d'avril 2003 |
ENQUÊTE |
Créés pour répondre à une demande communautaire, les établissements homosexuels accueillent de plus en plus une clientèle mixte. L'attente de la clientèle gay est forte, l'offre doit s'adapter.
Lydie Anastassion
L'Open Café est l'un des plus gros porteurs du quartier du Marais à Paris.
Avec ses 2 000
établissements recensés sur toute la France, le marché CHR gay-lesbien est
microscopique. Pourtant, il existe, répondant à la demande très forte de la communauté
homosexuelle. En ville, et particulièrement dans les plus grandes telles que Paris, Lyon
ou Marseille, la localisation de ce marché est aisée, car spécifique à des quartiers.
En province, le marché est plus discret, plus diffus. Arrêtons-nous cependant sur la
définition d'un établissement homosexuel. Pourquoi un restaurant est-il gay ou lesbien ?
Il existe, selon Jérôme Aznar, rédacteur du guide Le Petit Futé France Gay &
Lesbien, trois niveaux de réponse. "Les établissements les plus nombreux
sont ceux tenus par un couple, ou une personne, homosexuel. D'autres établissements gay
(ou lesbiens) ont des patrons hétérosexuels ayant choisi d'employer du personnel gay.
Pour finir, il existe des établissements dits 'gay friendly', c'est-à-dire hétéro,
accueillant un public gay", explique Jérôme Aznar. Nombreux en province, ces
derniers constituent une solution de repli pour la clientèle homosexuelle locale, cette
dernière préférant parfois ne pas ouvrir ses propres établissements. "Et puis
il y a aussi les gays qui ouvrent des restaurants ou des bars, mais qui refusent
catégoriquement de s'afficher comme tels. C'est leur choix", ajoute-t-il encore.
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Espace de liberté
Les restaurants répondent à une attente précise : offrir un lieu de liberté où les
couples peuvent manger les yeux dans les yeux sans avoir à gérer les réactions des
serveurs. L'ambiance, décontractée et généralement festive, est souvent privilégiée
à l'assiette. "Les gays vont dans des restos gay par effet communautaire. Les
établissements communiquent énormément dans la presse gratuite et dans les magazines
spécialisés", poursuit Jérôme Aznar. Preuve qu'il existe une demande : son
guide France a été publié à 30 000 exemplaires, 20 000 pour le guide spécifique à
Paris. Ouverts en grande majorité par des non-professionnels de la restauration, il y a
une dizaine d'années, les établissements n'avaient pas, au départ, de vocation
culinaire. Et souvent, d'un restaurant à l'autre, les cartes se ressemblaient
sensiblement. 10 ans après, les affaires se sont professionnalisées. "Au niveau
des restaurants, il y a donc un bouleversement commercial. Avant, il suffisait d'ouvrir un
endroit gay pour avoir des clients. Ce n'est plus le cas aujourd'hui", commente
Bernard Bousset, propriétaire de l'Open Café, rue des Archives, et de sa version
restaurant, le Coffee shop de l'Open Café, rue du Temple, dans le Marais à Paris, et
également fondateur du Sneg (Syndicat national des entreprises gay) en 1989. Selon lui,
le marché est "un soufflé en train de retomber".
"A nous de travailler sur l'offre, explique Jean-François Chassagne, actuel
président du Sneg et patron de 4 affaires, 3 dans le Marais et 1 à Nîmes. On sait
que les garçons sont très soucieux de leur corps, alors il faut leur proposer des plats
non gras. Sinon, on ne vendra rien." A l'heure du déjeuner, le Carré, rue du
Temple, l'un de ses restaurants, accueille une clientèle mixte, avec autant de femmes que
d'hommes. "Les restaurants s'ouvrent et deviennent hétéro friendly. Cela
correspond à l'évolution des murs. La culture de la différence va peu à peu
s'apparenter à l'histoire des gays, et nous allons arriver d'ici une génération au
droit à l'indifférence", poursuit Jean-François Chassagne, qui rejette la
notion de communauté, préférant celle de réseau d'entraide.
Hissés sur les devantures des établissements dans les années 80-90, les Rainbow,
drapeaux arc-en-ciel, tendent progressivement à disparaître. "Avant on disait 'que
les gays aillent chez les gays', constate Bernard Bousset. Actuellement, les
gens ne veulent plus être catalogués. Principalement les jeunes, qui n'ont pas connu les
périodes de répression" et qui n'ont pas besoin d'aller se retrancher dans des
endroits identitaires. Même raisonnement côté patrons. Cidalia, qui a ouvert le Sofa,
rue Saint-Sabin à Paris dans le XIe arrondissement, il y a 3 ans, en partenariat avec son
amie Valérie, refuse l'idée de ghetto. "Les femmes homosexuelles sont venues
chez nous parce que nous-mêmes nous l'étions. Elles ont été étonnées de voir que
nous accueillons une clientèle mixte, et certaines nous le reprochent encore parfois.
Moi, je suis cuisinière et j'ai simplement ouvert un bar-restaurant."
Une entreprise gay qui recrute du personnel ne doit pas mentionner, sur une offre d'emploi, qu'elle est gay, en référence à l'article 123 du Code du travail, "sous réserve des dispositions particulières du Code du travail et sauf si l'appartenance à l'un ou l'autre sexe est la condition déterminante à l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle. Nul ne peut mentionner ou faire mentionner dans une offre d'emploi, quels que soient les caractères du contrat envisagé, ou dans une autre forme de publicité relative à une embauche, le sexe ou la situation de famille du candidat recherché".
Friendly
En voie de dilution, le marché gay ? Oui, si l'on considère que l'évolution des
mentalités tendra à réduire les barrières entre les communautés, mixant ensuite
toutes les clientèles dans les mêmes lieux, gay friendly et hétéro friendly. De plus,
l'essor de la demande gay a été satisfait. Il y a 10 ans, 1 gay sur 3 sortait dans un
établissement gay une fois par semaine. Aujourd'hui, 8 gays sur 10 sortent dans un
établissement gay une fois par semaine. Pourtant, l'ouverture ne concerne que les
restaurants. Si l'on prend les chiffres relatifs aux bars gay, le créneau se resserre.
Car qui dit bars gay dit établissements sexuels. A Paris, on compte 36 établissements
gay sexuels, dont 16 saunas. 20 d'entre eux n'ont pas de licence IV. Reste donc 8 bars
avec licence IV, généralement dotés de backrooms, des arrière-salles dédiées aux
rencontres et échanges sexuels. De même que certains clubs parisiens permettent les
pratiques échangistes entre hétérosexuels. Les bars gay ne sont donc pas ouverts aux
autres publics. Et leur spécificité est autogénératrice de fréquentation.
L'hôtellerie gay constitue un autre cas de figure. Premier constat, les hôtels gay font
cruellement défaut, en particulier à Paris. Tout comme les hôtels gay friendly dont les
"patrons s'imaginent qu'ils vont voir débarquer des cars de trans ou de
drag-queens", ironise Jérôme Aznar. "Quand les gays voyagent, ils ont
deux motivations : le tourisme et la vie nocturne", précise Jean-François
Chassagne. Impossible dans un hôtel 'traditionnel' de conserver sa chambre jusqu'à plus
de midi, difficile à vivre quand on s'est couché à 10 heures du matin. Quant à
réserver une chambre pour 2 hommes, les choses coincent encore souvent au niveau de la
réception.
"En Belgique, il y a une fois par an la Nuit de la Démence. Dans le centre-ville
de Bruxelles, un hôtel réserve un étage aux gays qui peuvent conserver leur chambre
jusqu'à 16 heures", poursuit-il. Aussi, quand des gays ouvrent des hôtels, ils
refusent généralement la clientèle hétéro pour des raisons d'organisation, et mettent
le petit-déjeuner en libre-service une bonne partie de la journée. A Paris, un nouvel
hôtel devrait ouvrir au printemps 2004 à l'angle de la rue des Archives et de la rue de
la Verrerie. Un investissement de 700 m2, 50 chambres, financés par un couple gay
britannique déjà propriétaire d'une maison d'hôte à Aigues-Mortes.
Situés à l'arrière des bars, les backrooms - salles de rencontres et d'échanges sexuels - ne font l'objet d'aucune législation en la matière. Ils doivent être néanmoins pourvus, pour des raisons de sécurité, d'une ouverture.
Prescripteurs de tendances
Bars, restaurants, hôtels, le secteur CHR gay est un précurseur de tendances live. Un
marché à défricher et à exploiter pour les fournisseurs. Alcooliers et brasseurs l'ont
bien compris. Les bars gay constituent leur tête de pont. Lancé dans le Marais, le happy
hour est devenu un élément essentiel de la démarche commerciale des débits de
boissons. De même que les gays ont découvert en avant-première Le Pur White, la vodka
Absolute, ou encore Le Fluo de Perrier. Actuellement, la mode est aux boissons
énergisantes comme la Darkdog, testée chez les gays, et maintenant vendue chez Metro.
"Nous sommes prescripteurs de tendances. Nos bars peuvent être des lieux pour
tester des produits", explique Bernard Bousset. Jean-François Chassagne
renchérit : "Certains fournisseurs sont prêts à adopter une démarche
spécifique avec nous (lire encadré ci-contre, NDLR). D'autres viennent nous
solliciter quand l'image de marque est vieillissante, à la recherche d'un second souffle.
De plus, nos partenaires fournisseurs savent qu'ils vendent bien dans les établissements
gay dans lesquels ils sont référencés."
Les brasseurs, par exemple, financent sous-bocks et flyers à l'occasion de soirées
spéciales, de fêtes ou de campagnes contre le sida. Sans jamais mettre leur logo,
peut-être de peur de froisser leurs clients hétéros. "On aimerait qu'ils se
signalent, mais on prend ce qu'ils nous proposent." Alors, pour quand le 'coming
out' des fournisseurs ? Et si le challenge est trop risqué, ils peuvent toujours
s'intéresser au snacking, en accompagnement de la boisson, une niche énorme en regard
des hectolitres engloutis. Et dont la consommation se poursuivra à la maison. n zzz26x zzz36v
Le Marais : une synergie commerciale Comme dans toutes les capitales du monde, le quartier gay s'est implanté il y a environ 25 ans dans un des quartiers les plus pauvres de Paris. "C'était un cloaque, raconte Jean-François Chassagne. Un Anglais gay a acheté le Central, un hôtel avec un bistrot. En face, le premier coffee shop de Paris a ouvert ses portes, puis la librairie Les Mots à la Bouche, et tout a démarré à partir de cette synergie commerciale." Et puis les gays sont venus y habiter, attirés par le prix du m2 alors inférieur à celui des XIXe et XXe arrondissements. |
SUR LE FRONT DES PRÉVENTIONS Signé par le Sneg, ActUp Paris Aides, Sida Info service et le patron de l'établissement motivé, la Charte de Responsabilité définit les engagements de l'établissement face à l'épidémie de sida et autres IST (Infections sexuellement transmissibles). Elle porte sur la prévention, l'information et les droits des personnes atteintes faisant partie du personnel comme de la clientèle. Au sommaire : accessibilité, gratuité et visibilité du matériel de prévention, documentation et information, action de prévention, hygiène et entretien des locaux, formation du personnel, garanties vis-à-vis du personnel, respect et évaluation de la charte. Celle-ci est affichée dans les établissements signataires. |
Un drapeau arc-en-ciel sur le champagne
Richard Guistel produit le Champagne Romain Guistel. Un jour, lors d'une réunion avec des
amis, l'idée germe : il n'existe pas de bouteille de champagne aux couleurs de la
communauté gay. Plus pour longtemps. L'assemblage (pinot noir, pinot meunier et
chardonnay) est élaboré, et le graphiste crée une étiquette spécifique : la cuvée
Rainbow aux couleurs de l'arc-en-ciel. En novembre 2002, le producteur dépose la marque.
"J'ai voulu créer une cuvée spéciale, engagée, et qui affiche clairement sa
spécificité", explique Richard Guistel, qui a envoyé environ 2 000 mailings pour
faire connaître son produit.
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L'Hôtellerie Restauration n° 2815 Magazine 3 Avril 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE