Michael Ellis : "Les chefs ont compris qu'ils ne sont pas menottés par la tradition"

Le 2 février dernier, Michelin dévoilait le millésime 2015 qui entérinait une partie des mouvements du 'mercato' des chefs et sacrait deux maisons aux antipodes l'une de l'autre mais à l'image de la richesse de la gastronomie française. Rencontre avec le directeur international des guides Michelin.

Publié le 05 mai 2015 à 16:45

L'Hôtellerie Restauration : Que faut-il retenir de la sélection 2015 ?

Michael Ellis : La sélection 2015 montre le très grand dynamisme des régions. On trouve des étoilés partout, et pas que dans les grandes villes. La Bouitte en est l'illustration. Implanté à Saint-Martin-de-Belleville en Savoie, 2 400 habitants, le restaurant de la famille Meilleur est une belle histoire, une cuisine authentique, élégante, sophistiquée mais ancrée dans le terroir.

Deuxième constat, il y a des chefs à l'imagination impressionnante qui ont envie de casser les codes traditionnels de la cuisine française. Ils cherchent de nouveaux concepts, de nouveaux produits, de nouveaux assaisonnements… Par exemple, Alain Ducasse a retrouvé rapidement 2 étoiles au Plaza Athénée où il a créé une cuisine basée sur les légumes, les céréales et le poisson issu du développement durable. Il y a une vraie signature dans ce nouveau concept. De son côté, Yannick Alléno travaille depuis quelque temps sur les extractions, les jus, les concentrations… Cela donne une cuisine goûteuse, savoureuse et mémorable. Cette envie de faire évoluer les codes de la cuisine française en est à ses débuts. Les chefs ont compris qu'ils ne sont pas menottés par la tradition. Ils veulent sortir des sentiers battus et mettre de la nouveauté dans l'assiette.

Troisième constat, c'est le dynamisme dans les cuisines. Il y a beaucoup de restaurants et d'hôtels qui cherchent à constituer les meilleures équipes. Un restaurant, c'est une équipe menée par un chef d'orchestre. C'est à lui de créer l'harmonie entre les hommes, les produits et le travail. Je crois que les cuisines en France n'ont jamais été aussi bonnes. Chaque année, on voit des chefs chevronnés qui réinventent leur cuisine. 
 

Comment se porte le guide ?

On ne peut plus juger l'influence du guide par ses ventes papier. Aujourd'hui, ce qui est intéressant, c'est la cohabitation du papier et du numérique. Cela dit, les ventes du guide en 2014 [150 000 exemplaires, NDLR] étaient supérieures à celles de 2013. Le renforcement de notre présence dans le numérique, que ce soit dans les voitures grâce aux systèmes de navigation embarqués (GPS), sur les tablettes, les smartphones… fait que le guide n'a jamais été autant accessible aux consommateurs. Nous avons comptabilisé en 2014 plus de 22 millions de visites sur notre site Michelin Restaurants et une progression du trafic de 23 % par rapport à 2013. Notre site référence 27 252 restaurants, dont les 4 377 de la sélection du guide France. Ce tandem guide papier et distribution numérique est de plus en plus fort et visible.
 

Vous recevez les professionnels au siège de Michelin. À quoi servent ces rendez-vous ?

Depuis longtemps maintenant, j'ai instauré une politique de transparence, de partage et de dialogue avec les professionnels. Les chefs peuvent demander comment se sont passées les dernières visites des inspecteurs dans leur établissement. On ne donne pas de conseils, on livre un constat en leur donnant des indications sur les expériences de tables. Nous pouvons aussi leur dire s'ils sont sur une pente ascendante ou s'il y a un élément qui pose problème. Nous n'appelons pas pour dire qu'une étoile est enlevée. En revanche, lors des visites, nous disons les choses. Nous sommes conscients que le contexte économique est compliqué et que perdre une étoile peut avoir un effet négatif sur la fréquentation d'un restaurant, mais lorsque [nos inspecteurs ne sont pas convaincus], même si cela ne nous fait pas plaisir, nous devons nous en tenir à la décision collégiale. L'objectif premier d'un chef doit être de remplir son restaurant avec une clientèle fidèle et heureuse et faire en sorte que l'affaire soit florissante et rentable. S'il le fait avec brio, nous le découvrirons. 
 

Quand sortira le prochain guide ?

Fin janvier ou début février 2016. Il ne faut pas se leurrer. Il est très compliqué d'intégrer les changements ou les ouvertures de la fin septembre dans le nouveau guide pour la simple raison que notre décision repose sur plusieurs essais de table. Nous voulons que la décision soit unanime et si ce n'est pas le cas, nous préférons attendre. Cependant, chaque cas est particulier et beaucoup de variables entrent en ligne de compte.


Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine



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