En 2011, peu après l'inscription du repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l'humanité, l'Institut Paul Bocuse publiait un superbe ouvrage aux éditions Flammarion, L'art de recevoir à la française : savoir-faire en cuisine et techniques de service inculqués aux étudiants y sont traités sur un pied d'égalité. Le premier est un art visible, le second est "un chef d'oeuvre éphémère", explique le directeur général de l'établissement d'Écully (69), Hervé Fleury. "S'il ne saurait y avoir de bonne cuisine sans de bons produits, on perd souvent le plaisir en ignorant les rites et les symboles de la table." Au fil des pages, on découvre un éventail de codes et de règles liés aux métiers de la salle : place et langage des couverts, rituel du service, placement des convives, choix du décor…
"Le service, c'est mon cheval de bataille", poursuit l'ancien directeur général du marketing en charge de la restauration chez Accor, qui, depuis quinze ans à la tête du château du Vivier, s'attache à faire valoir la filière auprès des 460 étudiants. Dans les deux cursus dispensés, arts culinaires et management de la restauration ou management international de l'hôtellerie et de la restauration, ils doivent 'toucher à tout' pour devenir de bons entrepreneurs : cuisine, salle, management, hébergement. Et ce ne sont pas les outils pédagogiques qui manquent. Au restaurant d'application Food & Beverage, "le premier apprentissage consiste à bien savoir dresser et décorer une table. Le maître d'hôtel du jour utilise le cordon pour aligner les assiettes, verres et couverts". La particularité : les étudiants servent leurs camarades, puis se retrouvent tous en fin de service pour un débriefing qui permet d'identifier les erreurs des uns et des autres ou bien de faire sa propre critique.
Improviser pour pallier l'inattendu
S'ajoutent les espaces Avant Scène - où on apprend à concevoir un restaurant : décoration, ambiance, tenue… tout est réfléchi - ; et En Scène - " un comédien travaille la diction, fait parler et marcher les jeunes. En salle, on est en scène et donc acteur, souligne Hervé Fleury. Le client doit passer un bon moment." Enfin, c'est au second restaurant Saisons, ouvert lui au public, que l'on pratique les techniques (découpe, flambage) au guéridon. Le corps professoral pousse les jeunes à improviser pour pallier à une situation inattendue en salle.
En 2014, l'Institut s'axe plus que jamais sur son centre de recherche avec sa salle de restaurant entièrement modulable. Certains paramètres y sont particulièrement soignés : température, ambiance sonore et visuelle, aménagement intérieur, décor. "On considère trop souvent que le service a un rôle essentiel seulement en restaurant gastronomique. Or, c'est faux. Dans d'autres contextes - brasseries, hôpitaux, résidences pour personnes âgées…-, il est l'élément fondamental de la réussite d'un repas. Ce restaurant est équipé de caméras et de microphones sur table qui enregistrent les comportements dans de multiples situations." Les groupes Orpea et Belambra ont déjà fait appel au centre pour améliorer leur qualité de service.
Gestuelle, sourire, personnalité
Toujours en quête d'excellence, et dans la perspective de faire évoluer le métier, l'Institut se penche depuis bientôt deux ans, avec le concours de Frédéric Loeb, à l'origine du World Cuisine Summit au Sirha, sur un projet de plus grande envergure. "En 2015, nous allons ouvrir le premier laboratoire du service, dévoile en avant-première Hervé Fleury. Situé à 450 mètres du campus, l'espace de 250 m2, ouvert aux étudiants et aux personnes extérieures, sera dédié à la recherche. Qu'est-ce qui caractérise la notion de service ? Ses grands principes, ses fondamentaux ? Quelles sont les tendances à travers le monde ? Quelles sont les attentes clients ?" Dans une démarche d'observation, le service sera décrypté dans tout type de secteur (et pas seulement la restauration), afin de donner des pistes et de faire avancer les entreprises. "C'est le point de départ d'une nouvelle décennie pour l'Institut Paul Bocuse", assure Hervé Fleury ;
L'excellence, un mot définit à lui seul l'objectif de l'établissement, qui inculque notamment quatre valeurs (éthique, générosité, respect et exigence) aux étudiants de 37 nationalités différentes. "Être au service ou faire le service est différent. On ne doit pas se limiter à la technique mais apporter aussi ce que nous sommes : sa gestuelle, son sourire et surtout sa personnalité. C'est ce qui fait qu'une personne se démarque. Et c'est beau de servir l'autre quand on anticipe ses besoins", conclut Hervé Fleury.
Publié par Hélène BINET