aujourd'hui, le chef incontesté se positionne plus largement qu'un simple chef en cuisine.
"Je me considère plus comme un restaurateur que comme un cuisinier. Les clients viennent chez moi pour une ambiance, un décor, un service, une cuisine. Ils viennent au théâtre." Metteur en scène, sur la scène et dans les coulisses, Michel Trama se démultiplie à l'envi avec un plaisir manifeste. Le présent, il le vit à plein régime car sa plus belle œuvre est ici, inscrite dans la pierre de Puymirol, et il caresse l'espoir qu'elle lui survivra. n zzz22v zzz18p


Grandes dates

1947     Naissance de Michel Trama à Constantine, le 31 janvier
1968     Rencontre entre Maryse et Michel Trama
1974     Ouverture du premier restaurant : Sur le Pouce, rue Mouffetard, à Paris
1978     Arrivée à Puymirol et ouverture du restaurant L'Aubergade
1981     1re étoile Michelin
1985     2e étoile Michelin
1987     19/20 au GaultMillau et sacré Cuisinier de l'année L'Aubergade devient Relais Gourmand
1989     Ouverture de l'hôtel Les Loges et adhésion à la chaîne Relais & Châteaux
2001     En décembre, ouverture de l'Atelier des Sens, un lieu voué à l'apprentissage de la cuisine via des stages pour grand public
2002     En juillet, Le Cloître, le restaurant, la cuisine et la piscine sont terminés

 

L'Atelier des Sens : des cours de cuisine à la carte
Ouvert en décembre 2001, l'Atelier des Sens prolonge Les Loges de L'Aubergade et propose des cours de cuisine à la carte pour individuels et petits effectifs : 1 à 6 personnes au maximum, trois jours par semaine (mercredi, jeudi, vendredi).
L'élève choisit ce qu'il souhaite apprendre et réaliser avec Michel Trama. Plusieurs formules sont proposées. En pension complète (cours, déjeuner, dîner gourmet et nuit) : 350 e par jour, 260 e pour l'accompagnant sans cours. Ou la journée de cours uniquement à 200 e avec le déjeuner.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2807 Magazine 6 Février 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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