La donne a changé : l’enseignement a évolué – train de réformes oblige - et les attentes des élèves aussi. À cela s’ajoutent l’ère du tout digital et des chefs cuisiniers ‘vus à la télé’ qui font rêver les jeunes pousses. Côté enseignants, il faut s’adapter. Rien que pour expliquer une recette, il faut oublier les réflexes d’hier. “Avant, on présentait une recette dans la cuisine du lycée. Aujourd’hui, les jeunes l’apprennent toujours en cours, mais ils découvrent ensuite, sur les réseaux, une multitude d’autres façons d’exécuter cette même recette”, observe Loïc Bellabarba, directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques (DDF) au sein du lycée hôtelier Château des Coudraies, à Étiolles (Essonne). Dans un tel contexte, pas simple de faire apprendre une recette par cœur, comme autrefois. “On donne plutôt les clés pour accéder à la bonne information en instantané”, reprend l’enseignant. Fini aussi les recettes où certains chefs prenaient soin de ne pas donner tous leurs secrets de préparation. À l’heure de TikTok et Instagram, “il faut tout montrer”, affirme Loïc Bellabarba. Quant aux chefs qui font référence, “lorsqu’il y en a une dizaine à citer, plus de la moitié sont issus des castings d’émissions de télé”, ajoute-t-il. Même constat de la part d’Arnaud Dubois : “Les jeunes ont une vision de la cuisine par rapport à ce qu’ils voient sur le petit écran. Or ce n’est pas la réalité”, explique le proviseur du lycée Auguste Escoffier à Éragny (Val-d’Oise). Alors comment intéresser les élèves aux réalités des métiers de l’hospitalité ? En sortant des sentiers battus.
“Pour un exposé, c’est Google et le copié-collé…”
Les cours théoriques n’ont plus la cote. Pour maintenir l’attention des jeunes, il faut du concret. Gilles Raguin, professeur d’anglais au lycée hôtelier Notre-Dame, à Saint-Méen-le-Grand (Ille-et-Vilaine), mise sur un enseignement pratique de la langue. “Je leur apprends l’anglais du tourisme et de la restauration, à partir d’exercices tel que ‘conseiller un client sur un vin’. Résultat : ils font de la grammaire sans s’en rendre compte.” Quant à Franck Vilboux, responsable du CDI du même établissement breton, il fait jouer les élèves au jeu du ‘T’es qui toi ?’. Le principe : il montre une photo de chef ou de sommelier et il s’agit de chercher de qui il s’agit, avec, à la clé, un livre de cuisine à gagner. Mais les jeunes lisent-ils encore des ouvrages papier ? “Bien moins qu’avant, reconnaît le documentaliste. Surtout si ce sont des livres sans images. Les livres qui les attirent, ce sont les méthodes pas à pas du chef Alain Ducasse ou les ouvrages grand public des éditions Marabout. Mais quand il s’agit de rédiger un exposé, c’est Google et le copié-collé…” Franck Vilboux prône “un enseignement vivant”, mais il dit se heurter aux inspecteurs de l’Éducation nationale, “qui poussent à l’utilisation de l’ordinateur”. Conscient de cette réalité, Loïc Bellabarba ajuste ses méthodes, lui aussi. Il parie sur le partage : “Lorsque je donne les clés de ma cuisine aux élèves et que je leur dis ‘éclatez-vous !’, ils sont inventifs, créatifs, l’échange se fait dans les deux sens. Ils découvrent et j’apprends beaucoup d’eux. Même scénario quand je leur demande d’apporter une recette de leur grand-mère : c’est l’occasion de parler laïcité, identité culinaire d’une famille… Cela fédère et ouvre chacun vers d’autres cultures.”
“Je ne suis pas dans la sanction, mais dans l’accompagnement”
“Aujourd’hui, avec les élèves, il faut aller à l’essentiel”, explique Véronique Lemasson. Formatrice en hôtellerie-restauration au lycée hôtelier de Grenoble (Isère), elle fonctionne “en mode projet”. Autrement dit : “Une théorie doit être adaptée à une situation concrète : c’est bon pour la motivation et la dynamique d’une classe.” L’enseignante sollicite, en outre, des intervenants extérieurs, organise des sorties, suscite la créativité des jeunes… “Je ne suis pas dans la sanction, mais dans l’accompagnement.” Accompagner pour faire progresser “une génération en quête de sens et de qualité de vie”, complète Arnaud Dubois. “Le Covid leur a fait prendre conscience que métro-boulot-dodo, ce n’est pas la panacée”, souligne le proviseur francilien. Parallèlement, il fait état d’une appétence des jeunes pour le locavore, le durable, l’inclusion… Des thèmes qui fédèrent autant que Top chef, mais moins que les concours plus académiques. L’esprit de compétition semble se perdre au profit de l’implication dans une réalité qui touche les apprenants. À l’instar des travaux pratiques de service en hébergement que Véronique Lemasson a organisé dans une maison de parents d’enfants hospitalisés. “L’humain et l’émotion fidélisent les jeunes”, conclut celle qui instaure, en classe, la règle des ‘3 C’ : “Le cerveau, le courage et le cœur.”
Publié par Anne EVEILLARD