“Dès le premier jour de l’insurrection, l’un de mes quatre restaurants, situé à la limite de Nouméa, à côté du centre Jean-Marie Djibaou, a été ciblé par les émeutiers qui recherchaient avant tout de l’alcool. Dix jours après, et malgré la venue du chef de l’État, la situation reste hors de contrôle. Les déplacements sont dangereux, avec des coupeurs de routes armés.” Explique Serge Layec, vice-président du syndicat des restaurateurs, bars et discothèques de Nouvelle-Calédonie (SRBDNC). Comme la centaine d’adhérents du syndicat, le professionnel redoute de devenir une cible en s’exprimant. “Notre première préoccupation concerne la sécurité de nos salariés. J’en ai 55 et certains sont pris au piège dans les quartiers toujours aux mains des insurgés. Nous avons repris aujourd’hui une petite activité dans nos établissements situés au sud de Nouméa et relativement préservés des troubles jusqu’à présent. L’activité est contrainte par le couvre-feu de 18 heures et les problèmes d’approvisionnement. Nous nous procurons un peu de poisson auprès de petits artisans pêcheurs, car le port a peu été touché. Pour le reste, on travaille sur nos stocks, car on mettrait nos vies en danger en nous rendant chez nos fournisseurs.”
“Mode survie”
Jean-Pierre Cuenet, présent depuis 52 ans dans l’archipel, est partagé entre sidération et colère : “L’une de mes dix affaires a brûlé en même temps que le centre commercial Carrefour. Par contre, mes trois hôtels fonctionnent et logent beaucoup de militaires en ce moment. Pour assurer les prestations comme les petits-déjeuners, on collecte les stocks des restaurants fermés. Nous sommes dans un climat de guerre civile, en mode survie. Les commerces brûlent. La présence du président Macron ne change rien. J’ai 400 employés dans le groupe, mais la plupart ne peuvent pas venir travailler. On va les mettre en congés payés ou en chômage technique.” Fort logiquement, le tourisme est au point mort. “Les touristes ont été exfiltrés par des compagnies aériennes néo-zélandaises. Seule Nouméa est concernée par les troubles et peu le sud de la ville, plus difficile d’accès. La brousse est épargnée”, explique le patron du groupe Cuenet.
“La viande est introuvable depuis l’incendie de la grande boucherie industrielle. Le soir, beaucoup de restaurateurs sont sur les barrages pour protéger leurs entreprises. La solidarité est très forte. Des groupes WhatsApp se sont constitués pour l’entraide, pour se rassurer. J’étais présent en Nouvelle-Calédonie lors des troubles entre 1984 et 1988, mais la violence n’avait pas atteint une telle intensité”, témoigne Serge Layec. Selon lui, une reprise d’activité dans le sud de la ville et dans les baies pourrait s’opérer en quelques jours, dans l’hypothèse d’un retour au calme. “En revanche, il faudra des semaines pour nos confrères dont les entreprises sont installées dans les autres quartiers de la ville !”, conclut-il.
Publié par Francois PONT