L'Hôtellerie Restauration : Les chefs du jury semblent cette année avoir quasi autant d'importance que les candidats. Pourquoi leur avoir donné plus de place ?
Matthieu Bayle : La place du jury - qui était très peu présent pendant la cuisine et beaucoup plus au moment de la dégustation et du jugement - avait vécu. Pour en avoir discuté avec les chefs, aujourd'hui, leur positionnement a changé : ils partagent beaucoup avec leur brigade et leur personnel, échangent sur la conception des recettes, testent, font goûter… Ça crée une proximité avec les collaborateurs qui est très grande et nous voulions en rendre compte dans l'émission.
C'est comme s'il y avait 'plus de cuisine dans la cuisine'…
Effectivement, nous avons voulu faire débarquer les chefs en cuisine parce que ce programme n'a jamais assez de décryptage, d'explications, de pédagogie. Nous avons pensé que les chefs auraient beaucoup de choses à dire en étant au contact des candidats. Ils peuvent commenter en temps réel les gestes, les choix des candidats, les choses audacieuses ou risquées, comme un fil rouge qui raconte l'histoire du plat de chacun. Nous ne sommes plus simplement dans un jugement a posteriori de l'assiette terminée, nous parlons aussi des cuisiniers, de leur manière de faire la cuisine, cela nous paraissait plus riche en termes de contenu.
Il y a une bonne dose de convivialité et d'humour cette saison… Vous souhaitiez insister sur le côté humain des cuisines ?
Au début, nous avions vraiment besoin d'insister sur les codes de la compétition pour donner sa légitimité à Top Chef. Aujourd'hui, le concours a acquis ses lettres de noblesse et cette histoire-là, nous pouvons la laisser un peu de côté pour nous rapprocher de la cuisine telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui. Nous avions envie de ramener de la convivialité et de la vie, pour montrer que la cuisine ce n'est pas seulement une assiette bien réalisée, mais que derrière il y a un cuisinier qui a une vision des choses. Cette année, c'est moins de concours, plus de cuisine !
On reproche souvent aux émissions culinaires de ne présenter qu'une vision édulcorée du métier, qu'avez-vous à répondre à cela ?
Notre concours est ouvert et réservé aux professionnels, il y a des candidats qui ont quinze ans de cuisine derrière eux et je n'ai pas l'impression que nous mettions en valeur des gens injustement. Il y a toujours du talent derrière ceux dont nous parlons, même si nous ne pouvons pas le nier, les cuisiniers sont les rock stars d'aujourd'hui. Nous veillons cependant à ce que la notion de travail existe dans le programme et à montrer que la cuisine est une école de l'exigence.
Paradoxalement, le fait que ce métier fasse rêver est une très bonne chose. Voir des jeunes qui ont l'oeil qui brille et qui sont passionnés par ce qu'ils font renvoie un message très positif.
Comment faites-vous le casting des candidats ? On a parfois l'impression que vous recherchez plus des personnalités que des techniciens…
Chaque année, nous recevons 1 000 à 2000 candidatures spontanées. Nous allons aussi chercher des cuisiniers dans de grandes maisons. Nous retenons environ 80 candidats, à qui nous faisons passer des tests culinaires non filmés, entre autres jugés par un MOF, Guy Legay. Certes, il va juger le savoir-faire mais aussi l'audace, la créativité, la prise de risque. Nous cherchons des signatures qui font des assiettes personnelles, des passionnés qui ont la flamme dans les yeux… D'ailleurs, souvent, le cuisinier a tout du mauvais client télé !
Qu'est ce que Top Chef peut apporter aux chefs ?
Une visibilité colossale ! Si vous avez votre restaurant, c'est entre 25 et 80 % de fréquentation supplémentaire pendant et après la diffusion. Par exemple, Cyrille Zen, de la troisième saison, qui a un restaurant en Auvergne, a trois mois de réservation d'avance. Stéphanie Le Quellec affirme que l'émission lui a fait gagner dix ans. Quentin Bourdy me disait qu'avant l'émission, la banque ne voulait pas lui accorder de crédit, qu'il a obtenu après !
C'est un accélérateur incroyable de carrière, un beau tremplin qu'on soit le gagnant ou pas ! Et cela n'empêche pas la reconnaissance professionnelle : quatre chefs qui ont fait l'émission ont eu une étoile Michelin après. Nous ne fabriquons pas des cuisiniers, mais mettons en lumière les talents de demain, les futurs grands cuisiniers. C'est normal qu'il y en ait qui transforment l'essai !
Publié par Julie GERBET