d'avril 2004 |
VOTRE VIE |
Maryvonne Cousin
Elle a longtemps porté à bout de bras un café-hôtel-restaurant. Seulement 2 fois 10 jours de vacances en 12 ans. En 2001, elle tourne la page. Pour une crêperie, La Gourmandie, en Normandie, sa terre natale.
Sylvie Soubes
Maryvonne et son fils Quentin apprécient aujourd'hui la quiétude normande dans leur crêperie de Carrouges. |
Maryvonne
porte avec douceur la quarantaine. Elle a fêté ses deux ans à la tête de la
Gourmandie, une crêperie de Carrouges, dans l'Orne. Son village natal. Maryvonne a ce
petit quelque chose d'universel, de familier à la plupart des femmes qui travaillent
depuis longtemps dans le métier. Ce n'est pas vraiment une expression, plutôt une
réaction. Comme une passion ensevelie, enfouie, repoussée, qui imprègne le visage d'une
même empreinte. Le sourire est franc et pourtant, à un moment donné, il se contracte,
se retient. Ce sont les épreuves, l'expérience, la sagesse qui parlent. Avoir beaucoup
donné laisse des traces. Même si, l'instant d'après, le voile perçu se dissipe.
Maryvonne aime ce métier, coûte que coûte.
Elle y est entrée par hasard. Au début des années 1980, alors en congé
maternité, la secrétaire comptable apporte un coup de main impromptu, en cuisine, dans
le bistrot parisien où travaille son garçon de café de mari. Elle s'est toujours
intéressée aux fourneaux et a déjà fait ses preuves dans le rayon boucherie-traiteur
d'une moyenne surface. Son homme, ambitieux, opportuniste, l'entraîne dans une gérance
appointée à Vincennes. Un bar-tabac PMU, la plus grosse "civette du
Val-de-Marne". "Les propriétaires ne voulaient pas qu'on touche aux caisses.
Moi, je m'occupais notamment des stocks tabac et je faisais tout à la main."
L'apprentissage est rude. Mais Maryvonne tient bon, se forge et se rode. Elle se souvient
d'un braquage, à la fermeture du PMU. Puis de cet incendie qui a tout dévasté. "C'était
un court-circuit. Mais les experts ont mis du temps à le prouver." Des
soupçons, lourds et injustes, pèseront sur les jeunes gérants. Le couple reprend des
forces avec une gérance libre à Villeneuve-Saint-Georges.
Autre école : "C'était un café de gare, très bruyant. On a mis en route
la restauration. J'étais en cuisine. On tournait à 60 couverts le midi et on a triplé
le chiffre. On serait bien resté, mais les propriétaires ont tellement augmenté le
loyer que ça ne valait pas la peine. On est partis." Horaires de l'époque : 5
h-22 h, fermeture le dimanche après-midi seulement. "Mon mari et moi savions
désormais que nous pouvions tenir une affaire."
La Gourmandie offre un cadre clair et paisible. |
Le calme avant la
tempête
"Un jour, il m'a emmenée visiter un café-hôtel-restaurant-PMU, situé à
Brétigny-sur-Orge. C'était immense et je n'étais pas emballée. Malheureusement, il
avait déjà signé l'achat du fonds : 2 millions de francs... Je me suis demandée
comment on allait faire, surtout que j'avais un deuxième enfant en bas âge. Le fait est
que l'affaire était solide et tournait bien." N'empêche. Maryvonne retrousse
ses manches, fait les chambres et met la patte en cuisine quand le personnel fait défaut.
Elle gère le personnel, installe l'informatique, vérifie les factures... Son mari, lui, "grande
gueule" et "boute-en-train", crée l'ambiance. Les "potes"
affluent. La vie de couple dégénère, vite, très vite. Le maître des lieux devient
brutal... et volage. Ils divorcent. La séparation tourne à la bataille d'avocats. Elle
veut racheter les parts, il fait grimper les enchères. "Nous avions conclu un
accord. Je lui versais une somme mensuelle qui normalement couvrait la partie qu'il devait
rembourser. Mais il n'a pas tenu ses engagements. Je me suis retrouvée au bord du
gouffre." Adieu, l'étoile Michelin durement gagnée, un administrateur juridique
sur le dos, le père de ses enfants pour ennemi... "C'est mon expert-comptable,
une femme, qui a fini par trouver la faille. En octobre 1992, j'ai racheté dans des
conditions acceptables. Mais j'en prenais pour pas mal d'années." Des crédits
qu'il lui faudra renégocier, rallonger, pour entretenir, mettre aux normes, investir... "Ça,
je ne le savais pas encore. Au sortir du rachat, j'étais fatiguée mais pas lasse.
J'avais pris confiance en moi. Je me sentais différente. Mieux, d'une certaine
façon."
Maryvonne, libre et plus sereine, confiante, se remarie. Son compagnon, un peu plus
jeune qu'elle, souhaite des enfants. Elle accepte. Deux bambins agrandissent le cercle
familial. La dernière grossesse est difficile, Maryvonne est contrainte de prendre des
gérants. "Malgré ça, je ne suis pas allée au bout de ma grossesse. Thibaut
pesait seulement 1 kilo à la naissance. Il demandait énormément d'attention."
Quand elle replonge le nez dans les comptes, elle découvre avec stupéfaction que
l'affaire frôle le dépôt de bilan. "Il a suffi de quelques mois pour que les
chiffres chutent. J'ai dû me séparer des gérants et je me suis accrochée."
Une fois encore. Dans le même temps, son second mari se met à son compte. Et passe plus
d'heures accoudé au comptoir des troquets aux alentours qu'avec la clientèle.
"Il n'avait pas l'âme ouvrière", soupire-t-elle. Nouveau divorce. Plus
calme, certes, que le précédent.
En 1999, Maryvonne, arrivée au bout des crédits, au bout d'une aventure qu'elle
n'aurait jamais imaginée, seule avec 4 enfants à charge, décide de vendre et de quitter
la région parisienne. "J'adorais mon restaurant mais je n'en pouvais plus. Il
fallait que je referme le livre." En 12 ans, elle n'a pris que 2 fois 10 jours de
vacances.
2001, l'odyssée d'une vie meilleure. "J'avais enfin les moyens de donner la
priorité à mes enfants." Quentin, son aîné, alors âgé de 21 ans, poursuit
des études supérieures. Adeline, née en 1983, veut tenir un bar. "J'étais
surprise. Vous imaginez bien que j'ai essayé de l'en dissuader. Mais rien n'a fait. Elle
a intégré le CFA d'Alençon et préparé le CAP café-bar-brasserie." Kevin et
Thibaut, quant à eux, profitent de la campagne normande. Au printemps, le démon du
métier refait surface. Un emplacement, près de l'église, est vacant. La commune, qui
abrite un splendide château ouvert au public, se trouve sur la route de
Bagnoles-de-l'Orne. Il y a le passage des terminalistes, des touristes. Maryvonne
transforme le local en crêperie. "J'ai pris ma fille en stage",
lance-t-elle avec un léger dodelinement de la tête.
Sur la route
C'est un dimanche de septembre, vers 14 heures, qu'on a fait connaissance avec
Maryvonne. Besoin de se restaurer malgré l'horaire. "Vous servez encore ?",
demande-t-on timidement. "Bien sûr, sans problème", répond-elle avec
amabilité. Carte gourmande, et tout est encore disponible. Le cadre, coquet, sans
apprêt, tout de bois clair et baigné de lumière, respire la tranquillité. Maryvonne
s'affaire dans une cuisine en mouchoir de poche dont elle a elle-même dessiné les plans,
apprendrons-nous plus tard. Les produits sont frais, issus du terroir. Parce que nous
sommes seuls, on papote, on questionne. Maryvonne discute simplement, défend la
restauration et le cru. La montre tourne. Il faut rentrer au bercail.
Dans la voiture, sa prévenance, sa simplicité et quelques brides de son passé
trottent dans la tête. Lorsqu'elle se prête au jeu de l'interview, dans la quinzaine
suivante, elle est étonnée d'être sous les feux des projecteurs. A ses côtés,
Quentin. Il fait psycho et dépanne à la crêperie. Adeline, la fille, a réussi son CAP
café-bar-brasserie. "Elle a commencé au bar du Général Lafayette, à Paris,
dans le IXe. Elle a énormément de charisme, elle est à l'aise avec le public, elle
tient ça de son père", admet Maryvonne, une légère crainte dans le regard.
Froncement de sourcils chez Quentin, qui s'approche de sa mère et la prend par l'épaule.
L'interview se poursuit. <
Crêperie La Gourmandie
19, avenue du Maréchal Leclerc
61320 Carrouges
Tél. : 02 33 29 10 37 zzz18p
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L'Hôtellerie Restauration n° 2866 Magazine 1er avril 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE