Des appellations et des ingrédients oubliés, des tournures bourgeoises que l'on considèrerait presque comme littéraires, certains chefs renouent avec la tradition. En novembre 2008, le chef Guillaume Delage ouvre son bistrot Jadis (Paris, XVe) en prenant un malin plaisir à travailler des recettes que l'on croyait disparues. Quatre ans après, le chef continue de saupoudrer sa carte de noms anciens, Œuf mollet à la florentine, Gâteau de foies blonds, Vol-au-vent... ou de remettre en lumière des ingrédients tels que la crête de coq ou le sot-l'y-laisse, pour "recréer le dialogue en salle et raconter des histoires", explique-t-il. De son côté, Daniel Rose suit à la lettre les recettes de veau Orloff ou de la sauce paloise du guide d'Escoffier dans son restaurant Spring (Paris, IXe). Selon lui, "les recettes de cuisine classique bien faites paraissent modernes". Dans sa nouvelle adresse, Dodin (Paris, XVIIe), après avoir officié à la Cave gourmande (Paris, XIXe), Mark Singer explore la tradition française et se réjouit d'apercevoir chez ses clients "l'imagination qui commence à courir" à l'annonce des plats. Avec, par exemple, la Tête de veau en tortue (cuisson dans un bouillon à base d'herbes qu'on nommait jadis 'herbes à tortue') qu'il a proposé à l'ouverture, ou le Lièvre à la royale qu'il ne manque pas de préparer dès la saison démarrée. Il y a aussi ces adresses comme Ribouldingue (Paris, Ve) ou Chez Grenouille (Paris, IXe) qui remettent de nombreux abats à l'honneur et s'en font même une spécialité.
L'Auberge du 15 : une plongée dans le passé
Pas-de-porte fleuri et rideaux rayés jaune et blanc que l'on aperçoit de l'extérieur, L'Auberge du 15 (Paris, XIIIe) est un joli aller simple pour la Province. Lambris chaleureux, larges fauteuils et accueil aux petits soins accentuent encore plus l'effet auberge. Le chef de ce restaurant ouvert en avril 2011, Nicolas Castelet, 30 ans, a conçu ce lieu dans la lignée d'adresses étoilées des années 1960 : "Semi-historique, intemporel, où mon grand-père, son guide Michelin sous le bras, se serait arrêté." À la carte, les entrées portent le nom de hors-d'oeuvre, les plats sont choisis parmi les plus grosses pièces de la cuisine française - Cochon de lait rôti sur l'os, Côte de boeuf laquée, beurre de ciboulette, Carré de veau rôti aux aromates façon Marango aux écrevisses... -, à partager idéalement à quatre dans l'esprit des rôtis entiers et des tables familiales.
"Avec le service à la russe, la découpe et le côté théâtral mené par le maître d'hôtel, la salle retrouve ses lettres de noblesse", selon le chef. À table, la crème de crustacés est versée dans l'assiette, de même que le plateau garni des suprêmes de pintade traverse la salle entre les mains du maître d'hôtel, qui dressera la pièce devant le client. "On opère un retour aux vieilles appellations, aux sauces, aux crèmes et fumets, aux vieux desserts." Une question se pose tout de même : est-on pour autant dans des recettes préparées à l'identique de celles des origines ? Qu'est-ce qui fait la différence entre les plats servis dans les restaurants aujourd'hui et ceux préparés au siècle dernier ? Pour Nicolas Castelet : "On feuillette Escoffier, mais il faut d'abord traduire les recettes qui ne sont pas toujours compréhensibles. Ensuite, on allège, on adapte, notamment les coûts : 4 kilos d'écrevisse par personne dans une recette, aujourd'hui, ce n'est pas possible."
Riche et ronflante cette cuisine ? Nicolas Castelet assume cet aspect de sa cuisine, mais elle ne résume pas à cela. La générosité des goûts, des assiettes, c'est ce qui fait le succès, comme ces desserts à partager (entre le Soufflé Grand Marnier et la Dame banche, la Charlotte aux framboises en grand format est devenue un incontournable de l'Auberge du 15), outre le cérémonial et le service qui contribuent également à passer un très bon moment.
Publié par Caroline MIGNOT