Peu de gens le savent mais il existe en France une ville espagnole. Elle s'appelle Llívia et constitue, depuis 1660, une enclave ibérique forte d'environ 1 800 habitants dans le département des Pyrénées-Orientales. Un vrai particularisme pour lequel le Catalan espagnol Albert Boronat i Miro et la Bretonne Mélina Allair ont un faible. Ils s'y sont mariés il y a presque deux ans et, depuis juin dernier, ils y accueillent les gastronomes des deux pays. "Lorsque nous sommes arrivés au terme de notre contrat au Pam's, à Port-Vendres, en octobre 2013, on s'est dit qu'il était temps de trouver notre petit chez nous. S'il faut transpirer, autant que ce soit pour nous."
Un choix cohérent pour ces cuisiniers qui ont déjà un solide CV. Mélina Allair a fait son apprentissage au Negresco et travaillé ensuite dans les cuisines de Ledoyen, Taillevent et du Crillon, avant de goûter à la Provence, au Prieuré, ou encore au Domaine des Andéols. Albert Boronat, lui, est originaire de Tarragone. Après neuf années passées au sein de la galaxie Ducasse, il a rejoint Jean-André Charial avant de réaliser du consulting. Le couple a été retenu dans la première sélection des Talents Equip' Hôtel, un programme d'accompagnement opérationnel mis en place par le salon Equip'Hôtel en 2012 et présidé par Alain Ducasse. Des mentors aux profils très différents ont ainsi apporté leur expertise aux futurs chefs d'entreprise. Des conseils auxquels ils ne s'attendaient pas forcément. "Lors de notre projet initial, après avoir étudié les contrats, ils nous ont tout simplement dissuadés de signer début 2013."
Toutes leurs économies dans ce projet
Avant de trouver leur 'nid', ils ont donc pris le temps de chercher dans cette Cerdagne où ils se sentent bien. Finalement, c'est en prenant la route de la Bretagne pour y passer les fêtes de Noël qu'ils ont fait une halte à Llívia. Et si la visite de cette sorte de snack, au rez-de-chaussée d'une maison proche de la mairie et du musée consacrée à la plus ancienne pharmacie d'Europe, aurait pu tourner court pour beaucoup, eux ont senti de bonnes vibrations. "Il y a la petite salle du bas mais aussi deux autres à l'étage avec la possibilité pour nous de loger sur place. Sans oublier une très grande terrasse cachée de la rue par un portail que nous ouvrons seulement au moment du service. Nous avons signé aussitôt le compromis et validé l'acquisition du fonds à notre retour de vacances, le 10 janvier. Dix jours plus tard, on s'installait dans cette maison où il ne faisait que cinq degrés." S'ils reconnaissent avoir mis toutes leurs économies dans cette opération, ils admettent aussi ne pas avoir bien estimé l'étendue des travaux. "Pendant quatre mois, nous avons fait tous les métiers : peintre, carreleur, électricien et même menuisier pour fabriquer les banquettes et personnaliser les lieux."
Des encouragements multiples
Même s'il n'a pas vraiment de repères, Albert Boronat ne voit guère de différence entre le fait de s'installer en Espagne ou en France. "Il y a une TVA [à 10 %, NDLR], des charges patronales et des fournisseurs à payer. En tout cas, ce n'est pas cet aspect qui a guidé notre choix. Nous voulions plutôt profiter de cet environnement original. Ici, nous ne sommes plus en France et pas tout à fait en Espagne. C'est pour cela que nous avons baptisé le restaurant Ambassade de Llívia." Le 25 juin, ils accueillaient leurs deux premiers clients. "On ne les oubliera jamais !" Une semaine plus tard, le 3 juillet, Mélina accouchait d'une petite Élisa. "On a fermé le restaurant une semaine, avant de se remettre au travail." Et de conquérir très vite une clientèle grâce à leur talent mais aussi à leurs prix. Au déjeuner, le menu entrée, plat, eau minérale, pain et café est à 16 €. "Nous faisons le pain nous-mêmes. On en propose trois sortes et la première corbeille seulement est offerte, sinon les clients espagnols ne mangeraient que cela tant ils l'apprécient", ironise Mélina Allair. Les vins, une carte resserrée, sont issus des vignobles frontaliers et témoignent là aussi de l'envie de satisfaire sans trop alourdir l'addition. Quant à la décoration, à l'étage, elle est assurée par une collection d'assiettes qui ne cesse de grandir. Dédicacées, elles sont les cadeaux de chefs, d'Alain Ducasse à Michel Troisgros, en passant par Anne-Sophie Pic. De vrais encouragements.
Publié par Jean Bernard