Institution parisienne et propriété de la famille Terrail depuis trois générations, La Tour d'argent (Ve) est un lieu intemporel. Sitôt la porte franchie, on plonge dans plus de 400 ans d'histoire, à travers un petit musée, où sont exposés la table des trois empereurs et des objets des arts de la table d'époque, comme la fourchette Henri III. Puis, le client longe le 'couloir des autographes', avec les photos de célébrités ayant mangé à La Tour d'argent, avant d'être accueilli par le liftier. Direction le dernier étage, au restaurant avec sa vue panoramique sur la cathédrale Notre-Dame. L'atmosphère en impose avec les 35 employés de salle en tenue : veste queue de pie pour le maître d'hôtel, une grappe pour le sommelier et un tablier blanc pour le chef de rang. Le directeur de salle Stéphane Trapier ne "veut pas de confusion en salle entre le client et le personnel. On doit savoir à qui on s'adresse à travers la tenue".
Un service mis en avant
Ce discret professionnel a, de par ses expériences (chez Ledoyen et au Ritz), très vite aimé les brigades, les hiérarchies bien marquées. Une exigence qui s'exprime en salle. Au fil du temps, la table s'est épurée : nappe au ton champagne, assiette en argent Christofle, gobelet en argent (qui garde l'eau fraîche), et serviette pliée en deux sur l'assiette à pain (changée trois fois durant le service). Pour la décoration, un caneton Murano signé Baccarat et une orchidée Lecoufle. Pourquoi si épuré ? "Car le spectacle, c'est Paris ! La vue est superbe. Il faut que le client en profite, explique Stéphane Trapier. Le service est très codifié : on a mis des années à le mettre en place. Tel un ballet." La prise de la serviette est le 'code' pour commencer à aborder le convive. Une fois l'apéritif servi, on apporte les cartes et l'amuse-bouche. Chaque plat est annoncé, détaillé à la demande. Quant aux vins, la carte fait à elle seule 7 kg ! La Tour d'argent possède la plus grande cave d'Europe : 400 000 bouteilles et 14 000 références dans 1 300 m2, sur deux niveaux. Des flacons prestigieux, comme un saint-julien château Gruaud-Larose 1870 (4 950 €), minutieusement choisis par le chef sommelier David Ridgway.
Côté cuisine, on prône la tradition française, le classicisme revisité du chef et MOF Laurent Delarbre. La recette emblématique reste le Caneton Tour d'argent (70 € par personne). Le maître canardier (trente ans de maison) découpe, réalise la sauce au sang avec la presse à canard dans le 'théâtre à canard' : "35 à 45 canards de Challans sont découpés par jour." La cuisine assiste la salle pour les garnitures.
Le service est mis en avant. L'établissement propose encore des crêpes Belle Époque, des pêches flambées au guéridon. À table, chaque client "est servi et débarrassé en même temps puisqu'un rang - sept tables - compte quatre employés." Ni vin, ni eau ne sont servis après la pose du plat. "L'instant présent est important, précise Stéphane Trapier. C'est essentiel dans notre métier d'aimer l'humain et d'aimer faire plaisir." En professionnel aguerri, il ne lésine pas sur le détail : "Si un client veut organiser un verre après son repas ou autre, on doit pouvoir l'organiser. Il faut savoir l'emmener sur un autre terrain."
Publié par Hélène BINET