Réussite : Arnaud Daguin, un chef militant

Après 35 ans de cuisine gastronomique, cet étoilé s'engage pour des pratiques agro-alimentaires durables. Autoportrait d'un passionné.

Publié le 13 avril 2016 à 11:41

 

"Je suis fils, petit-fils, arrière-petit-fils de cuisiniers restaurateurs et je m'étais dit que jamais je ne ferais ce métier d'esclave. J'ai suivi un cursus de sociologie, musicologie et ethnologie à la fac de Vincennes, tout en faisant l'école du cirque Fratellini. Mon père [André Daguin, NDLR], qui avait bien compris que je n'en ferais qu'à ma tête, s'est arrangé pour me faire rencontrer André Guillot. Ça a été une révélation. Ce dernier m'a poussé à faire un apprentissage de pâtissier chez Christian Constant, pour m'apprendre la rigueur. Ça m'a fait un bien fou. À 19 ans, je me suis retrouvé, par hasard, chef du Vert-Galant pendant quatre mois, puis j'ai été contacté par un vieux copain de mon père, Jean-Louis Palladin, pour lancer son restaurant à Washington en 1978. J'ai ensuite passé un an sur la Jeanne d'Arc.


À mon retour, mon père m'a proposé d'être l'électron libre de sa brigade de l'Hôtel de France, à Auch, et de créer de nouveaux plats et entrées. Lorsque le chef de cuisine a démissionné en 1983, mon père m'a demandé de le remplacer. Et là, ça a été beaucoup moins drôle…

 

Une maison d'hôtes périlleuse

J'ai fini par partir et ouvrir mon restaurant à Biarritz, les Platanes, le premier bistrot étoilé de France. Mais avec ma femme Véronique, on a eu peur de s'endormir un peu. On a donc imaginé un lieu où l'on pourrait recevoir différemment et où on étirerait le temps avec nos clients. En 2001, on est tombé sur une vieille ferme basque de 1746 et on a investi  plus d'1,2 million d'euros pour la rénover. On avait seulement les 124 000 euros de notre fonds de commerce, on a monté un plan de financement acrobatique et ce projet est devenu Hégia, une maison d'hôtes de cinq chambres qui valorisait l'art de vivre basque. Je n'ai jamais répété deux fois le même menu, on a d'ailleurs obtenu en 2007 la première étoile Michelin attribuée à une table d'hôtes. Le concept était formidable, mais c'était un très mauvais modèle humano-économique. J'attaquais le matin à 7 heures, j'étais plongeur, palefrenier, boulanger, jardinier et je terminais avec l'armagnac à 2 heures du matin…  Ça nous a coûté notre couple.


En 2010, quand j'ai su que Hégia était cuit, j'ai dû trouver une activité supplémentaire pour faire bouillir la marmite, et j'ai accepté une première mission de conseil pour Alain Coumont, le fondateur du Pain Quotidien. De nombreuses autres missions ont suivi, au cours desquelles j'ai essayé d'aller plus profondément dans l'ingénierie d'approvisionnement. C'est devenu mon coeur de métier. 

 


Le chantre des pratiques durables

 
En 2012, j'ai été approché par un homme qui portait beau et qui roulait en Maserati. Cédric Naudon, le créateur du projet La Jeune Rue qui n'a finalement pas vu le jour, voulait monter un réseau de restaurants basés sur les bons produits. Je suis devenu responsable du sourcing et de l'approvisionnement. Je lui ai fait rencontrer des producteurs qui pratiquent l'agriculture du carbone, également appelée l'agro-écologie : c'est une agriculture qui séquestre du carbone au lieu d'en émettre, qui utilise la fertilité et non la fertilisation. Dans ce type d'agriculture, on n'utilise ni intrants, ni arrosage.


En parallèle, j'ai commencé à mettre au point l'Échelle de Riches Terres. C'est un système de notation, de 0 à 9, qui rend lisible la valeur des produits en prenant en compte trois axes : l'impact de ce produit sur l'environnement depuis sa genèse, la nutrition et la santé publique, et enfin l'aspect économique et social. Cela permet de voir ce que les produits trimballent comme casseroles, comme cette carotte bio, par exemple, qui ferait des kilomètres dans un camion diesel à 4 degrés... Ma première cible, c'est de faire rentrer l'Échelle de Riches Terres dans les appels d'offre pour la cuisine collective publique. Ensuite, elle pourrait aussi être indiquée à côté du prix des produits dans la consommation courante. En tous les cas, je travaille à créer une structure indépendante pour porter ce projet. Avis aux partenaires...


C'est mon grand-père qui m'a sensibilisé à l'écologie, et je me souviens encore d'une phrase qu'il me disait : "Ce que je mange me constitue, ce que je mange dessine le monde".  L'agriculture est l'interface vivante entre la nature et l'humain. Si certains produits sont meilleurs que d'autres, c'est en raison de leur mode de production. C'est fondamental pour cuisiner, et pourtant, ça n'est enseigné nulle part. J'ai donc créé une formation qui répond à la question : Qu'est-ce qu'un bon produit ? Mon objectif est qu'elle devienne obligatoire pour devenir artisan restaurateur."

Publié par Propos recueillis par Violaine Brissart



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