“L’hôtel des Gens de mer est un grand navire amarré en plein centre-ville du Havre. D’ailleurs, on appelle les chambres des cabines. Les fenêtres ressemblent à des hublots. Il y a des encres rouges imprimées sur la moquette. L’ambiance années 1970 est très kitsch”, s’amuse son directeur Laurent Lozano. L’établissement fut créé en 1946 pour loger les marins en escale. “Au premier étage résident une vingtaine de mineurs non accompagnés [MNA]. Des migrants qui viennent du Mali, de Guinée, du Maroc… Ils nous sont adressés par le département qui règle la note. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine en chambre individuelle. Avant le confinement, ils étaient le double. Leur passage est transitoire le temps d’obtenir un logement ou de devenir majeur. C’est notre choix de les accueillir. Mon employeur et moi-même sommes attachés à la mixité sociale même si elle impose, dans une entreprise hôtelière, des aménagements voire des renoncements.”
Laurent Lozano a dû séparer les différents publics : “Au deuxième étage, à part, on loge les marins en escale. Ils sont plus rares de nos jours. Les armateurs veulent de moins en moins dépenser de l’argent pour de simples marins. Certains restent sur des canapés pour ne pas occuper de chambre. Le troisième étage est réservé aux touristes qui visitent la Normandie. À 50 € la chambre, c’est avantageux.”
“Certains réagissent mal lorsqu’ils croisent nos autres occupants. Des clients annulent parfois lorsqu’ils découvrent des commentaires excessifs déposé sur internet qui nous présente comme un foyer de migrants. Lors des réservations, je n’ai pas à spécifier que nous logeons trois marins philippins ou quatre mineurs africains. Ce n’est pas toujours simple d’avoir un engagement solidaire alors qu’au quotidien, nos locataires ne posent pas de problème. Ils respectent les règles, ne font pas sécher leurs chaussettes aux fenêtres”, s’emballe le directeur qui manage une équipe d’une dizaine de collaborateurs fidèles : “Une femme de chambre vient de prendre sa retraite après quarante-quatre ans dans l’entreprise. Les autres sont là depuis plus de dix ans !”
Exigence de rentabilité
Héberger une clientèle sociale n’est pas dénué d’avantages commerciaux pour une entreprise soumise à une exigence de rentabilité. “Pendant le confinement, nous étions ouverts. Certes les touristes n’étaient pas là, les ouvriers en déplacement non plus mais notre activité était plus soutenue que les autres hôtels du Havre avec nos mineurs et des marins restés bloqués chez nous. Nous étions candidats pour accueillir aussi des malades en quarantaine mais nous n’en avons reçu aucun. Les autorités préféraient des agencements en motel avec des chambres en accès direct par l’extérieur”, explique Laurent Lozano avec son accent chantant de Carcassonne.
Marié à une Dominicaine, le quinquagénaire a dirigé des hôtels en République dominicaine, à Haïti, Saint-Martin et en Alsace avant de rejoindre, début 2019, cet établissement singulier. “Avant mon arrivée, le lieu recevait traditionnellement des publics dont les autres hôtels ne voulaient pas. J’ai poursuivi ce projet social. Je suis un voyageur. Mon couple est mixte. Ouvrir ses portes à tous est une valeur de base pour moi même si je ne suis pas un philanthrope. L’hôtel doit être profitable !”, souligne-t-il.
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Publié par Francois PONT