"Ne vous fiez pas aux apparences ! Derrière la sage façade de ce restaurant, le cadre est pop, pétillant et contemporain... à l'instar de la cuisine. Ici, le chef, talentueux et créatif, compose des assiettes subtiles, abouties et raffinées, magnifiant des produits de la mer déjà au top." Voici le commentaire des inspecteurs dans le guide Michelin 2013 qui octroie à La Marine une deuxième étoile à laquelle Alexandre Couillon a encore du mal à croire. Prévenu par téléphone par Michael Ellis, directeur des guides Michelin, le chef était tellement abasourdi qu'il a demandé avant de raccrocher s'il était possible d'avoir un courrier pour confirmer sa promotion. Un souvenir qui le fait sourire aujourd'hui.
Cette consécration récompense une cuisine, mais aussi un couple. La Marine, c'est l'histoire d'Alexandre et Céline. Ils se rencontrent à 16 ans au lycée hôtelier Les Sorbets à Noirmoutier. Ils commencent leur vie professionnelle chacun de leur côté et, à 22 ans, en 48 heures, ils décident d'accepter la proposition des parents d'Alexandre de reprendre en gérance pour sept ans leur restaurant. Les voilà patrons sans s'y être préparés auparavant, mais avec du courage et de la pugnacité. Parce qu'il en faut pour reprendre en duo une affaire jusqu'ici saisonnière et essayer de la faire vivre tout au long de l'année. Car on ne passe pas par hasard sur le port de l'Herbaudière. Les premières années sont très dures. En 2002, La Marine entre dans le Michelin avec un Bib Gourmand. En 2007, c'est la première étoile. "Les chaises en paille, les nappes à carreaux, les assiettes et couverts basiques… Nous ne pouvions pas faire mieux et on nous disait que cela nous empêcherait d'avoir une étoile", se souvient Alexandre.
Dès 2008, le couple passe à la vitesse supérieure et décide de devenir propriétaire de cette maison et de celle qui est mitoyenne. Cela leur permet d'installer la table étoilée dans un lieu entièrement conçu selon leurs désirs par un architecte et de conserver la première maison, transformée en brasserie, baptisée La Table d'Élise.
Liberté et audace
Côté restaurant gastronomique, le nombre de couverts est divisé par deux ce qui permet au cuisinier de peaufiner ses plats. Six ans plus tard, c'est la deuxième étoile. Et pour Alexandre, la surprise est encore au rendez-vous. "J'admire tellement de chefs. Je vais assister aux grands rendez-vous comme les festivals Omnivore, à Paris, ou Gastronomika, à San Sebastian. Je dévore les livres et je surfe beaucoup sur internet pour être au courant de ce qui se passe dans le secteur. Je n'arrive pas à croire que je fais partie des chefs étoilés comme ceux dont je suis avec admiration depuis des années." Un sentiment qu'il explique par le fait qu'il fut très tôt à son compte et que son C.V. ne compte pas pléthore de grandes maisons. Or, il s'entend répondre le plus souvent que cela lui a donné une liberté et une audace dans la création qui le mèneront sans doute encore plus loin.
L'Huître au bouillon de lard et encornet ; la Coquille Saint-Jacques, céleri, poire et anguille sauvage fumée ; le Cabillaud & petits pois, ail et groseille ; les Asperges vertes à la braise, cacahuète et herbes des dunes… Alexandre Couillon est ancré dans son terroir, joue la carte des produits locaux, ramasse ses herbes lui-même et va jusqu'à recomposer le paysage dans l'assiette(le bois de la Chaise situé à deux pas) dans un dessert appelé sobrement Chocolat et pin. Ses premières années à Dakar, au Sénégal, se devinent aussi, avec une prédilection pour le grillé et le torréfié. "Ma cuisine, ce sont aussi mes souvenirs", dit Alexandre.
Si la deuxième étoile a déjà produit son effet avec un hiver moins rude que les précédents côté fréquentation, il n'en demeure pas moins que cette saisonnalité très forte est parfois difficile à vivre. Le jeune couple, qui a deux petites filles, a d'ailleurs comme projet la création de cinq chambres. Histoire de recevoir dans leur univers les clients qui hésitent à se rendre au bout de l'île.
Publié par Nadine LEMOINE
