► Existe-t-il des exceptions à cette obligation ?
Il y a trois exceptions à cette obligation :
- si le bailleur peut justifier d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire (retard ou défaut de paiement des loyers, travaux importants non autorisés par le bailleur…) ;
- si l'immeuble est déclaré insalubre par l'autorité administrative et doit être totalement ou partiellement démoli ;
- s'il est établi que l'immeuble ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.
► Doit-on quitter les locaux si l'indemnité n'a pas été versée ?
Deux hypothèses sont à distinguer (en dehors des trois exceptions ci-dessus) :
- le bailleur offre une indemnité d'éviction ;
- le bailleur n'offre pas d'indemnité d'éviction.
Dans les deux cas, le locataire a le droit légal de se maintenir dans les lieux et de n'en partir qu'après versement de cette indemnité par le bailleur. Cependant, le locataire peut, s'il le souhaite, quitter les lieux à la date d'effet du congé et obtenir l'indemnité par la suite. Cependant, cette méthode est dangereuse car il pourrait avoir du mal à récupérer le versement de son indemnité d'éviction.
► Le montant
Dans les deux cas, l'indemnité d'éviction est consensuelle ou fixée par le tribunal après avis d'expert le cas échéant, (le tribunal étant saisi par la partie la plus diligente).
• Comment et quand est fixé le montant ?
L'indemnité d'éviction est calculée en fonction des résultats financiers du locataire, de son activité ou encore de son emplacement. Elle est évaluée au jour du départ effectif du locataire ou à la date de la décision du juge, si le locataire s'y trouve encore. Il existe deux types d'indemnité d'éviction : l'indemnité de remplacement et l'indemnité de déplacement-transfert. Il s'agit de l'une ou de l'autre mais en tout état de cause, les deux ne sont pas versées ensemble.
• L'indemnité de remplacement
L'indemnité de remplacement compense le préjudice lié à la perte du fonds de commerce. Elle est égale à sa valeur fixée suivant les usages de la profession et permet au locataire d'acquérir un fonds nouveau de valeur identique. Pour évaluer la valeur du fonds de commerce, les juges choisissent la méthode qui leur semble la plus adaptée. Par exemple :
• Méthode du chiffre d'affaires moyen : chiffre d'affaires moyen HT des trois derniers exercices auquel on applique un coefficient*
Exemple : un propriétaire d'hôtel 1 étoile dans le IVe arrondissement de Paris a obtenu une indemnité d'éviction égale à 3,5 fois le chiffre d'affaires moyen HT des trois derniers exercices, soit la somme de 1 459 535 € (3,5 × 417 010 = 1 459 535), compte tenu de l'excellence de l'emplacement et des possibilités de rénovation de l'hôtel.
• Méthode du pourcentage du chiffre d'affaires
Exemple : un propriétaire de sandwicherie et restauration rapide à emporter dans le IXe arrondissement de Paris a obtenu une indemnité égale à 110 % du chiffre d'affaires, soit la somme de 620 000 €, en raison de la commercialité du quartier qui a évolué à la baisse.
• Méthode de l'excédent brut d'exploitation : exemple de calcul de l'indemnité d'éviction selon cette méthode. Chiffre d'affaires de l'année précédente multiplié par deux auquel on retire l'excédent brut d'exploitation en tenant compte du loyer du bail que le locataire aurait dû acquitter en cas de renouvellement. On appliquera un coefficient à ce résultat.
Note : l'excédent brut d'exploitation est le solde du compte d'exploitation au bilan (résultat d'exploitation auquel on retranche les dotations aux amortissements sur immobilisation).
Exemple : un propriétaire d'un bar-brasserie proche d'une gare parisienne a obtenu une indemnité d'éviction égale à 4 fois le chiffre d'affaires calculé suivant la méthode expliquée, soit la somme de 330 060 € (4 × 82 665 = 330 660), en raison de la très forte rentabilité du fonds.
• Méthode du différentiel de loyer : différentiel entre le loyer en cours et celui qui serait applicable en cas de signature d'un nouveau bail pour un nouvel occupant des mêmes locaux. On appliquera un coefficient* à cette différence.
Exemple : un restaurant proche du quartier de la Bastille a obtenu une indemnité d'éviction égale à 6 fois la différence entre les deux loyers (loyer d'un nouveau bail au prix du marché à 35 040 € - loyer en cours à 9 717, 08 € = 25 322, 92) soit la somme de 151 937, 52 € (6 × 25 322, 92 = 151 937, 52), en raison de la position favorable de l'activité.
* Pour l'application du coefficient multiplicateur, les juges décident souverainement, l'évaluation peut passer du simple au quadruple.
► L'indemnité de déplacement
Lorsque la clientèle est liée à la personne du professionnel qui peut se réinstaller à côté sans la perdre ou en la perdant partiellement, il lui sera versé une indemnité de déplacement uniquement. Son montant est bien moindre que l'indemnité de remplacement.
L'indemnité de déplacement-transfert est composée des frais de transfert et d'installation du locataire dans les nouveaux locaux, de la valeur du droit au bail de l'ancien local et éventuellement du coût d'un nouveau pas-de-porte.
Pour évaluer ces éléments, la pratique courante est la méthode du différentiel de loyer.
• Différentiel entre le loyer en cours et celui qui serait applicable en cas de signature d'un nouveau bail dans les mêmes locaux pour un nouvel occupant. On appliquera un coefficient* à cette différence.
Exemple : une propriétaire d'un fonds de restauration rapide et de sandwicherie dans le Ve arrondissement de Paris a obtenu une indemnité d'éviction égale à 5,5 fois la différence entre les deux loyers (loyer d'un nouveau bail au prix du marché à 15 400 € - loyer en cours à 11 550 € = 3 850 €) soit la somme de 21 175 € (5,5 × 3 850 = 21 175).
Le locataire évincé doit, dans son intérêt, être assisté par un avocat spécialisé en CHRD car l'évaluation de l'indemnité est pointue. Le secteur de l'hôtellerie-restauration bénéficie de règles particulières de calcul de l'indemnité d'éviction (multiple de la recette journalière pour les cafés pour tenir compte de la réalité de l'activité, pourcentage du chiffre d'affaires pour les restaurants et les hôtels…).
► Quelles peuvent être les indemnités accessoires ?
Des indemnités accessoires particulières viennent s'ajouter à l'indemnité de remplacement ou de déplacement-transfert comme par exemple : des frais de déménagement et de réinstallation (si il s'agit d'une indemnité de déplacement-transfert), des frais et droits de mutation (notaire) liés à l'achat du nouveau fonds, des indemnités de licenciement dues aux salariés si l'éviction entraîne leur licenciement, une indemnité pour perte de logement quand le bail comporte des locaux d'habitation accessoires au restaurant ou à l'hôtel, des frais liés au paiement d'indemnités de résiliation de contrats, une compensation du préjudice lié à la perte d'activités accessoires (par exemple la vente de tabac dans un débit de boissons), des frais de remploi (commissions d'agence immobilière pour trouver un nouveau local), une indemnité de trouble commercial (perte d'image, détournement de la clientèle, stratégie commerciale troublée…).
► Le bailleur peut-il se rétracter de sa décision de faire partir le locataire ?
Une fois le montant de l'indemnité fixé, le bailleur dispose encore de la faculté de se rétracter et de proposer le renouvellement du bail.
Ainsi, le locataire du bail commercial qui reste dans les lieux le temps de la procédure n'est jamais certain, jusqu'à un délai de quinze jours postérieurs au jugement, de bénéficier du versement de l'indemnité, le bailleur pouvant finalement choisir de renouveler le bail, notamment après avoir eu connaissance du montant. Le locataire pourra alors continuer l'exploitation de son fonds de commerce.
Néanmoins, le bailleur ne peut profiter de cette faculté de repentir si le locataire a quitté les lieux ou s'il l'a avisé qu'il avait loué ou acheté un local destiné à sa réinstallation. Dans ce cas, l'indemnité d'éviction sera versée.
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Publié par Sophie Petroussenko
samedi 7 avril 2018