Quelle place pour les enfants au restaurant ?

Ils peuvent à eux seuls gâcher un service ou au contraire donner à leurs parents l'envie de revenir dans un établissement. Mini-convives, les enfants sont aussi des clients. Et pas seulement ceux de demain. Alors que les Euro-Toques viennent de rédiger une charte des menus enfants, choses vues et ressenties autour de la question...

Publié le 24 mai 2012 à 12:05

Le phénomène prend de l'ampleur aux États-Unis. Le 'no kids allowed' (interdit aux enfants) ou 'brat ban' (pas de gosses) a commencé au McDain's, un restaurant de la région de Pittsburgh, qui fermé ses portes aux enfants de moins de six ans. Le Olde Salty's, en Caroline du Nord, a suivi en placardant une affiche 'Les enfants qui crient ne sont pas tolérés'. Les deux établissements affirment avoir depuis enregistré une hausse significative de leur chiffre d'affaires… Aux îles Fidji, de nombreux resorts pratiquent eux la 'no child policy' : les  enfants de moins de 12 ans, voire 17 ans, ne sont tout simplement pas admis.

En France, on nous n'en sommes heureusement pas encore là. Si certains palaces interdisent l'accès de leur piscine aux enfants, à table ces derniers sont au mieux très bien accueillis, au pire tolérés. Même si l'on se garde toujours le droit de refuser plus ou moins diplomatiquement une famille. Yorann Vandriessche, chef du restaurant L'Arbre à Gruson (59), se souvient encore du jour où il a voulu réserver dans un bel établissement de la Côte normande, soudain devenu complet quand il a annoncé qu'il serait accompagné de son épouse et de leurs trois petites filles…

Il n'est pas toujours facile de gérer des enfants bruyants, remuants, voire franchement malpolis."C'est quitte ou double, confirme Éric Lavallée, chef de L'Iroise à Audierne (29). C'est un coup à ne plus revoir la table d'à côté qui vient de laisser une belle addition." Pour ce chef breton, l'été est particulièrement symptomatique. "On voit arriver des familles espagnoles ou italiennes pour qui l'enfant est roi", témoigne-t-il, sans pour autant jamais refuser une table avec enfants. Mais de décrire par exemple le massacre de ses nappes blanches gribouillées aux feutres…

Éliane Hardy est à la tête d'un estaminet dans la campagne flamande. L'ambiance y est décontractée, mais pas au point de tout accepter. "Il y a vraiment des gens qui exagèrent, pointe-t-elle. On nous tend parfois une couche sale en plein milieu du service !" Son autre souci : les poussettes. "Quand arrivent cinq poussettes de compétition, on ne peut plus circuler", fait-elle remarquer. Elle épingle aussi les grandes tablées qui vous mobilisent la salle un samedi soir. "Douze personnes, dont neuf enfants. Et un menu enfant pour deux ! Ce n'est économiquement pas tenable."

Le coup du menu enfant pour deux, il ne faut pas le faire à Jean-Luc Germond, étoilé lillois. "Dans ce cas-là, je viens personnellement en salle expliquer au client qu'il ne faut pas se moquer de nous." Chez Yorann Vandriessche, où les enfants choisissent à la carte comme les adultes, mais à tarif réduit, on a aussi déjà entendu des parents mégoter. "On nous dit qu'alors, le plat vaut deux fois moins…" Quand certains n'annulent pas simplement parce qu'on ne propose pas du steak haché et des frites dans ce restaurant spécialisé dans les produits de la mer…

Gérer en salle

Malgré ces désagréments, beaucoup d'établissements s'impliquent vraiment pour que la sortie au restaurant reste un bon moment pour tous. "Certains parents me disent : 'On aimerait venir, mais c'est compliqué avec les petits.' Je leur dis : 'Au contraire, venez !' D'autant que les enfants sont demandeurs", s'exclame Nicolas Gautier qui officie au Château d'Esclimont, hôtellerie de prestige à Saint-Symphorien-le-Château (28). Même discours chez David Royer, aux Orangeries, à Lussac-les-Châteaux (86). "L'été, notre clientèle est constituée à 15 % de familles et notre restaurant accueille les enfants avec grand plaisir." Les chefs ayant eux-mêmes des enfants sont évidemment plus sensibles à la question…

Accueillir certes, mais il faut ensuite gérer ces petites boules d'énergie. Et pour cela, chacun a sa méthode. Aux Coulisses vintage, à Paris (IXe), Frédéric Barette a briefé son personnel de salle : "Les enfants, on leur saute dessus. Et on envoie leur plat au moment de l'entrée des parents." D'autres placent stratégiquement les familles près de la porte.

Quand les locaux le permettent, une salle de jeux ou un jardin aménagé sont les bienvenus. "Un enfant passe une demi-heure à table à l'Auberge du Vert Mont, explique son chef Florent Ladeyn. Et je les comprends." Trop pressés d'aller s'ébattre dans la campagne environnante… "Trois heures à table, pour un enfant, c'est trop long, confirme Nicolas Gauthier. À nous de faire que le temps passe plus vite, par le service, mais aussi par ce que l'on met dans l'assiette."

 

Séduire dans l'assiette

L'assiette, voilà ce qui peut réconcilier parents, enfants et cuisiniers. Ces derniers ont d'ailleurs à coeur de faire découvrir la gastronomie aux jeunes convives. "Comme pour le reste de notre clientèle, nous essayons de leur faire partager les saveurs locales que nous mettons en valeur, explique David Royer, qui propose par exemple aux enfants des tortellinis au chèvre de pays et fenouil cru. "On ne donne la carte qu'aux parents et on ne dit pas chèvre devant les enfants", commente-t-il.  Même démarche pour Nicolas Gautier. "Le 'J'aime pas ça' est pour moi un défi, lance-t-il, mais il faut que les parents jouent le jeu." Lui-même s'amuse à créer des plats qui ne peuvent que faire craquer les enfants : hamburger végétarien et son cornet de frites de légumes en tempura, poisson pané aux brisures de Curly, riz au lait Nesquik ou tiramisu cookie Nutella. "Les enfants ont besoin de repères, explique-t-il. Dire Nesquik ou Nutella au lieu de chocolat, c'est peu de chose, mais ça fait toute la différence."

Autre truc qui marche toujours : la visite en cuisine. Chez Jean-Luc Germond, le jeune gastronome vient y chercher son dessert et repart avec la bise du chef. Chez Nicolas Gautier, il en revient fièrement coiffé d'une toque. Les parents apprécient, et en redemandent. "Quand les enfants sont contents, les parents ont envie de revenir", acquiesce le jeune chef. Tout en notant, comme ses confrères, que les parents sont de plus en plus demandeurs que l'on fasse goûter de bonnes choses à leurs enfants. "C'est important de faire goûter", souligne David Royer, qui s'investit par ailleurs dans la semaine du goût. Tout comme les chefs d'Euro-Toques, mobilisés notamment dans la lutte contre l'obésité infantile (lire ci-dessous). Et comme le rappelle très justement Éric Lavallée : "Les enfants, ce sont nos clients de demain."


Publié par Marie-Laure Fréchet



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