de juin 2004 |
À LA UNE |
Franka Holtmann
Dans un climat d'incertitude économique et de concurrence sévère, Franka Holtmann a pris les rênes du dernier palace parisien français, l'Hôtel de Crillon, propriété de la Société du Louvre. En patronne qui imagine avant de réaliser, elle entend donner un second souffle à cette adresse mythique. Portrait de "quelqu'un de bien" qui va toujours au bout des choses.
Claire Cosson
Début
mai, un soleil radieux baigne la place de la Concorde, à Paris. Cadeau du sultan Mehemet
Ali à Charles X en 1831, l'Obélisque brille de tous ses hiéroglyphes. Sur la rive
gauche de la Seine, l'Assemblée nationale aligne ses splendides colonnes. Quelques
mètres plus loin se dressent fièrement les Chevaux de Marly. Puis apparaît la salle du
Jeu de Paume et, embrassant les lieux, le Louvre. Appuyée contre la fenêtre de l'un des
salons prestigieux de l'Hôtel de Crillon, Franka Holtmann, la quarantaine séduisante,
semble aspirée par le paysage qui s'offre à elle. Sur son visage, un sourire se dessine.
Et soudain, ses yeux bleus se troublent.
Femme qui d'ordinaire ne se plaît ni au jeu des fausses confidences ni à la
livraison impudique de son histoire, elle lâche, émue : "Chaque fois, c'est la
même chose ! Ce spectacle me donne la chair de poule... Rien qu'avec cela, j'ai de quoi
me battre et gagner." La remarque n'a rien d'agressif. Elle est juste un peu
directe, et surtout sincère. Deux traits caractéristiques de la personnalité de cette
Allemande francophile, aux tailleurs toujours impeccables. A la tête du dernier palace
parisien français depuis septembre 2003, Franka a parfaitement conscience de l'ampleur de
la tâche que lui ont confiée les actionnaires de la Société du Louvre, propriétaire
du prestigieux établissement.
"La meilleure chance qui pouvait
arriver au Crillon"
"Je vous assure qu'elle a longtemps hésité avant de
franchir le pas. Mais une fois son choix arrêté, il était déterminé",
confesse une amie, Martine Balouka, directeur général de l'activité tourisme du groupe
Pierre & Vacances. Conjoncture économique encore difficile pour l'hôtellerie de
luxe, concurrence acharnée avec, sur la capitale française, de grands noms tels le Four
Seasons George V, le Meurice, le Plaza Athénée ou bien encore le Bristol, salariés
parfois inquiets, emplacement certes idéal - mais aussi délicat suite aux événements
du 11 septembre 2001 à cause de la proximité de l'ambassade des Etats-Unis... -, il faut
reconnaître que "donner un second souffle" à cet hôtel, aussi réputé
soit-il, n'est pas à la portée du premier venu.
"Justement, Franka est loin d'être la première venue. C'est une
remarquable professionnelle. Une femme de défi capable de décrocher la lune, surtout
lorsqu'elle se sent soutenue", souligne Martine Balouka. Et Philippe Lebuf,
directeur général des Hôtels Concorde, à l'origine de son recrutement, de surenchérir
: "Elle affiche une rare détermination et une perspicacité peu ordinaire.
Ajoutons à cela une grande humilité, un sens aigu du détail et un profond respect du
client. Atouts essentiels dans nos métiers."
Des qualités plutôt flatteuses en effet. Qui n'en laissent pas moins lucide cette
amoureuse de l'art de vivre à la française. Du reste, quand Franka Holtmann parle, il
flotte invariablement sur son visage un petit air goguenard, comme si elle entendait
montrer qu'elle n'est dupe de rien, surtout pas d'elle-même. "Elle considère que
rien n'est jamais acquis. Les lauriers, s'ils pleuvent, ne l'empêchent pas de douter ni
de vouloir faire encore et toujours plus. Je dois avouer que Franka constitue la meilleure
chance qui pouvait arriver au Crillon", confie, fair-play, François Delahaye,
récemment nommé directeur des opérations du Dorchester Group.
Après avoir côtoyé cette quadra dynamique durant plus de trois ans en tant que
directeur adjoint au Plaza Athénée, l'actuel patron du palace de l'avenue Montaigne sait
bien ce qu'il a perdu en laissant son bras droit s'envoler vers d'autres cieux. Pas
seulement la première femme aux commandes d'un hôtel de prestige à Paris, bien sûr.
"Surtout quelqu'un de bien, quelqu'un de consensuel et aussi d'opiniâtre, qui
sans cesse se remet à l'ouvrage pour parvenir à ses fins. En témoigne sa ténacité,
s'agissant notamment de l'obtention de la certification ISO 9002 au Plaza Athénée",
précise-t-il. Quelqu'un de bien assurément, qui, hôtel après hôtel, a fait son nid
dans l'hôtellerie de luxe internationale et sur la place parisienne sans bruit ni fracas.
"Quelqu'un qui a en outre tout au long de sa carrière montré beaucoup de
sincérité et de modestie", surenchérit Jean-Pierre Soutric, directeur
commercial du Four Seasons George V. Il est vrai que, pareille à une petite souris qui
grignoterait avec conscience chaque morceau de gruyère tombé du ciel, Franka a su tout
d'abord déguster avec gourmandise les "seconds rôles", comme les
appellent certaines mauvaises langues.
Vous savez, ceux que l'on confie en général et très volontiers aux femmes.
C'est-à-dire des missions commerciales... Reste que, chemin faisant, notre protagoniste a
gravi les échelons avec brio dans le domaine. Directeur commercial à l'hôtel
Westminster, plus tard au Méridien Etoile, Franka prend la direction commerciale du Ritz
dès 1995.
Et là, les preuves de son talent se traduisent rapidement dans les chiffres.
"Grâce aux équipes dont je disposais et à la qualité du produit hôtelier, le
taux d'occupation a vite bondi. En moins de cinq ans, il est passé de 58 % à environ 75
% en 2000", raconte avec modestie Franka Holtmann. Une performance en vérité
probante, qui provient de ses compétences managériales ainsi que de sa parfaite
connaissance des attentes des clients et des différents marchés.
Et pour cause ! On ne sillonne pas la terre entière, comme l'a fait pendant de
longues années cette mère et épouse des plus attentionnées, "sans au final
appréhender et anticiper les besoins réels des consommateurs". Capacité parmi
tant d'autres, qui trouvera d'ailleurs son apogée lors de sa nomination, en 2000, au
poste de directeur adjoint du Plaza Athénée. "Avec François Delahaye, nous
avons effectivement mis en place des structures qui ont permis de décloisonner les
tâches de chacun, rapprochant opérationnels et commerciaux. De là est née une parfaite
synergie entre les différents départements. Et la synergie, c'est autant d'efficacité
gagnée en faveur du client", commente Franka.
Rajeunir et moderniser sans choquer
Voilà donc une méthode de travail à laquelle n'échapperont
évidemment pas les quelque 330 collaborateurs de l'Hôtel de Crillon. Pas plus qu'ils
n'échapperont au management participatif et à une formation approfondie en matière de
luxe (Luxury Attitude). La nécessité de l'association est de fait incontournable pour
Franka Holtmann. L'idée de "vaincre" peut certes la mobiliser corps et
âme. Cependant, comme elle le répète sans cesse : "Tout seul, on débute ; à
deux, on évolue."
Résultat : les équipes ont été d'emblée mises au parfum à son arrivée.
"Elle a clairement décrit la situation de l'établissement et la manière dont
elle souhaitait que nous agissions ensemble. Le tout accompagné d'objectifs précis",
indique Laurent Vanhoegaerden, directeur du Crillon. Et un autre membre du personnel de
préciser : "Madame Holtmann n'a pas cherché à donner des conseils. Elle nous a
demandé de communiquer avec elle et d'être fiers de notre produit. Ces quelques mots ont
été très motivants ! Tout comme son attitude générale, à travers laquelle on
perçoit une humanité certaine. Elle semble accorder de l'importance à chacun d'entre
nous. Du plus petit au plus grand..."
Vérification sur place : à première vue, la confiance semble bel et bien de
retour depuis quelques mois dans les coulisses du 10, place de la Concorde. D'autant plus
que le palace - que les mauvais esprits surnommaient "la belle endormie" -
s'est réveillé. Pas de révolution profonde en apparence. Excepté peut-être la
nomination de Jean-François Piège aux manettes du restaurant Les Ambassadeurs qui a
remis l'Hôtel de Crillon sur le devant de la scène parisienne. "Il faut rajeunir
et moderniser cet édifice exceptionnel sans choquer", explique convaincue
Franka. En attendant, la donne change sensiblement au Crillon. Avec en particulier la
création d'une véritable direction de la communication chargée de la refonte complète
de la charte graphique et de l'événementiel. Et puis, bien entendu, la mise sur pied
d'une solide équipe commerciale dont le but est de reconquérir certaines clientèles et
d'en séduire de nouvelles (Amérique du Sud notamment).
D'une superficie totale de 250 m2 dont 100 m2 de terrasse, la Suite
Berstein accueille les plus grands noms de la planète.
Le reste s'effectue tout en finesse. "Comme seules
les femmes savent le faire", remarque Philippe Lebuf. "Franka,
c'est le luxe discret et non ostentatoire. Le luxe à la fois respectueux
de la tradition et innovant", affirme Martine Balouka. Celle qui a choisi voilà
plus de vingt ans la France comme terre d'accueil agit en effet avec goût et prudence. Il
suffit d'observer les splendides bouquets de roses qui ont envahi l'hôtel ou bien encore
de jeter un coup d'il à la transformation des Ambassadeurs, au patio et, d'ici à
quelques semaines, au Jardin d'hiver, pour savoir que l'esprit du Crillon est enfin en
train d'évoluer avec son temps.
Et les choses devraient aller crescendo. Sachant que Franka s'est fixé des
objectifs très ambitieux. "Je table sur une augmentation de 18 % du chiffre
d'affaires global de l'établissement pour l'exercice 2004, soit 34 Me", indique
la nouvelle patronne. Cela signifie qu'il va falloir mettre les bouchées doubles. Autant
du côté de l'hébergement (hausse de 22 % des recettes programmée pour ce département
cette année) qu'en restauration. Mais à cur vaillant rien d'impossible !
D'autant que Franka bénéficie de la confiance de ses troupes. "C'est
l'étincelle qu'il nous fallait pour briller à nouveau", clame Laurent
Vanhoegaerden. Cerise sur le gâteau, l'état-major de La Société du Louvre est sur la
même longueur d'onde. A commencer par son dircteur général, Anne-Claire Taittinger, qui
n'hésite pas à déclarer : "Franka Holtmann a toute latitude pour agir et nous
bousculer. Elle met d'ailleurs tout en uvre pour que le Crillon redevienne ce pour
quoi il a toujours été fait : le numéro 1 de la place parisienne." < zzz18p
SES DATES REPÈRES
29 mars 1957
Naissance à Essen (Allemagne)
1976
Ecole hôtelière et Institut de Cambridgeà Munich
1980
Faculté de NiceEntre chez Méridien
1981 - 1985
Attachée commerciale chez Méridien
1985
Directeur commercial du Westminster
1987
Naissance de sa fille
1990
Directeur commercial de Jet Hotel
1991
Directeur commercial au Méridien Etoile
1995
Directeur commercial au Ritz
2000
Directeur adjoint au Plaza Athénée
Septembre 2003
Directeur généralde l'Hôtel de Crillon
QUELQUES CHIFFRES ET DATESSUR
L'HOTEL DE CRILLON
a Date de création : 1758
a Ouverture de
l'établissement : 1909
a La Société du
Louvre est propriétaire du site depuis 1907
a L'hôtel compte
147 chambres dont 44 suites et appartements
a La suite
Berstein dispose de 150 m2 habitables et de 100 m2 de terrasse
a Huit salons
dont trois classés avec vue sur la place de la Concorde
a Deux
restaurants, dont Les Ambassadeurs et L'Obélisque
a Le Bar Crillon,
conçu par le sculpteur César et décoré par Sonia Rykiel
a Le salon de
thé est installé dans le Jardin d'hiver
a Plus de
280 collaborateurs
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L'Hôtellerie Restauration n° 2876 Magazine 10 juin 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE