Ce jour-là, Esther B. demande à sa collègue de refaire la chambre qu'elle vient de terminer. Lena S. acceptant très mal les critiques qui viennent de lui être faites sur son travail, les deux femmes en viennent aux mains dans la lingerie. Esther B. gifle sa collègue qui réplique en la griffant puis en lui projetant un chariot de linge.
Une autre femme de chambre, également amie de Lena S., assiste à la scène. Suite à ces événements, la société Aurélie décide de convoquer Esther B. à un entretien préalable puis la licencie pour faute grave du fait de cette rixe.
La salariée conteste le bien fondé de son licenciement
Contre toute attente, Esther B. saisit alors le conseil des prud'hommes de Paris afin de contester le bien-fondé de son licenciement. À ce titre, elle demande le paiement de son préavis, ainsi que son indemnité de licenciement, et revendique un an de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Devant les juges, Esther B. explique qu'elle a été victime de l'agression de sa collègue qui lui a porté les premiers coups auxquels elle a répliqué. Esther B. s'étonne par ailleurs que sa collègue n'ait pas été licenciée comme elle, et ce d'autant plus qu'elle a moins d'ancienneté qu'elle dans l'entreprise.
La société - à qui incombait la preuve de la faute grave - tente de justifier la rupture en produisant l'attestation de la collègue de Lena S. et un certificat médical de cette dernière.
Cependant, le conseil des prud'hommes estime que la faute grave n'est pas établie compte tenu de l'insuffisance des pièces produites par l'employeur et requalifie le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le conseil condamne ainsi la société Aurélie à payer à son ancienne salariée son préavis, son indemnité de licenciement et la somme déterminée par l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais d'avocat.
Quelle doit être la bonne attitude à suivre pour l'employeur ?
Une bagarre entre salarié constitue une faute et peut entrainer une sanction susceptible d'aller jusqu'au licenciement. Dans le cas tel que précédemment exposé, la première difficulté qui se pose à l'employeur est de déterminer ce qui s'est réellement passé entre les salariés et, le cas échéant, qui a porté les premiers coups. L'employeur ne doit pas agir dans la précipitation. Il doit faire une enquête interne afin de recueillir les versions des différents protagonistes et témoins de la rixe puis recueillir leurs témoignages par écrit pour constituer un dossier écrit. Il doit joindre aussi la copie de l'éventuel arrêt de travail du ou des blessés. La durée de l'arrêt est l'un des éléments qui permettent d'apprécier la gravité des faits.
En effet, il reviendra ensuite à la société d'établir la réalité et la gravité des faits - la rixe - afin de décider au vue de ces derniers et de la situation du salarié dans l'entreprise (fonction, ancienneté, dossier disciplinaire) quelle est la sanction adaptée. Il convient toujours en effet de respecter un principe de proportionnalité entre la gravité de la sanction et la faute.
L'employeur devra enfin décider s'il convient de sanctionner les deux salariés et si cette sanction doit être identique. L'employeur n'a pas l'obligation de sanctionner les salariés concernés de la même manière.
Selon la jurisprudence, la faute grave n'est caractérisée que par un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Une jurisprudence qui incite à la prudence
Il convient de préciser que la Cour de cassation estime que le fait pour un salarié de participer à une rixe ne caractérise la faute grave - donc privative de toute indemnité - que lorsque la rixe a perturbé la marche de l'entreprise. Ce qui n'est pas le cas si la bagarre s'est déroulée avec peu de témoins et hors la présence de clients de l'entreprise (Cour cass. du 20 octobre 2011 N° 10-19249).
De même, la Cour de Cassation ne retient pas la faute grave lorsqu'il s'agit d'un acte isolé ou lorsque les faits n'ont pas été établis avec certitude, le doute bénéficiant alors au salarié (Cour Cass 17 novembre 2010 N°09-41399 et 29 juin 2011 N°09/08934).
En revanche, dans une autre affaire plus récente, la Cour de cassation a admis la faute grave. Les juges ayant relevé que le salarié avait, sur le lieu de travail et en présence des autres salariés, porté des coups violents au visage d'un autre salarié, matérialisés par des traces de strangulation et un traumatisme dentaire qui a entrainé une incapacité de 6 jours. En conséquence, même s'il s'agissait de la part de l'intéressé d'un acte isolé, la cour a reconnu la faute grave (Cour cass. 20 octobre 2011 n°10-19249).
Compte tenu de la jurisprudence stricte en la matière, l'employeur se devra donc d'être très prudent avant de décider de la sanction disciplinaire à notifier à son employé.
Ainsi, sauf à établir de manière incontestable les faits, leur déroulé, leur gravité et la perturbation de la bonne marche de l'entreprise qu'ils ont entraînée, il lui sera plus souvent conseillé de sanctionner son salarié soit par un avertissement ou une mise à pied, soit par un licenciement pour une cause réelle et sérieuse, la faute grave étant plus rarement admise par la jurisprudence.
N'oubliez pas de respecter la procédure
À partir du moment où l'employeur a eu connaissance des faits, il doit sanctionner le ou les salariés dans un délai de deux mois maximum. Ce qui lui laisse largement le temps de constituer son dossier.
Pour toutes les sanctions autres qu'un avertissement, l'employeur a l'obligation de convoquer le salarié à un entretien préalable par lettre recommandée avec accusé de réception ou une remise en main propre contre décharge. Une fois que l'entretien a eu lieu, lui permettant d'être mieux à même de choisir la sanction adaptée, l'employeur devra la notifier au salarié par lettre recommandée avec AR.
Publié par Juliette Pappo (avocat au barreau de Paris)