de janvier 2004 |
À LA UNE |
Meilleur sommelier du monde 1992, Philippe Faure-Brac veille depuis vingt ans sur le Bistrot du Sommelier à Paris. Personnage public et homme de terrain, il est aussi un mentor pour les jeunes sommeliers.
Sylvie Soubes - Photos Thierry Samuel
Une terrasse ombragée de Vaison-la-Romaine. La pierre se fait douce et bienveillante, après une journée d'escalade dans les Dentelles de Montmirail. La fierté du père devant l'endurance et l'enthousiasme du fils. Le bonheur, aussi, pour un gamin de 12 ans, de tremper les lèvres dans un verre de muscat Beaumes-de-Venise, entre hommes... Ce souvenir, baigné de soleil et de simplicité, appartient à Philippe Faure-Brac. C'est l'image la plus éloignée et la plus distincte qui lui revient en mémoire lorsqu'il évoque le vin. A cette époque, il veut déjà travailler dans la restauration. Il aime la joyeuse animation qui règne dans le bar-hôtel-restaurant de ses grands-parents, dans les hautes Alpes provençales. Au cur de l'été, des odeurs d'herbes fraîches, de terrines et d'olives se mêlent aux voix riantes du comptoir. Ça y est, son choix est fait, il sera cuisinier. Filière retenue : CAP, BEP et BTH cuisine. BTS option gestion des entreprises de restauration pour finir. Le vin, il le découvre. "Je me suis très vite intéressé aux boissons qui allaient pouvoir être associées aux plats. Entre élèves, on constituait des groupes de dégustation. Les profs nous donnaient des pistes puis nous faisions des essais. L'argent qu'on gagnait en faisant des extras partait le plus souvent dans des bouteilles rares." Anecdote. L'étudiant lit quelque part que les vieux châteauneuf-du-pape se marient à merveille avec la truffe. La prochaine dégustation portera donc sur le sujet. Mais lorsque le groupe s'accorde sur la cuvée, le prix interdit toute promesse de festin. "Comme nous racontions notre projet au caviste, celui-ci nous a dit d'attendre un instant. Je le vois encore. Il est allé dans sa réserve et en est revenu, tout souriant, avec une boîte de truffes qu'il nous a offerte. C'était génial. Résultat, nous avons dégusté la bouteille sur une côte de buf aux truffes."
Déclic
Arrivé en BTS, le vin n'est plus au programme. Philippe Faure-Brac, dont
l'intérêt pour les produits de la vigne ne cesse de croître, s'inscrit à des cours
dispensés par Michel Ballanche. La rencontre avec ce professeur de l'école hôtelière
de Nice est décisive. "Je lui dois le déclic de ma carrière. Il fait partie des
personnes qui m'ont vraiment appris le vin. Avec lui, j'ai découvert un autre univers,
riche et immense." Passionné, paternel à bon escient, Michel Ballanche
conseille, encadre, suscite. Plusieurs vainqueurs du trophée Ruinart lui doivent
d'ailleurs leur vocation. Entre 1980 et 1982, Philippe Faure-Brac multiplie les stages en
entreprises, en choisissant systématiquement des régions viticoles. En 1982, il obtient
avec succès son BTS et réussit, en parallèle, le CAP de sommelier. Il est aussi
lauréat de la Bourse Evian-Badoit des jeunes créateurs d'entreprise avec un concept de
restaurant autour du pamplemousse ! L'année suivante, devoirs militaires oblige, il
intègre l'Ecole des officiers de réserve de Saint-Cyr Coëtquidan, qui le conduit dans
le 159e régiment d'infanterie alpine de Briançon. Ses moments de repos, il les consacre
à la cave du mess. Ses classes terminées, dégagé de toute obligation, il sillonne
durant 3 mois les vignobles de l'Hexagone dans une guimbarde dans laquelle, la plupart du
temps, il dort, faute de moyens. "Je savais désormais que je voulais être
sommelier. Mais avant d'entrer dans la vie active, je me suis accordé un trimestre de
liberté." Paris, il connaît sans connaître. Il y a travaillé 6 mois, juste
avant le service militaire. A l'Ecluse, à la Lorraine... Il s'est lié d'amitié avec
Jacques Michaux, le chef sommelier du Fouquet's. Début 1984, celui-ci le met en contact
avec un journaliste, Nicolas de Rabaudy, auteur notamment d'un ouvrage sur le vin écrit
en collaboration avec Jean-Luc Pouteau, le tout jeune Meilleur sommelier du monde 1983.
L'homme cherche à ouvrir un restaurant. "Le feeling est tout de suite passé et
nous avons décidé de nous associer. Thème retenu : un bistrot, dirigé par un sommelier
et effectuant un travail d'association mets/vin sur tous les plats, y compris les plus
simples." Le 8 mai 1984, le Bistrot du Sommelier ouvre ses portes boulevard
Haussmann, dans le VIIIe arrondissement de la capitale. "Ça a très vite
fonctionné le midi. Au bout de quelques jours, on refusait du monde. En revanche, le
soir, c'était dur."
|
|
Titre suprême
Philippe planche sur de nouvelles offres tout en bûchant le concours du Meilleur
jeune sommelier de France. Qu'il décroche. "Le trophée Ruinart a apporté un
éclairage sur la maison, il a aussi conforté la clientèle. Cela dit, la restauration
est quelque chose de complexe. Il nous arrivait de refuser jusqu'à 150 personnes le midi
- j'ai fini par compter - et avoir zéro client le soir alors que les prestations étaient
identiques. Pour attirer les gens au dîner, mais dans d'autres conditions, j'ai choisi de
monter en gamme." Ticket moyen au déjeuner : 150 F (23 e environ) ; formule du
soir : 350 F (près de 54 e) avec 6 plats et 6 vins servis à l'aveugle. "J'ai
voulu installer une autre notion de convivialité. Un peu comme si mes clients étaient
chez eux, entre amis, à parler vin en toute liberté. Le principe de les servir à
l'aveugle met tout le monde au même niveau." Doucement, mais sûrement, la salle
se remplit pour le deuxième service et sur réservation. L'établissement trouve son
rythme avec moins de tables et forge sa réputation sur les vins au meilleur d'eux-mêmes.
Parce qu'il a le goût du challenge, Philippe tente le concours du Meilleur sommelier de
France. Jackpot. Entre-temps, il retrouve Nadine, son amie d'enfance - ils se connaissent
depuis la maternelle - et l'épouse. Dans la ligne de mire du sommelier désormais, le
titre suprême. L'ambition réclame résistance et volonté. S'il dort 5 heures par nuit,
c'est le maximum. Nadine accepte l'épreuve. "Je pense que je n'aurais pas obtenu
le titre de Meilleur sommelier du monde si elle n'avait pas été là pour me soutenir,
mais aussi pour me protéger et m'encourager." Le 5 septembre 1992, à Rio,
Philippe décroche le titre suprême. "Il est difficile d'exprimer ce que j'ai
ressenti. C'était vraiment extraordinaire, pour moi comme pour mon entourage. Je pense à
Eric Sertour, Gérard Margeon, Eric Buiron, Jacques Méhault et Jean-Luc Jamrozic. On se
réunissait une fois par semaine et ils me questionnaient sur tout. C'est aussi grâce à
eux que je suis Meilleur sommelier du monde." Philippe évoque également une
longue et forte amitié avec Patrick Pagès, son témoin de mariage.
Télés, interviews tous azimuts, premières pages, interventions régulières à la
radio. Philippe Faure-Brac devient un personnage public, donnant même la réplique à
Catherine Deneuve dans le film Place Vendôme. Il rachète à son associé les parts du
Bistrot du Sommelier et confirme l'établissement comme la référence vins de la
capitale. Autre caractéristique : Philippe Faure-Brac reste disponible. Il jongle avec
les avions et les horaires pour être en salle, auprès de sa clientèle et de ses
équipes. "J'ai le devoir envers eux d'être là et de leur transmettre mon
savoir-faire." Il continue de décrocher lui-même son téléphone pour parler
des menus du jour ou des vins. Il continue aussi de s'investir dans la profession. Il est
président de l'Association des sommeliers d'Ile-de-France, a mis au point le MOF
sommellerie. En 2004, le Bistrot du Sommelier a 20 ans. 35 places dans la salle
principale, contre 55 au début. Trois menus : surprise, tentation et prestige. 1 200
références en cave contre une vingtaine de caisses l'été 1984. A son actif enfin, des
poignées de jeunes désormais passionnés par le vin. <
Repères
a Philippe Faure-Brac est né en 1960 à Marseille
a Il ouvre le Bistrot du Sommelier à 24 ans
a Il remporte la médaille d'or du 7e concours mondial des
sommeliers de Rio, en 1992. 35 candidats et 20 pays étaient en lice
a Il est l'auteur de 6 livres sur le vin. Parmi ses
distinctions et fonctions : Best of award of excellence du magazine Wine Spectator,
Nef d'or de l'entreprise pour la gestion du Bistrot du Sommelier, Maître sommelier de
l'UDSF, membre du comité national de l'Inao, délégué de l'Union des sommeliers de
France auprès de la sommellerie internationale...
Table ronde, l'apprentissage du vin est-il adapté aux besoins du terrain ?
Article précédent - Article suivant
Vos réactions : cliquez sur le Forum de L'Hôtellerie
Rechercher un article : Cliquez ici
L'Hôtellerie Restauration n° 2854 Magazine 8 janvier 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE