"Le pêcheur solitaire n'est plus vraiment seul. Le bruit des vagues de Noirmoutier, les odeurs de la criée de L'Herbaudière ont atteint tous les bords de la planète. L'écho d'une pêche miraculeuse s'est répandu urbi et orbi. Le vrai miracle, c'est qu'Alexandre Couillon n'a rien changé, n'a rien tenté réellement pour les attirer. Il est resté devant le port, à écouter les mouettes qui accompagnent le retour des bateaux. Alexandre, c'est l'anti-Lagardère : puisqu'il ne vient pas à toi, c'est à toi d'aller jusqu'à lui.
Cette indépendance, il l'a gagnée tout seul. Sans tour-operator d'État qui vous amène des wagons de journalistes invités de toutes nationalités, prêts à décréter qu'ils ont touché la Sainte Tunique et à voter dans un prochain classement mondial pour un restaurant qui sait si bien les recevoir. Non, pendant seize ans, après avoir repris cette maison qui lui tenait à coeur parce qu'elle fut celle de ses parents, Alexandre a écouté la mer.
Et les pêcheurs. Puis à lire des histoires de pêche, pour connaître la façon d'attraper le poisson, de le neutraliser vivant. Donc le Japon, et sa culture ancestrale. À partir de l'ikejime, cette technique qui consiste à bloquer le système nerveux, il a travaillé, parmi les poissons de l'Atlantique, sur ceux que cette pratique bonifie vraiment. Surtout les poissons plats, turbot, sole…. Il a réfléchi, tenté, peaufiné. Toutes les préparations, les cuissons, les présentations.
Et pendant que d'autres courent les congrès et les mondanités, il a aménagé un potager. Pour que les poissons et les coquillages se sentent mieux avec des légumes qui ont poussé pas trop loin de l'océan. Pour mieux les choisir aussi. Ce n'est pas qu'il se méfie des produits lointains, mais il préfère quand cela vient de chez lui. Il n'est pas locavore, il est jardinier. Nuance. La Marine, c'est un nom tout simple et modeste comme la maison elle-même. Quand Céline apparaît dans la salle, cette simplicité se transforme en chaleur naturelle et surtout sincère. Au point de donner l'envie à ses convives d'abandonner aussi les accessoires, les mines, les préjugés bobos, les émerveillements programmés. Le naturisme en version Marine, c'est se sentir aussi libre et aussi semblable que l'autre. Liberté, égalité, et un peu de fraternité, voilà ce qui se cultive aussi dans le potager d'Alexandre.
Il a appris la cuisine chez Paineau, a grandi chez Guérard où il fut le commis d'un certain Arnaud Donckèle qui dit de lui : "Alexandre, il m'épate vraiment. Chez Guérard, il était curieux de tout, on devinait une soif d'apprendre, de tout savoir. Quand je vois ce qu'il fait aujourd'hui, c'est extraordinaire." Extraordinaire n'est sans doute pas de son vocabulaire. Respectueuse, originale parce que tellement personnelle, sa cuisine est à son image : le pêcheur modeste ne s'extasie que devant les miracles de la nature, qu'il essaie de servir, et de restituer au mieux."
(Gault&Millau)