de janvier 2004 |
À LA UNE |
L'apprentissage du vin dans les écoles hôtelières est-il adapté aux besoins du terrain ? Les nouvelles générations ont-elles les moyens d'apprécier ou d'appréhender le vin ? Bref, peut-on encore devenir un Philippe Faure-Brac ?
Étaient présents à cette table ronde* : Alain Blot, Paul Brunet, Michèle
Chantome, Anne Deluëgue, Philippe Faure-Brac, Francis Sellam, Kilien Stengel et Patricia
Le Naour.
Patricia Le Naour : L'Hôtellerie a publié dans ses colonnes un article qui mettait l'accent sur la marginalisation du vin dans l'enseignement de la restauration. Cet article a suscité de nombreuses réactions dans la profession. L'Education nationale a globalisé l'enseignement à l'intérieur de la technologie du restaurant et, en fait, on s'aperçoit que c'est l'enseignant qui, selon sa formation et sa sensibilité, choisit ou non d'approfondir le vin. A l'heure où les consommateurs sont de plus en plus intéressés par le vin, qu'ils sont de plus en plus connaisseurs, il est regrettable qu'ils se retrouvent, lorsqu'ils sont au restaurant, très souvent, face à des personnes qui n'ont aucune connaissance du vin, qui ne savent ni en parler, ni le servir. J'ai envie, devant ce constat, de tirer la sonnette d'alarme et d'interpeller les professionnels.
Paul Brunet : Nous sommes devant une exception française, qui porte sur le 'non-enseignement' des vins au sein des lycées hôteliers. Il y a pourtant des points positifs dans l'Education nationale, comme la reconnaissance de la sommellerie au niveau Meilleur ouvrier de France et les mentions complémentaires sommellerie. Mais, ces mentions posent des problèmes de recrutement et des sections ferment, faute de candidats. L'Education fait beaucoup pour le vin, mais je déplore que le vin ne fasse plus l'objet d'un enseignement en tant que tel. Je suis même choqué que les cours qu'on appelait "crus des vins" aient été supprimés. Je suis en contact avec de nombreux professionnels étrangers, et dans tous les pays, on met en place ou l'on accentue les formations sur le vin. Alors que, nous autres Français, nous les réduisons comme peau de chagrin.
Francis Sellam : Effectivement, les cours ont été globalisés et c'est vrai que le niveau baisse. En ce qui nous concerne, à Jean Quarré, nous sommes un lycée un peu atypique, car en 1re année de BEP, nos élèves ont une heure d'nologie par semaine. Je fais aussi du vin avec eux, jusqu'à 40 litres les bonnes années. Ils ont une heure de cru des vins et une heure de dégustation en terminal BEP. Il faut bien comprendre qu'ils sont 33 dans la classe et que je les ai aussi après un service de 8 heures. Nous faisons en sorte que les 'terminales BEP' aillent une semaine en vendange. C'est un choix que nous avons fait au sein du lycée. Et on a dissocié les heures de technologie. Nous avons en projet de faire partir l'année prochaine 90 élèves dans la coopérative des hautes-côtes-de-nuit, et concernant la mention complémentaire que nous venons d'ouvrir, elle est aussi atypique, même si nous restons dans le cadre du référentiel. Les élèves vont aller faire la taille, en février, dans les vignes. Durant l'année scolaire, ils auront passé une semaine chez un caviste et une semaine en grande distribution. Et ils sont en stage tous les vendredis dans un restaurant. Quand on s'est réuni à Jean Quarré pour créer cette mention, on a fait appel à des professionnels et on s'est mis d'accord, avec eux, sur le principe que tout ce qui est strictement professionnel doit être enseigné et transmis uniquement par des gens du terrain. Ce sont des sommeliers qui interviennent pour tout ce qui concerne le service du vin et la connaissance des vignobles.
Philippe Faure-Brac : Les élèves qui sortent de mention complémentaire ne posent pas vraiment de problèmes aux restaurateurs. Les difficultés sont ailleurs : lorsqu'on reçoit des personnes susceptibles de travailler le vin d'une manière ou d'une autre dans l'établissement et qu'on s'aperçoit qu'ils ne connaissent rien du tout au vin.
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Anne Deluëgue. |
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Anne Deluëgue : Le fond de notre métier, vous serez d'accord, c'est d'être au service de nos clients. Or, en 1997, chez Mercure, nous n'arrivions pas à trouver de jeunes élèves de mention complémentaire. Cela ne les intéressait pas forcément de venir chez nous à l'époque. Nous avons alors décidé de nous adresser à des jeunes qui n'avaient pas de bagages vin et nous avons mis en place notre propre formation qualifiante, avec des échansons, chaque année, qui passent désormais des niveaux supérieurs. Cette formation évolue. On était, au départ, très théorique. Ce n'est pas ce que veut le client. Le client veut quelques mots intelligents, il veut deux ou trois qualificatifs tout au plus. Il a besoin qu'on le mette en appétit. De théoriques, ces formations, je les ai rendues de plus en plus pratiques. J'ai emmené mes équipes voir des vignes... Certains n'avaient jamais vu un pied, ne savaient pas qu'avec du raisin noir on faisait du vin blanc. Et comme ça, très modestement, j'ai réussi à éveiller des passions.
Francis Sellam : Je crois que l'Education nationale répond parfaitement ici à votre demande. Les référentiels sont axés surtout sur la commercialisation, notamment les bacs pro. On prépare davantage les élèves à l'argumentation, et on part du principe que ceux qui le souhaiteront, auront, par la suite, l'autonomie d'apprendre.
Kilien Stengel : Si je dois donner un avis personnel, c'est vrai qu'il y a beaucoup moins de sommellerie enseignée dans les niveaux V, IV et III. Pourquoi ? J'ai l'impression qu'il y a un besoin de faire des généralistes. Vous savez, la génération actuelle, à 16 ans, n'est pas obligatoirement lancée dans une carrière arrêtée. J'ai de plus en plus l'impression que les jeunes voient leur avenir dans une diversité de carrière ou de métiers. Ils ont besoin de notions plus larges au départ pour ensuite se spécialiser. C'est pourquoi les spécialisations sont mises en avant par les mentions complémentaires ou le BP. Le BP, même s'il s'adresse à des personnes déjà dans le métier, n'est pas assez mis en valeur. On a aussi un autre petit souci, on voit les sommeliers comme un phénomène d'élitisme. Cela fait peut-être un peu peur aux jeunes de niveau CAP ou BEP. Quand on présente l'étendue du référentiel de mention, c'est vrai que ça peut inquiéter les jeunes actuels. Bien heureusement, il y a le système de la passion. Qui est toujours là de la part de certains éléments élèves et de certains enseignants. Il y a des professionnels qui n'ont pas suivi de cursus scolaire, mais dont la passion a été le moteur essentiel.
Michèle Chantome : Je voudrais rebondir sur le côté négatif que vous accordez à l'élitisme. Pour moi, c'est un côté excellent, car c'est un moteur. Quand on a un champion du monde en France, on est heureux. Que ce soit dans n'importe quelle discipline. Au contraire, c'est extrêmement motivant. Comment voulez-vous susciter des passions s'il n'y a pas de porte-flambeau ? Il faut des gens comme Philippe Faure-Brac ou Olivier Poussier. Regardez le phénomène Shinya Tasaki au Japon. Les Japonais ne connaissaient pas le vin. A partir de 1995, ils se sont mis à découvrir le vin d'une façon fabuleuse. Aujourd'hui, les sommeliers japonais sont extraordinaires. Et ça, c'est le phénomène Shinya Tasaki.
"Lorsqu'on est enseignant ou éducateur, n'est-on pas aussi là pour donner
envie aux jeunes ?", s'interroge Patricia Le Naour.
Patricia Le Naour : Lorsqu'on est enseignant ou éducateur, n'est-on pas aussi là pour donner envie aux jeunes ?
Kilien Stengel : En partie, c'est vrai. Mais il faut aussi prendre en considération leurs motivations. Lorsqu'ils font une mention complémentaire sommellerie, c'est leur choix. Dans les autres sections, c'est très différent.
Francis Sellam : Un professeur, qui travaille
au-dessus de Montpellier, me racontait récemment que dans son établissement les élèves
apprennent les appellations par cur, que tout marche au pas, qu'ils sont super. Je
me dis qu'ils ont quand même de la chance dans certaines provinces, car à Paris, ce
n'est pas du tout le cas. Nous, on fait le recrutement géographique. Il n'y a plus de
concours. On ne demande pas aux jeunes d'être passionnés, on est obligé de prendre
celui qui veut faire l'école hôtelière. C'est-à-dire qu'actuellement, en moyenne, sur
une classe de 30 élèves en BEP 1re année,
on estime à 6 ou 7 ceux qui vont aller en BTS.
Et 3 au maximum seront des passionnés. Autre réalité, sur les 30 de la classe de base,
combien ne boivent pas d'alcool parce que ça leur est interdit ?
Alain Blot : Moi, j'ai fait l'école de Tours. J'ai eu l'occasion de vivre la cuisine de 1967 à aujourd'hui. Je dis toujours, étant moi-même passé par l'école hôtelière, qu'on n'a pas assez donné d'importance au vin. On aurait dû enseigner les vins comme une passion qui soit totalement liée à la cuisine. Il est, pour moi, inimaginable qu'on enseigne l'un sans l'autre. Et il est encore plus surprenant pour moi qu'on puisse s'interroger sur une passion qui date d'une éternité. Si on vit en France et qu'on y travaille, c'est qu'on apprécié sa culture. Le bien manger et le bien boire font partie de la culture française.
Philippe Faure-Brac : Le besoin d'expression de la gastronomie française, ça passe par la culture de la cuisine et des vins. On a tendance aujourd'hui à vouloir dissocier les deux.
Philippe Faure-Brac : "L'expression de la gastronomie française passe par la
culture de la cuisine et des vins."
Alain Blot : Je ne suis pas d'accord avec ce qui se passe actuellement chez nous, où on nous répète que boire, c'est s'enivrer. Non, boire, c'est accompagner ce qu'on va manger. Chez moi, je crois que j'endoctrine un peu les gens. J'aime leur faire découvrir les produits et je les amène toujours vers le vin. On leur inculque d'emblée l'idée d'aimer les produits. C'est une notion de partage. Bien sûr, il faut être convaincant, il faut soi-même y croire, il faut être épaulé aussi et parler avec passion. Lorsque j'en parle, on me répond que ce n'est pas dans le programme officiel. On me renvoie à la formation complémentaire. Non, personnellement, j'estime que les élèves qui sont là pour apprendre la cuisine doivent aussi comprendre les associations mets et vin. Il est indispensable de connaître le goût.
Paul Brunet : Je voudrais revenir sur la concurrence internationale. En Suède, ils ont 200 heures de formation obligatoire. Non seulement ils connaissent les vins du monde, mais ils connaissent les vins français à faire pâlir beaucoup de nos professionnels. En Argentine, dans les collèges classiques, on parle déjà de vins.
Paul Brunet et Michèle Chantome.
Michèle Chantome : En ce qui concerne le trophée Ruinart, c'est vrai qu'on a eu du mal à faire admettre la connaissance des vins étrangers, alors que c'est indispensable. Je voudrais terminer en insistant sur le rôle éducatif des concours. Le trophée Ruinart existe dans 25 pays d'Europe et on va le lancer en Amérique, en 2005. Sur tout le continent américain. Du Canada à la Patagonie. Un trophée comme le nôtre permet aussi de motiver les jeunes, on braque les feux de l'actualité sur eux. C'est extrêmement valorisant et enrichissant pour eux.
*ÉTAIENT PRÉSENTS À CETTE TABLE RONDE :
a Alain Blot
Restaurant Alain Blot à Rethondes (60), commissaire aux régions pour Euro-Toques.
a Paul Brunet
Ancien professeur, auteur d'ouvrages sur le vin, membre actif de l'Union française
de la sommellerie.
a Michèle Chantome
Maison Ruinart, en charge de l'organisation du trophée Ruinart du Meilleur jeune
sommelier.
a Anne Deluëgue
Groupe Accor, responsable des Grands Vins Mercure.
a Philippe Faure-Brac
Restaurant le Bistrot du Sommelier à Paris, président du jury du MOF sommellerie.
a Francis Sellam
Professeur au lycée Jean Quarré à Paris.
a Kilien Stengel
Rectorat de Paris, formateur.
a Patricia Le Naour
Rédactrice en chef du journal L'Hôtellerie.
Cette table ronde a eu lieu à l'Auberge Saint-Roch à Paris. Organisation : Sylvie Soubes, journaliste. zzz46o
Philippe Faure-Brac, le vin passion
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L'Hôtellerie Restauration n° 2854 Magazine 8 janvier 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE