de juillet 2003 |
À LA UNE |
Sexagénaire depuis le 2 janvier, Georges Blanc ne veut surtout pas entendre parler de retraite ! S'il a décidé de ne privilégier désormais aucun projet de développement externe, il recentre son activité sur Vonnas, ce 'Village Blanc', parfaite réussite gastronomique et économique.
Jean-François Mesplède
Tout
est affaire de passion. Et à l'évidence, celle d'entrepreneur de Georges Blanc ne se
dément pas. Au contraire est-on tenté d'écrire tant l'homme, passé le cap de la
soixantaine, bouillonne d'idées. N'en a-t-il pas toujours été ainsi ? Il l'admet
volontiers. "Même si je cuisinais parfois avec ma grand-mère, je dois admettre
que je n'avais pas une motivation particulière pour un métier vers lequel mes parents
m'ont poussé. Mais à l'école hôtelière de Thonon-les-Bains, je me suis passionné
pour ce que j'apprenais. Après un parcours dans différentes maisons et l'expérience
d'une saison comme steward à Air France où les voyages m'ont ouvert les yeux, je suis
revenu à Vonnas. C'était en 1965. Trois ans plus tard, j'ai eu la chance que mes parents
me laissent seul maître à bord. Je n'avais que 25 ans et l'envie de me hisser parmi les
meilleurs. La passion aidant, cela me semblait plus facile. J'ai vite découvert que la
réussite d'une entreprise tenait à la capacité de celui qui la dirige de savoir
s'entourer."
C'est donc ce que Georges Blanc s'est toujours attaché à faire, menant parallèlement
acquisitions et travaux pour transformer Vonnas en Village Blanc. S'ils ont alors fait
naître quelques sourires sur le visage de ses contemporains, ces choix se sont avérés
parfaitement judicieux. "Cet endroit a une histoire, j'ai choisi de mettre en
valeur notre passé. L'environnement, c'est sécurisant. Avec les lumières, l'eau, les
couleurs et les fleurs, l'ambiance de l'endroit est magique. Lorsque j'ai décidé de
faire un héliport, certains se sont gaussés. Mais rien n'est venu par hasard. C'est venu
avec des rencontres, au travers de réflexions. C'est le constat qu'il n'est pas superflu
si la cuisine n'en souffre pas, de rendre l'environnement agréable."
Son histoire |
C'est en Bresse que commence l'aventure de la famille Blanc. On y
cultive la terre jusqu'à ce que Jean-Louis et son épouse Virginie se décident à ouvrir
une auberge. 1872 : Vonnas, à proximité du champ de Foire. La femme est
au fourneau avec une clientèle, comme on l'imagine, essentiellement rurale. Trente
ans plus tard, la bonne réputation de l'Auberge monte d'un cran. Adolphe Blanc et Elisa
Gervais son épouse assumentla succession parentale. Et Elisa - la Mère Blanc de
l'histoire - se voit baptiser en 1933 Meilleure cuisinière du monde par Curnonsky aussi
séduit par sa cuisine qu'Edouard Herriot, maire de Lyon et président du Conseil, pourra
l'être... |
L'écrin et le contenu de l'assiette
Bien au contraire en fait. Car l'intérêt à Vonnas - et Bernard Loiseau n'avait
jamais pensé autre chose pour Saulieu - est de rendre le séjour des hôtes inoubliables.
"J'écoute beaucoup et j'apprends des autres", précise Georges Blanc.
Des rencontres riches, telle celle de Raymond Loewy, le célèbre designer - la bouteille
de Coca Cola, c'est lui. Père de l'esthétique, il avait ses habitudes à Vonnas. Georges
Blanc a profité de leurs échanges d'idées et a lu ses livres. "Il m'a convaincu
qu'à qualité de cuisine sensiblement égale, les gens viendront là où l'esthétisme et
la beauté seraient au rendez-vous. Ce qui veut dire que si tout commence dans l'assiette,
il n'y a pas que ça." En d'autres termes, confort et commodités ne lèsent
jamais le contenu de l'assiette.
D'autres rencontres encore, telle celle d'Antoine Riboud, voisin, entrepreneur et du signe
du capricorne - un peu froid, mais persévérant, méthodique et organisé - comme lui.
C'est lui qui a su lui faire admettre, que la réussite tenait à un savant dosage
d'imagination, d'instinct et de courage.
Mais il y a aussi des rencontres plus discrètes, plus anonymes, tel cet ami du Marché
gare de Lyon, qui lui a glissé cette maxime qu'il a faite sienne : "Si tu veux
gagner des clients, tu gagneras de l'argent. Si tu veux gagner de l'argent, tu ne gagneras
pas de clients." Autant de rencontres qui ont forgé la philosophie de vie de
Georges Blanc et qui l'ont amené à des choix économiques particulièrement pertinents.
"En 1965, lorsque mes parents m'ont laissé l'affaire, il y avait moins de 10
salariés : aujourd'hui nous sommes entre 210 et 240 durant l'été. Sans aucun jour de
fermeture, l'affaire réalisait 565 000 francs (de l'époque...) de chiffre d'affaires
dans l'année : aujourd'hui, c'est ce que l'on fait quotidiennement."
Meilleure qualité de vie du personnel
Pas de jour de fermeture hier ? Aujourd'hui, le restaurant n'ouvre ses portes que 220
jours par an, du mercredi soir au dimanche soir. "Pour optimiser les ressources
humaines, nous avons procédé à l'unité économique et sociale. Nous avons fait le
choix de fermer le restaurant deux jours et demi, il y a 2 ans, pour apporter une
meilleure qualité de vie à notre personnel. Il est important de donner de meilleures
conditions de travail. Nous visons toujours plus d'efficacité et de fiabilité : nous
travaillons toujours avec un effectif au complet et je suis là tous les jours
d'ouverture. Nous avons enregistré davantage de stabilité et les résultats économiques
n'en ont pas souffert, au contraire. Ne plus être ouvert 7 j/7 ne désoriente pas la
clientèle de l'hôtel qui, il est vrai, a l'alternative de l'Ancienne Auberge. Lorsque
nous l'avions ouverte en 1991, nous avions perdu 10 000 couverts sur l'année au
restaurant ! Là, non seulement nous n'avons pas perdu en recette en fermant le lundi, le
mardi, le mercredi midi et un mois en janvier, mais nous avons augmenté le CA. Et nous
avons poursuivi la démarche en écrêtant les gros services : nous bloquons à 100
couverts. Toutes nos sociétés sont bénéficiaires et soumises à la participation. Y
compris dans les entreprises périphériques, nos personnels touchent environ 30 % du
résultat net. Nous avons distribué 187 000 e en 2002."
Georges Blanc n'est pas mécontent de ses choix qui le confortent dans sa décision de ne
plus miser sur le développement externe, mais de se recentrer sur l'existant, de
s'attacher à perfectionner l'outil de travail : rénovation de la salle des
petits-déjeuners, travaux dans l'Ancienne Auberge et décoration de l'hôtel à hauteur
de 1 Me. "La force de l'entreprise tient à une structure de direction très
restreinte et donc opérationnelle et réactive", précise encore Georges Blanc
qui ne prend aucune décision sans l'avis de Georges Périnet, d'Antoine Maillon, et de
ses fils Frédéric et Alexandre.
"Rendre l'environnement agréable n'a rien de superflu..."
Travailler en phase avec ses enfants
Les fils justement : Ecole de Tain puis Girardet, Meneau et Guérard pour Frédéric
l'aîné ; Ecole de Thonon puis Oger au Majestic, Maximin et Ducasse avant des séjours en
Ecosse et en Australie, pour Alexandre, le plus jeune. Le premier est en charge de la
gestion du service et des achats. Le second de la création et de la production. Prêts à
assumer l'héritage ? Rien ne presse prévient le père. "Je veux rester chef
d'orchestre et compositeur dans la cuisine. Même si je suis moins instrumentiste, je
reste le gardien du temple. De la sensibilité culinaire en quelque sorte, mais je
délègue bien. Il faut savoir évacuer de son emploi du temps, toutes les tâches qui
peuvent être aussi bien faites par d'autres. Cela dit, je n'ai jamais annoncé ma
retraite. Le gros problème par rapport à mes enfants, est de laisser un espace de
liberté pour leur expression, de travailler en phase avec eux et en particulier sur les
investissements. Tout ce que je fais me passionne."
Hormis la présidence du Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse, 'GB' a
renoncé à tous ses mandats électifs pour s'occuper de son affaire et préparer la
transition. "C'est définitif", affirme-t-il, alors qu'on lui prête
encore quelques ambitions nationales, "Tout va bien, insiste-t-il. Depuis 2
ans, nous avons opté pour l'autofinancement - 10 % du CA voire 20 % pour la SA -
uniquement pour améliorer l'outil existant. Et, comme je l'ai dit, nous avons préféré
freiner le développement extérieur pour faire une grande avancée sur le plan social
(1)."
Les chiffres sont bons. La maison a su gérer les 35 heures, les RTT, réaliser l'UES. La
masse salariale oscille entre 32 et 38 % selon les établissements qui dégagent tous "une
marge brute normale" avec un endettement allant de 6 % du CA (Vonnas et le
Saint-Laurent) à 33 % (Bourg) et 40 % (Lyon). "Nous retrouvons dans les
résultats un rendement correct pour le capital avec un faible endettement d'ensemble.
Notre volonté a toujours été de porter la qualité de l'hébergement au niveau de la
qualité du restaurant. Cela s'est avéré payant..." Voilà qui explique donc la
satisfaction de l'homme à la soixantaine rugissante, qui peut afficher une incontestable
réussite que même les moins inconditionnels de ses pairs s'attachent à souligner ! "Je
crois que le génie ne peut être permanent et que le moteur doit rester la passion. La
réussite du chef d'entreprise tient à la capacité qu'il possède à susciter et
maintenir l'enthousiasme dans l'équipe qui travaille autour de lui. Les gens doivent
fonctionner dans le même état d'esprit que celui qui les dirige : un client ne me
dérange jamais. J'ai 60 ans, passer ce cap n'a rien provoqué de particulier. Je suis
persuadé qu'il y a encore des choses à faire. Je m'efforce de ne pas provoquer, de ne
pas lancer trop de chiffres (2) : je l'ai déjà fait et j'ai appris à être prudent.
S'il existe toujours un petit côté provocateur en moi, je m'attache désormais à
l'occulter pour ne pas attiser inutilement des jalousies. Mon seul défi pour les années
qui viennent est de permettre à mes enfants de s'épanouir." n zzz22v zzz18p
"Mon seul souci est de permettre à mes enfants de s'épanouir", dit
Georges Blanc, entouré d'Alexandre et de Frédéric.
La vérité des chiffres Les diverses directions de l'activité de Georges Blanc La SA (familiale à 100 %) réalise l'essentiel du CA avec 11,512 Me pour un CA global
annoncé par Georges Blanc de 19,133 Me pour 2002. Signalons également qu'outre une activité prolifique d'auteur, dont Mes plats du jour le dernier en date, en avril dernier, Georges Blanc a obéi en 1985 à une passion en se portant acquéreur d'un vignoble à Azé dans le Mâconnais. |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2828 Magazine 3 Juillet 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE