de décembre 2003 |
À LA UNE |
De l'Hôtel-pension du Chemin de fer, créé en 1903 par l'arrière-grand-père Joseph Carrier, à l'actuel Hameau Albert 1er, cinq générations se sont passées le flambeau à Chamonix. Toujours avec le même goût du travail bien fait et l'envie de grimper encore plus 'haut'.
Claire Cosson
On
parie ? A peine aurez-vous jeté un coup d'il à la brochure du Hameau Albert 1er,
splendide 4 étoiles situé en plein cur de Chamonix, que vous vous précipiterez
sur votre téléphone pour y réserver votre prochain séjour à la montagne. Histoire de
voir d'un peu plus près cet établissement centenaire, affilié des Relais &
Châteaux, estampillé 2 étoiles au Guide Rouge, qui a récemment reconstitué
dans le moindre détail une ferme traditionnelle d'alpage de 12 chambres. Le tout mariant
harmonieusement poutres patinées, balcons en bois et autres objets rustiques au confort
dernier cri du XXIe siècle.
Ajoutons un petit commentaire de Marcel Carrier, l'un des membres de cette incroyable
famille propriétaire des lieux depuis cinq générations, qui avoue souvent avec humour :
"Vous voyez, je trouve cet hôtel vraiment très agréable. J'y viendrai
volontiers comme client." Parcourez ensuite la carte du restaurant gastronomique
: Homard breton et rillettes de tourteau, Betterave rouge aux truffes blanches d'été,
Dos de chevreuil rôti entier aux airelles et gentiane... Et bien sûr vous vous régalez
d'avance. Mais, il n'y a pas que la table et la décoration qui vaillent le détour
là-haut. Tout aussi impressionnante semble d'emblée la capacité de la famille Carrier
à aimer les autres et le leur faire sentir. Rien que le sourire de la tribu, figé sur la
pellicule, en dit d'ailleurs long sur l'état d'esprit de la maison. On n'imagine pas
autre chose en effet, que de saluer à l'arrivée au Hameau Albert 1er des gens qui
cultivent la simplicité, sont heureux de vivre dans cette vallée au pied du Mont-Blanc
et n'hésiteront pas une seule seconde à vous faire partager leur bonheur. Des valeurs
rares en ces temps moroses, mais qui s'avèrent réelles une fois le seuil de cette
adresse franchi.
Le Hameau Albert 1er a Un hôtel de charme coquet, doté de 27 chambres et 3 chalets
avec vue sur le Mont-Blanc. |
La vérité sort de la bouche des enfants
Ici, pas question de douter de la sincérité des hôtes. Le pastiche n'a pas sa place
tant dans le décor que s'agissant des sentiments. Comment pourrait-il en être autrement
? Si ces fondamentaux n'avaient pas été ancrés dans le cur et l'âme de cette
lignée, il y a effectivement belle lurette que l'affaire aurait périclité. Ce qui, en
l'occurrence, est loin d'être le cas aujourd'hui. La petite entreprise Carrier, dirigée
actuellement par Pierre et Martine, prospère.
Fondateur de l'Hôtel-pension du Chemin de fer en 1903, l'arrière-grand-père Joseph
Carrier serait d'ailleurs sacrément fier de visiter le Hameau Albert 1er, devenu une
véritable adresse haut de gamme à la renommée internationale. Il éprouverait
également pas mal de difficultés à établir les comptes. D'autant que le chiffre
d'affaires n'a cessé de croître au cours des dernières années. De 1,14 Me en 1986, il
est ainsi passé à 2,3 Me en 1996 et devrait franchir la barre des 6,2 Me en 2003 pour
onze mois d'activité.
Un succès qui ne doit évidemment rien au hasard ! Mais tout à l'esprit de famille et au
goût du travail bien fait. La vérité sort du reste de la bouche des enfants. "Jamais
je ne remercierai assez mon père de m'avoir transmis son goût du travail",
confie Pierre Carrier, p.-d.g. de la société. Et Perrine, la fille de ce dernier,
mariée à Pierre Maillet, jeune chef officiant aux côtés de son beau-père, d'ajouter :
"C'est une véritable chance de travailler avec mes parents ! J'ai tout à
apprendre d'eux." Il n'empêche que le business en famille ne rime pas toujours
avec sérénité. Nombreuses sont de fait les entreprises familiales à avoir mis la clef
sous la porte, déchirées par des rivalités internes.
15 fermes et chalets anciens ont été démontés en 1997 pour créer ce qui
constitue aujourd'hui le Hameau Albert 1er.
Droiture
Et, il y a bien eu parfois quelques entailles au contrat familial chez les Carrier. A
commencer par Marcel, qui fâché avec son père François-Joseph, avait en son temps
quitté 'le navire' pour la concurrence. En deux temps trois mouvements, le fils est
toutefois vite rentré au bercail. "C'était tout simplement un conflit de
génération", se souvient l'intéressé. Lui qui, par la suite, va doubler la
capacité de l'hôtel Albert 1er, décrocher la 1re étoile au guide Michelin
(conservée 17 ans) et ouvrir un second établissement baptisé l'Auberge du Bois Prin.
Un jour en cuisine, le même Marcel, a également lâché à sa belle-fille, Martine,
"Rends-moi mon torchon, tu m'as déjà pris mon fils !" Amusant...
Quelques tensions entre les enfants Carrier auraient également pu mettre un terme à
cette belle saga familiale. Rien de cela n'est malgré tout arrivé. Alors, la recette
quelle est-elle ? "C'est une sorte de code déontologique invariable et
déterminé qui régit tout
le fonctionnement de la famille", analyse une collaboratrice de plus de 20 ans,
Nathalie Bernos. Et de poursuivre : "Une droiture envers chaque membre de la
lignée ainsi que leurs employés."
Chez les Carrier, il existe de fait des règles héritées du passé comme le choix du
métier et la manière de le faire. Le parachutage, sous prétexte de parenté, est ainsi
banni à jamais dans cette maison. "Pierre Carrier a dû faire ses preuves comme
n'importe quel autre employé lorsqu'il a rejoint son père en cuisine", commente
un salarié. Tout comme Perrine, 24 ans, qui a intégré le Hameau Albert 1er voilà près
de 18 mois. Ancienne élève de Lausanne, la jeune femme se considère du reste à ce jour
comme un membre du personnel à part entière. "Pour le moment, je me fais toute
petite. J'observe et j'écoute. Je fais mon apprentissage", confesse-t-elle.
Respect des racines
Autre élément capital : les fonctions de chaque partenaire familial sont clairement
définies et distinctes. Ce qui évite d'enfreindre le territoire de l'autre et d'entrer
dans un rapport de compétition. "C'est une façon de travailler qui permet à
chacun de se sentir en outre valorisé auprès des tiers", souligne Perrine.
"Extrêmement soudée, la famille inclut également les équipes aux décisions
stratégiques pour éviter le sentiment d'exclusion", précise Nathalie Bernos.
Sans oublier que tout ce joli petit monde cultive aussi allègrement le respect de ses
racines. Autrement dit celui des fondateurs, qui constitue le socle même de l'entreprise.
C'est ainsi qu'à 78 ans, Marcel effectue son petit tour dans la maison, chaque jour de
très bonne heure, afin de s'assurer de la bonne marche de l'entreprise. Et que jamais au
grand jamais, son rejeton ne prend à la légère les remarques de son aîné. Reste que
la solidité de ce clan ne s'explique pas uniquement grâce aux valeurs familiales. Il
existe bien sûr une confiance réciproque. Ainsi qu'une implication très jeune dans
l'entreprise de chacun des descendants. "Personnellement, je n'ai obligé aucun de
mes enfants à reprendre l'affaire. Mais, je les ai tout de même mis dès leur majorité
devant leurs responsabilités", explique Marcel Carrier. "Il le fallait
parce que j'ai travaillé avant tout à préserver un patrimoine que j'espérais
logiquement transmettre à mes enfants", précise ce dernier. Résultat : les
rendez-vous chez le notaire et autres techniciens en transmission d'entreprise, les
Carrier connaissent par cur. Toutes les démarches de donation ayant toujours été
réalisées en parfaite transparence entre les membres de la fratrie. "Nos parents
ont très tôt, avec l'aide de leur comptable, sécurisé la succession. Ils ont
également toujours profité des dispositifs fiscaux en nous faisant des donations à
chaque fois qu'ils le pouvaient", raconte Pierre Carrier. Une manière
intelligente d'impliquer concrètement les bénéficiaires dans la vie de l'entreprise.
"C'est en réalité un engagement mutuel", souligne Marcel. 'Un je te
tiens, tu me tiens', qui n'en rend le clan que plus fort. D'ailleurs, Pierre et Martine,
comptent déjà leurs deux filles, Perrine et Isabelle, parmi leurs actionnaires (à
hauteur de 40 %) dans la société de gestion du Hameau Albert 1er. Mieux encore ! Ils
s'apprêtent à finaliser une première donation-partage à l'attention de leurs chères
petites têtes blondes. Fort de cette philosophie, la quatrième génération ne va pas
hésiter une seule seconde à investir à nouveau dans son outil de travail. Ainsi
l'hôtel Albert 1er va-t-il subir à l'automne prochain une nouvelle cure de
rajeunissement pour passer de 27 à 18 chambres. "Ce qui me pousse à entreprendre
tout cela, ce sont les jeunes", résume Pierre Carrier. Et Perrine de chuchoter :
"J'espère que nous serons à la hauteur." Pas de doute, l'esprit Carrier
est là ! < zzz18
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Un siècle d'histoire
1903 : Le fondateur
Construction de l'Hôtel-pension du Chemin de fer par Joseph Carrier
1924 : Avec les Jeux
olympiques d'hiver à Chamonix, installation du chauffage dans les chambres. L'hôtel est
rebaptisé l'Hôtel de Milan
1925 : Première apparition
de l'hôtel dans le guide Michelin
1935 : Le visionnaire
En hommage au Roi Albert 1er, François-Joseph Carrier baptise l'hôtel 'Albert 1er et
de Milan'
1962 : Le modernisateur
Marcel Carrier agrandit l'hôtel et passe à 50 chambres
1967 : Marcel décroche 1 étoile au Michelin qu'il
conserve 17 ans
1976 : Ouverture de l'Auberge
du Bois Prin
1979 : Le contemporain
Pierre Carrier et Martine rejoignent les rangs de l'Albert 1er
1986 : Pierre Carrier regagne son étoile au guide Michelin
1988 : Obtention de la Clé d'or au GaultMillau
1996 : Début des travaux d'extension de l'hôtel avec la
construction de trois fermes et chalets d'antan
1997 : Ouverture de la Maison
Carrier, restaurant de pays, et du centre de fitness
1999 : Pierre se voit
décerner sa 2e étoile et 18/20 au GaultMillau. Le Hameau Albert 1er porte les
couleurs des Relais & Châteaux
2001 : Le futur
Perrine Carrier épouse Pierre Maillet, cuisinier aux côtés de Pierre
2003 : Toute la famille souffle les 100 bougies
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L'Hôtellerie Restauration n° 2850 Magazine 4 Décembre 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE