“Les profs nous avaient dit que ce ne serait pas facile.” Étudiante en licence professionnelle métiers des arts culinaires et des arts de la table (LP Macat), à l’université d’Angers (Maine-et-Loire), Orlane Colomina se souvient de son premier stage en classe de seconde, au lycée Jacques-Cœur à Bourges (Cher): “J’avais 15 ans. J’étais en cuisine dans un restaurant, en Savoie. Loin de chez moi. D’emblée, le second m’a dit qu’il ne voulait pas de filles aux fourneaux. Il a donc tout fait pour me dégoûter. Dès le deuxième jour, il m’a demandé de venir à 8 heures - alors que l’autre stagiaire, un garçon, n’arrivait qu’à 9 heures – et j’ai dû vider 3 kilos de poissons.”
Elle a ensuite été cantonnée à l’épluchage et la plonge pendant deux semaines : “Je me suis accrochée, parce que j’ai toujours aimé la cuisine. Mais je reconnais que, dès le premier soir, je voulais repartir… ” Des anecdotes de ce type, elle en a d’autres en stock, vécus au fil de ses stages et autres extras. Elle parle notamment d’un commis qui la fouettait “avec des torchons”. Elle a même refusé d’aller en cuisine dans un restaurant en Angleterre, où elle effectuait son stage de BTS, “à cause d’un second qui avait les mains baladeuses : c’est une autre stagiaire qui m’avait mise en garde.”
Des vestiaires mixtes
Gaëlle Blain, dans la même licence pro à Angers, évoque elle aussi l’un de ses stages : “J’avais 16 ans. J’étais en première à Notre-Dame du Roc, à La Roche-sur-Yon [Vendée, NDLR]. J’étais dans un restaurant où l’une des salariées en cuisine était victime d’attouchements, de harcèlement… Je la retrouvais en pleurs dans les vestiaires.” Les vestiaires justement, peu de jeunes filles les utilisent. Et pour cause : “Dans la plupart des cas, on les partage avec les hommes”, constate Orlane Colomina. En particulier dans les petites structures, faute de place. Alors, où se changent-elles ? “Dans les toilettes ou dans la bagagerie”, pour Gaëlle Blain. “J’arrivais déjà habillée pour travailler”, confie pour sa part Orlane Colomina. Les deux étudiantes sont unanimes : “Il faut raconter tout ça aux élèves des lycées hôteliers. Il faut les prévenir.”
Reste que toutes les jeunes filles n’osent pas rompre le silence. À l’instar de cette étudiante, récemment diplômée, prête à entrer sur le marché du travail et qui a souhaité garder l’anonymat : “Si je témoigne à visage découvert, je risque d’être grillée, cataloguée. Personne ne voudra plus m’embaucher. Parce que l’univers de la restauration, c’est tout petit. Tout le monde se connaît.”
“J’étais jeune et surtout j’étais une fille”
Elle en a gros sur le cœur avec cette alternance dans la brigade d’une maison étoilée, qu’elle a dû abandonner en cours de route, “tellement ça se passait mal” : “Personne ne m’adressait la parole, sauf pour me donner des ordres ou me réprimander. Je ne faisais jamais assez bien…” Quand on lui demande comment elle explique cela, sa réponse est immédiate : “J’étais jeune et surtout j’étais une fille. ”
Depuis, elle a décroché un master, “pour accéder plus facilement à des postes de management”. Quant à Orlane Colomina et Gaëlle Blain, elles font partie d’un groupe d’étudiantes de l’université d’Angers à l’origine d’une cagnotte sur Leetchi, destinée à récolter des fonds. Ces derniers se destinent à l'association Les Roses de l'Espoir, qui vient en aide aux femmes victimes de violences.
femmes en cuisine violence apprenti #temoignages#
Publié par Anne EVEILLARD